Maire-info
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Édition du jeudi 11 avril 2024
Santé publique

Lutte contre les dérives sectaires : le texte définitivement adopté

L'Assemblée nationale a définitivement adopté avant-hier le projet de loi de lutte contre les dérives sectaires, qui renforce les pouvoirs de la Miviludes, aggrave les peines et améliore l'accompagnement des victimes. Les sénateurs ont, jusqu'au bout, refusé de reculer sur certains aspects de ce texte, sans parvenir à faire triompher leurs vues. Explications.

Par Franck Lemarc

L’Assemblée nationale a définitivement adopté le projet de loi sur la lutte contre les dérives secteurs, mardi 9 avril, après quatre mois d’un parcours législatif chaotique. Deux lectures devant chaque chambre n’ayant pas permis de parvenir à une version commune, une commission mixte paritaire a été réunie le 7 mars dernier, sans succès. Le texte est donc revenu en nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale, puis devant le Sénat, qui l’a rejeté sans l’examiner, après adoption d’une motion de rejet, pour cause de « désaccords insurmontables ». C’est alors l’Assemblée qui a le dernier mot, comme le prévoit la Constitution. 

Les objectifs du texte

On ne pouvait guère s’attendre à d’aussi furieux débats sur un texte dont les objectifs, pourtant, semblaient très largement partagés. Face à l’importante augmentation des signalements à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), liés en particulier à l’émergence des dérives sectaires sur internet, le gouvernement souhaitait « adapter le cadre juridique applicable aux dérives sectaires aux évolutions de ces dernières et améliorer l'accompagnement des victimes ». 

Le texte initial prévoyait donc de créer un nouveau délit de « placement ou maintien en état de sujétion psychologique et physique », ainsi qu’un délit de « provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques risquées par la santé ». Ce dernier point, pour répondre à l’émergence, sur internet notamment, de « gourous »  qui préconisent des traitements « alternatifs »  comme le jeûne ou la consommation de jus de légume contre des maladies graves. 

Le texte prévoyait aussi de permettre à davantage d’associations de se porter partie civile dans ces situations (à l’heure actuelle, seule l’Union nationale des associations de défense de la famille et des individus victimes de sectes ou Unadfi, reconnue d’utilité publique, peut le faire). 

Les « désaccords insurmontables »  du Sénat

C’est sur le nouveau délit de « placement ou maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique »  et sur celui de « provocation à l’abandon de traitement »  que les sénateurs ont bloqué, estimant les dispositions prévues par le texte « juridiquement fragiles ». Sur le deuxième point en particulier, ils ont d’ailleurs en cela suivi l’avis du Conseil d’État qui, après avoir examiné le texte, a conclu que « ni la nécessité ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées ». Lors des débats, l’exemple de l’affaire du Médiator a été plusieurs fois cité, des parlementaires jugeant qu’en l’état, les délits créés par ce texte auraient pu conduire à condamner Irène Frachon, la lanceuse d’alerte qui avait alerté sur les dangers de ce médicament. « Malgré les efforts consentis par le gouvernement pour exclure les lanceurs d’alerte du dispositif, a écrit en fin de débats la commission des lois du Sénat, la rapporteure (estime) que ces deux rédactions n'atteignent manifestement pas un  équilibre satisfaisant dans la conciliation entre l'exercice de la liberté d'expression et la liberté de choisir et de refuser des soins ». 

Les dispositifs retenus par le gouvernement et les députés, a jugé le Sénat, sont « soit trop larges soit inefficaces », et « le droit en vigueur est finalement plus protecteur pour les victimes puisque des incriminations plus sévèrement réprimées existent, comme l’abus de faiblesse ou l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie ». 

Bien que « souscrivant sans ambiguïté aux objectifs poursuivis par le projet de loi », les sénateurs ont estimé que ces points constituaient des lignes rouges et ont donc rejeté la totalité du texte. 

Le texte adopté

Au final, le texte adopté définitivement reprend la plupart des projets du gouvernement, avec un certain nombre d’ajouts. 

Un statut législatif a été donné à la Miviludes, qui, jusqu’à présent, ne figurait dans aucun texte de loi : ses missions sont désormais listées à l’article 1er de la loi. Par ailleurs, la question de la lutte contre les dérives sectaires a été intégrée aux compétences des CLSPD (Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance).

L’infraction de mise en état de sujétion psychologique et physique a bien été créée, avec des peines pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison et 750 000 euros d’amende. Par ailleurs, une circonstance aggravante a été reconnue lorsque les crimes (meurtre, viol, torture et actes de barbarie…) sont commis contre une personne « dont l’état de sujétion psychologique ou physique (…) est connu de son auteur ».

La mesure sur les associations pouvant se porter partie civile a été validée et figure dans le texte final (les associations agréées, et non seulement reconnues d’utilité publique, pourront désormais se porter partie civile). 

Un autre article du texte aggrave les peines en cas de délit d’exercice illégal de la médecine ou de la profession de pharmacien, lorsque ces délits sont commis en ligne « ou par le biais d’un support numérique ». 

L’article relatif à la provocation à « abandonner ou s’abstenir de suivre un traitement médical », après de très âpres discussions, a finalement été validé par les députés. Ce nouveau délit sera puni d’un an de prison et 30 000 euros d’amende, voire le triple si l’incitation « a été suivie d’effet ». Les députés ont nuancé ces mesures en posant deux exceptions : le délit ne sera pas constitué s’il s’agit « d’un signalement ou d’une divulgation par un lanceur d’alerte »  ; ni dans le cas où « les circonstances dans lesquelles a été commise la provocation (…) permettent d’établir la volonté libre et éclairée de la personne, eu égard notamment à la délivrance d’une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé ». 

Enfin, la loi change les règles en matière de secret médical. Elle autorise la violation du secret médical pour un médecin ou professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République « des informations relatives à des faits de placement, de maintien ou d’abus frauduleux d’une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique », avec l’accord de la victime. « Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire. En cas d’impossibilité d’obtenir l’accord de la victime, le médecin ou le professionnel de santé doit l’informer du signalement fait au procureur de la République. » 

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