Copropriétés dégradées : la Cour des comptes pointe « l'utilité encore incertaine » du Plan initiative copropriétés
Par A.W.
Le Plan initiative copropriétés connaît un « démarrage lent » avec un taux de déploiement des crédits encore faible et des résultats « difficiles à identifier ». Dans un rapport publié fin mars sur les copropriétés dégradées, la Cour des comptes estime qu’« aucun bilan » de ce plan « conçu comme un outil « à la main » des collectivités locales » pour lutter contre le mal-logement n’est envisageable à court terme. Elle formule, toutefois, cinq recommandations pour « mieux répondre à l’urgence ».
Une notion mal définie
Alors que la dégradation « rapide et parfois irréversible » de certaines copropriétés s’est « accrue » depuis 20 ans et que le phénomène a pâti d’une « prise de conscience tardive et de procédures insuffisantes », les magistrats financiers rappellent, d’abord, que la notion même de copropriétés dégradées reste une « notion mal définie ».
Ainsi, sur plus de 75 000 logements en copropriété suivis par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), « le traitement de l’habitat indigne stricto sensu ne représentait que 19 % des cas, soit un peu plus de 14 500 logements ». En dehors des cas d’indignité et d’insalubrité définis avec précision, les autres situations relèvent d’un « faisceau d’indices plus diffus », constatent-ils - la Cour estimait l’an passé, dans un référé sur la lutte contre l’habitat indigne, de mieux identifier cet habitat.
Or, si la loi a bien défini comme étant « en difficulté » les copropriétés dans lesquelles le taux d’impayé des charges communes dépasse un certain seuil (fixé à 15 % pour les ensembles de plus de 200 lots et à 25 % en deçà de ce seuil), « ce critère n’est pas suffisant » puisque « la paupérisation et la forte rotation des copropriétaires, la non soutenabilité des charges, la dégradation des abords ou la déqualification de l’environnement urbain peuvent aussi être des signes de difficultés, naissantes ou avancées, repérées ou non », rappelle la Cour.
Et le registre national des copropriétés mis en œuvre depuis 2016 ne permet toujours pas d’avoir « une vision fiable de la réalité » (le nombre de copropriétés enregistrées est encore inférieure à 100 000 unités), la qualité des données enregistrées restant par ailleurs « très inégale ».
Le lent déploiement du Plan « initiative copropriétés »
Reste que pour lutter contre la dégradation des copropriétés privées et appuyer les collectivités dans la lutte contre le mal-logement, le gouvernement a annoncé, fin 2018, un Plan initiative copropriétés (PIC) censé être un « accélérateur de l’action publique », mais… dont « l’utilité [reste] encore incertaine », estiment les magistrats financiers.
Selon eux, la mobilisation suscitée par l’annonce du PIC en 2018, mais dont la mise en œuvre n’a été effective qu’à compter de 2020, « ne se traduit encore ni budgétairement ni par d’autres indicateurs, certains maillons manquant encore au dispositif de requalification des ensembles immobiliers concernés ».
Doté de 2,5 milliards d’euros sur dix ans (« une simple réorientation de crédits existants » ), et abondés par le plan de relance pour l’année 2021, ce plan peine, en effet, à déployer les crédits qui lui ont été alloués et à devenir « l’accélérateur » qu’il est censé être. En effet, seuls 14 % des crédits de l’enveloppe prévue pour dix ans ont été engagés depuis 2018, sans compter que « les premiers résultats demeurent difficiles à identifier ».
Si l’Anah – qui finance le plan avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) - indique « accompagner » plus de 75 000 logements sur les 80 000 visés, « aucun bilan consolidé de ses interventions sur les communs ou de son aide au redressement n’existe alors que la moitié des 684 copropriétés en difficulté intégrées au PIC sont aujourd’hui inscrites dans un dispositif d’accompagnement », observe la Cour. D’autant que si 39 % de ces copropriétés comptent plus de 50 logements, 32 % en comptent moins de dix.
Ce « lent démarrage » s’explique « en partie » par la durée des opérations en copropriété. Celle-ci est estimée à « 24 mois avant travaux » et « les exemples des copropriétés de Grigny 2, Clichy-sous-Bois ou Bondy laissent entrevoir la fin des opérations à dix ou vingt ans ».
Une attention « plus soutenue » de la part des collectivités
Dans ce contexte, « aucun bilan du PIC n’est en conséquence envisageable à court terme », concluent les magistrats financiers, qui notent que les informations disponibles à ce stade laissent entrevoir « plutôt une réussite de la mobilisation des acteurs qu’une accélération réelle de l’action publique » . En effet, les « incertitudes » demeurent autour d’un plan qui « n’est pas en mesure de lever les freins qui l’affectent, tels que le rôle insuffisant des professionnels de la gestion immobilière privée ou la capacité d’implication limitée des bailleurs sociaux ».
La Cour estime ainsi que pour rendre plus efficient le traitement des copropriétés en difficulté ou dégradées, au-delà des dispositifs d’aide publique, « une implication massive des professionnels de la gestion immobilière privée » et « une attention plus soutenue » de la part des collectivités territoriales sont nécessaires.
Les magistrats financiers rappellent le « rôle décisif » de ces dernières pour « enclencher l’action publique ». « Le traitement des copropriétés dégradées et en particulier la mise en œuvre du PIC n’est possible que si la commune ou l’intercommunalité engage les démarches », soulignent-ils, en précisant que « de nombreuses collectivités de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur ne sont pas encore engagées dans le traitement des copropriétés dégradées ».
Ils citent d’ailleurs une kyrielle de freins à la mobilisation des collectivités, tels que les financements et les moyens d’ingénierie « limités » des collectivités, le fait que « les élus du bloc communal [soient] peu sollicités par le ministère du logement » ou encore que les montants financiers à engager restent « importants même après redressement et subventions de l’Anah » (le déficit à financer par logement est de l’ordre de 20 000 euros).
La Cour suggère, par ailleurs, parmi cinq recommandations, de développer un outil de suivi de la situation sociale des copropriétés de d’actualiser la convention entre l'Anah et l'Anru, dans le but « d’intégrer le cadre d'intervention respectif de chaque agence dans les copropriétés ». Elle propose également d’établir en 2022 des indicateurs de suivi par axe de mise en œuvre du Plan initiative copropriétés à l’échelle du logement et de la copropriété.
Dans leurs réponses à la Cour, l'Anah et l'Anru disent partager les éléments d'analyse et de diagnostic ainsi que les principales conclusions du rapport. Elles précisent également que l'actualisation de la convention Anah-Anru devait être présentée aux conseils d'administration des deux agences en mars.
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