La suspension de TikTok en Nouvelle-Calédonie pendant les émeutes n'était pas légale, juge le Conseil d'État, mais à peu de choses près
Par Franck Lemarc
14 mai 2024. La Nouvelle-Calédonie s’embrase, après que le gouvernement eut annoncé le dégel du corps électoral. Manifestations, puis émeutes, barricades, barrages et incendies se propagent notamment dans l’agglomération du Grand Nouméa et, le 15 mai, le gouvernement décide de prononcer l’état d’urgence. Ces événements feront 13 morts, des centaines de blessés et provoqueront sans doute plus d’un milliard d’euros de dégâts matériels.
Dès le 14 mai, le gouvernement prend la décision de suspendre le réseau TikTok sur tout l’archipel, estimant que la diffusion sur ce réseau de « vidéos violentes » provoque « l’excitation de la population » . C’est la première fois, en France, qu’un réseau social a été interdit par l’État. Pour y parvenir, le gouvernement n’a pas pu s’appuyer sur la loi de 1955 relative à l’état d’urgence, car celle-ci ne permet des restrictions sur la liberté d’expression qu’en cas de provocation ou d’apologie du terrorisme. Il s’est appuyé sur la notion de « circonstances exceptionnelles » , validée par le Conseil d’État pendant le covid-19, qui permet de prendre des décisions allant au-delà du droit commun dans de telles circonstances.
Cette interdiction a été levée le 29 mai.
Décision sur le fond
Entretemps, plusieurs associations – dont la Ligue des droits de l’homme – et collectifs citoyens de Nouvelle-Calédonie avaient saisi en référé le Conseil d’État pour exiger que cette décision de bloquer le réseau soit suspendue. Le juge avait alors refusé, estimant que cette suspension du réseau était « limitée » et « temporaire, le gouvernement s’étant engagé à lever immédiatement ce blocage dès que les troubles auront cessé ».
Par la suite, les mêmes associations ont de nouveau attaqué cette décision pour « excès de pouvoir », et le Conseil d’État, cette fois, s’est prononcé sur le fond.
Dans sa décision, le Conseil d’État ne remet pas en cause le fait de suspendre un réseau social en cas de « circonstances exceptionnelles », mais pose un certain nombre de conditions dont une au moins n’a pas été respectée par le gouvernement, ce qui a conduit le juge à déclarer « illégale » la décision prise en mai 2024.
Erreur de droit
Le Conseil d’État répète que pendant l’état d’urgence, un gouvernement peut prendre des mesures ne figurant pas expressément dans la loi du 3 avril 1955 en cas de « circonstances exceptionnelles » , lorsqu’aucune des mesures prévues par la loi « n’est de nature à répondre aux nécessités du moment ». Il estime par ailleurs que l’existence des réseaux sociaux fait partie intégrante des possibilités garantissant « la libre expression des pensées et des opinions » garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et « condition de la démocratie ».
Néanmoins, poursuit le juge, l’interdiction d’un réseau social peut être envisagée si elle est « indispensable pour répondre aux nécessités du moment » , mais sous deux conditions : premièrement, qu’il n’existe pas « d’autres moyens techniques qui permettent dans l’immédiat de prendre des mesures moins attentatoires aux droits et libertés » ; et, deuxièmement, que cette mesure « soit prise pour une durée n’excédant pas celle requise pour rechercher et mettre en œuvre » des mesures alternatives.
L’examen de la situation au 14 mai, en Nouvelle-Calédonie, conduit le juge à estimer que le gouvernement était en droit de suspendre le réseau TikTok : ce réseau a en effet « été utilisé pour diffuser des contenus incitant au recours à la violence et se propageant très rapidement, compte tenu des algorithmes auxquels recourt ce réseau auprès de ses utilisateurs » . Jugeant que ce réseau « était de nature à aggraver la situation » , le Premier ministre « était en droit » de décider de son interdiction.
Mais il a commis une faute de droit, en revanche, en prononçant une interdiction « pour une durée indéterminée, liée seulement à la persistance des troubles à l’ordre public, sans subordonner son maintien à l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures alternatives ».
Dans ces conditions, le Conseil d’État juge cette décision illégale, ayant porté « une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’expression » . Cette décision est donc annulée – ce qui n’a aucune portée concrète dans la mesure où l’interdiction a été levée depuis des mois – et l’État est condamné aux dépens.
Pour les associations concernées, cette « victoire » a un goût plutôt amer, dans la mesure où le Conseil d’État a surtout donné une sorte de « mode d’emploi » pour pouvoir procéder, légalement cette fois, à d’autres interdictions du même ordre. On se rappelle que pendant les émeutes de l’été 2023, des voix s’étaient déjà élevées pour demander la suspension de TikTok qui diffusait, déjà, des images de jeunes émeutiers incendiant des bâtiments publics.
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