Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 20 octobre 2023
Emploi

Les territoires zéro chômeur longue durée sont en péril

Depuis le mois d'octobre, les territoires engagés dans l'expérimentation « zéro chômeur longue durée » savent que leurs recettes vont diminuer. L'État a en effet décidé de réduire à partir de ce mois-ci sa contribution financière au développement de l'emploi (CDE), versée pour chaque chômeur longue durée embauché. Son aide, jusque là calculée sur 102 % du SMIC descend désormais à 95 %. Dans les territoires, les acteurs locaux oscillent entre sidération, incompréhension, fatalisme et colère…

Par Emmanuelle Stroesser

C'est peu dire que cette décision de l’État, apprise à la lecture du journal officiel en plein été, a mis en colère le président de l'association Territoires zéro chômeur longue durée, Laurent Grandguillaume. Mais il ne décolère pas car s'annonce une autre coupe, découverte début octobre, celle de 20 millions d'euros sur le budget dédié à l'expérimentation dans le projet de loi de finances 2024, réduit donc à 69 millions au lieu des 89 « nécessaires pour mettre en œuvre le droit à l'emploi tel que prévu par la loi », explique Laurent Grandguillaume. « C'est toute l'expérimentation qui est percutée, les 58 territoires déjà engagés comme la centaine d'autres qui voudraient y entrer », indique l'ancien député (1). Il redoute que si ce budget n'est pas rétabli, d'autres coupes bugétaires suivent les années suivantes, « ce qui serait tout simplement un coup d'arrêt au projet ». 

Les représentants des territoires concernés se sont donné rendez-vous devant l'Assemblée nationale mardi prochain pour dénoncer ce qu'ils perçoivent comme une double hypothèque mise sur cette expérimentation par l'État.  

Instabilité économique et recrutements ralentis 

Les impacts sont loin d'être anodins pour les entreprises à but d'emploi qui localement salarient les chômeurs, recrutés dans le cadre de cette expérimentation (tous en CDI et payés au SMIC). Leur modèle économique est fragile. C'est même inhérent à cette expérimentation. Cette contribution de l’État (complétée par celle des départements) a justement été pensée pour assurer la partie stable de l'édifice qui permet de déployer des activités dont certaines ne peuvent prétendre à la rentabilité, en tout cas pas à court terme. Ces entreprises répondent cependant à des besoins locaux, au service d'un territoire, de ses habitants et de la création d'emplois (en CDI et à temps choisi) pour des personnes qui en étaient pourtant parfois très éloignées.

« Cela va créer des difficultés voire des inégalités car certains territoires peuvent avoir besoin de plus de temps pour trouver les moyens financiers qui permettent de stabiliser une activité », pointe Laurent Grandguillaume. Ce que redoute l'association se vérifie déjà : les territoires mettent le frein sur les projets d'embauche comme le confirment plusieurs élus et directeurs d'EBE.  « Notre mission d'exhaustivité – autrement dit d'embaucher tous les chômeurs longue durée volontaires sur un territoire – est clairement menacée, et avec elle le projet même », s'insurge Bastien Bernela, président du comité local pour l'emploi de Poitiers qui assure la conduite politique de l'expérimentation sur trois quartiers en politique de la ville.  

À Mauléon, dans les Deux-Sèvres, la baisse de la contribution fait perdre à l'EBE « 1000 euros par salarié par an », « à raison de 80 salariés, la note s'élève entre 85 et 90 000 euros », calcule le maire Pierre-Yves Marolleau, qui ne comprend toujours pas pourquoi une telle décision a pu être prise. Ici, l'EBE créée il y a près de six ans « n'a cessé d'augmenter son chiffre d'affaires – hormis en 2020 à cause du Covid – passant de 80 000 à plus de  400 000 » , elle est aujourd'hui « quasi à l'équilibre », « mais avec l'aide de l’État ». « J'en ai connu dans ma vie de maire des expériences qui coûtaient chers et marchaient cahin caha, mais là on a des résultats, il y a tout ce qui ne se calcule pas, de coût social du chômage, comment peut-on négliger cela ? », interroge l'élu. « J'attends que ceux qui prennent ces décisions soient capables de venir annoncer aux personnes salariées que tout s'arrête, en tout cas, ce n'est pas moi qui le ferait ! », assure l'élu qui comme d'autres se mobilise dans les territoires pour la manifestation de mardi prochain, devant l'Assemblée nationale, et pour faire signer la pétition qui circule en ligne depuis quelques jours. 

Cette décision est incompréhensible, et surtout « contre-cyclique », conclut Laurent Grandguillaume. Alors que l'Union européenne a décidé de dégager un budget pour essaimer l'expérimentation et que d'autres pays européens se lancent à leur tour, « avec parfois bien plus de moyens comme en Belgique où la Wallonie mise 100 millions pour 17 territoires quand après huit ans d'expérimentation le gouvernement propose 69 millions pour 58 territoires » 

(1) C'est en tant que député qu'il a porté la première loi du 29 février 2016 créant l'expérimentation, à l'époque sur dix territoires, et élargie à au moins 50 territoires supplémentaires depuis la loi du 14 décembre 2020.

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