Les métiers du grand âge en quête de visibilité et de reconnaissance
Par Emmanuelle Quémard
Invisibles, mais essentiels. Epuisés, mais toujours sur la brèche. Professionnellement peu reconnus, mais fiers d’exercer un métier riche de sens. Tel est le contre-portrait des acteurs de la prise en charge du grand âge qui se dessine à travers la dernière étude de l’Observatoire MNT (Mutuelle nationale territoriale), Les métiers territoriaux du grand âge, des professionnels du lien en quête de stabilité.
Publié en partenariat avec l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas), ce document de 80 pages s’appuie sur une soixantaine de témoignages d’agents territoriaux, d’élus locaux et d’experts. Il analyse les difficultés - parfois les souffrances - vécues par les personnels spécialisés dans le domaine du vieillissement et de la dépendance.
L’étude recense également les expérimentations et les démarches innovantes conduites en France et à l’étranger pour mieux accueillir, aider et soigner les personnes très âgées et fragilisées. Elle formule, par ailleurs, plusieurs propositions susceptibles de redynamiser les carrières et favoriser les recrutements dans ce secteur dont le poids économique et social ne cesse de croître. En effet, si la France comptait 1,4 million de personnes âgées de plus de 85 ans (dont 20 % en perte d’autonomie) en 2021, cette population devrait atteindre 5 millions de personnes en 2060.
Diversité des profils, organisation complexe
Les auteurs de l’étude s’attachent dans un premier temps à décrypter la multitude de profils qui interviennent auprès d’un public fragilisé par les années et la perte d’autonomie. Parmi les 830 000 salariés (en équivalent temps plein) officiellement recensés dans ce secteur cohabitent une très grande diversité de statuts et de parcours professionnels. En effet, la prise en charge du grand âge est assurée à la fois par « des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, des contractuels et par des salariés de structures privées ou associatives ». Dans cet univers hétérogène, les collectivités territoriales jouent un rôle majeur puisqu’elles emploient 56 000 agents (fonctionnaires ou contractuels), toutes structures et tous métiers confondus (y compris les métiers supports). Au total, ce sont 37 900 agents des collectivités qui exercent les métiers d’aides à domicile et 15 100 autres qui interviennent auprès des personnes âgées en tant qu’aides-soignants. Plus de neuf de ces agents sur dix sont des femmes.
Diversité des statuts, mais aussi diversité des dispositifs mis en œuvre pour prendre en charge une population très âgée. L’étude cite notamment les maisons de retraites privées ou mutualistes, les foyers-logements, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dont la moitié est en gestion publique. « Ces derniers se répartissent entre structures hospitalières et établissements gérés par les communes et les intercommunalités, via leur CCAS ou CIAS », observent les auteurs du document qui notent, par ailleurs, que « l’organisation des services à domicile mobilise quant à elle de plus en plus le bloc communal ». Autre difficulté structurelle pointée : « les financements croisés entre conseils départementaux et agences régionales de santé » qui rendent difficilement lisibles les politiques publiques menées sur le terrain.
Des métiers en crise
L’étude de la MNT insiste par ailleurs sur « les métiers en crise » et les « conditions de travail difficiles » qui caractérisent le secteur du grand âge. Elle met notamment en lumière le taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles « trois fois supérieur à la moyenne nationale », mais aussi la pénibilité physique et l’épuisement mental éprouvés par la plupart des agents. Conjugués à des plannings souvent fractionnés en raison des nombreux emplois à temps partiels, de la faible proportion de personnels titulaires et des salaires généralement peu attractifs, les métiers du grand âge et de la dépendance suscitent de moins en moins de vocations. Dans ce contexte, la situation professionnelle de celles et ceux qui interviennent au domicile des personnes fragilisées ou dans les structures d’hébergement et de soins devient particulièrement pénible. « Les absences non remplacées, faute de candidats, entraînent un glissement des tâches vers des personnels moins qualifiés et une surcharge de travail pour les agents présents » , indiquent les auteurs tout en soulignant que « la précarité des professionnels du grand âge se joue à la fois au niveau de leur non-titularisation et d’un temps de travail partiel ».
Des dispositifs innovants imaginés à l’étranger
Parallèlement au constat de la situation difficile vécue sur le terrain par les personnels, la nouvelle étude de l’Observatoire MNT passe en revue les stratégies de la prise en charge du vieillissement à l’étranger. Principal enseignement : les pays voisins de la France mobilisent davantage de moyens humains pour intervenir auprès de la population la plus âgée. Ainsi, alors que l’Hexagone compte 0,6 agent pour un résident (avec les fonctions support), on atteint un ratio de 1 à 1,2 agent en Suisse, en Allemagne ou au Danemark. La comparaison avec les pratiques mises en œuvre à l’étranger montre, en outre, que de nombreux pays confient aux communes l’organisation, la fourniture et le financement des soins, alors qu’en France ce sont les départements et les Agences régionales de santé qui exercent une double tutelle sur les dispositifs, les personnels et les bénéficiaires.
Des pistes pour revaloriser les métiers
Enfin, l’étude de l’Observatoire MNT formule plusieurs préconisations pour donner un nouveau souffle à un secteur jugé socialement essentiel. Le premier défi consiste à mettre un terme à la précarité professionnelle des intervenants. Les auteurs proposent notamment aux employeurs de procéder à des vagues de titularisation des CDD en fonction des budgets annuels, de revaloriser les rémunérations en s’alignant sur les avancées du Ségur de la santé ou encore de prendre en charge les frais kilométriques et le temps de déplacement des personnels. Autres pistes envisagées : le regroupement entre employeurs afin d’assurer des emplois à temps plein et de fidéliser les agents et la montée en compétences des agents.
Il est proposé aussi de s’attaquer à la pénibilité des métiers et à l’usure des professionnels en mettant en œuvre une politique de prévention, notamment grâce aux innovations technologiques. Les auteurs plaident également en faveur d’une compensation de la pénibilité des tâches par un allègement des horaires sans baisse de salaire, par des formations dans la perspective d’une reconversion professionnelle, voire par une réorganisation du travail afin de permettre aux agents de mieux prendre en compte les besoins des bénéficiaires.
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