Le Sénat se prononce aujourd'hui sur le report des élections locales en Nouvelle-Calédonie
Par Franck Lemarc
Ce sont les sénateurs socialistes qui ont déposé cette proposition de loi, mais leur constat fait l’unanimité sur tous les bancs : la tenue des élections au Congrès et aux assemblées de province en Nouvelle-Calédonie d’ici moins de deux mois est « inenvisageable ». On se dirige donc vers un report, qui serait, en réalité, le deuxième.
Dégel du corps électoral
Pour comprendre ce débat, il faut revenir aux origines de la séquence politique qui a, en mai dernier, mis le feu aux poudres en Nouvelle-Calédonie.
Normalement, les élections provinciales auraient dû se tenir le 12 mai dernier, soit cinq ans après les précédentes, comme le prévoit la loi. Mais la réforme du corps électoral voulue par le président de la République et son gouvernement ont changé les choses. On se rappelle que ce projet visait à « dégeler » le corps électoral de la liste dite « spéciale » – celle qui ouvre l’accès aux élections locales en Nouvelle-Calédonie, et qui est « gelée » depuis 1998 et les accords de Nouméa. Suivant un avis du Conseil constitutionnel et estimant « intenable » que plusieurs dizaines de milliers de citoyens installés depuis 1998 ne puissent participer aux élections locales, le gouvernement a donc engagé, avec le soutien des loyalistes, une réforme constitutionnelle permettant d’ouvrir la liste spéciale à environ 25 000 électeurs supplémentaires.
Mais pour donner le temps à cette réforme constitutionnelle d’aller à son terme, il fallait reporter les élections du 12 mai, ce qui a été acté par une loi organique publiée le 16 avril. Cette loi a reporté le scrutin « au plus tard le 15 décembre 2024 ».
Dans l’esprit du chef de l’État, la réforme du corps électoral devait être menée au pas de charge et aboutir en juillet, avec un vote des deux assemblées réunies en congrès. Dans ce cas, les élections provinciales, sur la base de la nouvelle liste électorale, auraient en effet pu se tenir avant la fin de l’année.
L’explosion
Mais le gouvernement n’avait visiblement pas anticipé la colère profonde que provoquerait cette tentative de réforme du corps électoral dans la population kanak. Dès le 13 avril, une manifestation de plus de 15 000 personnes, appelée par les partis indépendantistes, se déroulait à Nouméa, sous une bannière disant « La réforme du corps électoral nous mène à la mort ». Un mois plus tard, le 13 mai, la situation a explosé, avec une véritable insurrection dans toute l’agglomération de Nouméa, conduisant les autorités locales à décréter le couvre-feu.
En quelques semaines, les affrontements entre indépendantistes, loyalistes et forces de l’ordre ont fait 11 morts et des centaines de millions d’euros de dégâts. Cinq mois plus tard, malgré le recul du gouvernement qui a renoncé au projet de loi constitutionnel, la tension n’est toujours pas retombée, le couvre-feu est toujours en vigueur, et la situation économique et sociale de l’archipel est catastrophique (lire Maire info du 8 octobre) : le PIB de la Nouvelle-Calédonie a chuté de 24 %, plus de 20 000 emplois ont été détruits, 900 entreprises ont fermé leurs portes. Les services publics sont quasiment à l’arrêt, le système de santé est en faillite, les collectivités territoriales sous perfusion. Les autorités, aujourd’hui, en sont à craindre « des émeutes de la faim » avant la fin de l’année.
Élections « inenvisageables » à la date prévue
Dans ces conditions, comment espérer que des élections puissent se tenir dans des conditions normales d’ici décembre ? Comme il est expliqué dans l’exposé des motifs de la proposition de loi organique déposée par les sénateurs socialistes, « matériellement, aucune des formations politiques calédoniennes n'envisage à cette heure de s'engager dans un processus de campagne électorale. Aucun acte concret et opérationnel visant à préparer une campagne électorale n'a eu lieu. Aucun travail programmatique, aucune tentative d'organiser une liste électorale, aucune nomination de mandataire financier ne sont envisagés ».
Il est donc demandé au Parlement de « prendre acte de l’impossibilité de tenir des élections au terme des mandats actuels ». Pour les auteurs de la proposition de loi, rien ne pourra se faire tant que l’État ne se sera pas porté « à la hauteur de ses responsabilités » non seulement pour « rétablir la paix civile et apporter des réponses politiques », mais également pour élaborer « un plan d'appui économique et social massif pour la Nouvelle-Calédonie », permettant d’envisager « la reconstruction ». Il est également demandé au gouvernement de « redevenir un facilitateur en évitant de manifester des parti-pris ».
Cette proposition fait l’unanimité. D’abord en Nouvelle-Calédonie même, où l’ensemble des forces politiques qui constituent le Congrès sont d’accord avec l’idée que la tenue des élections en décembre est impossible. En métropole, ensuite : si la proposition de loi émane de la gauche, elle a reçu le soutien de la droite. Le LR Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois, a estimé par exemple que « l’ensemble du territoire n’est pas pacifié et que la situation peut toujours s’embraser à la moindre étincelle. (…) Il convient de se donner un peu de temps pour (…) donner aux différentes parties calédoniennes la possibilité de conclure un accord, dont la question du corps électoral sera, comme toujours, un point essentiel ».
Seul bémol apporté par Philippe Bas : « On ne peut pas indéfiniment laisser le pouvoir à des élus dont le mandat est achevé. (…) le report des élections ne sera constitutionnel que s'il n'excède pas une durée que l'on évalue en général à dix-huit mois. » D’ailleurs, la seule opposition aux mesures proposées porte non sur le report lui-même mais la durée de celui-ci : les indépendantistes souhaitent un délai plus court, avec des élections au 30 mai prochain.
Le texte, composé initialement d’un article unique, propose donc le report des élections au 30 novembre 2025 au plus tard. La commission des lois a simplement ajouté un article pour sécuriser juridiquement le texte en précisant que le mandat des élus du Congrès et des assemblées de province sont « prorogés » jusqu’aux prochaines élections.
C’est ce texte qui sera examiné cet après-midi en séance publique au Sénat. Il a déjà été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, en commission des lois le 30 octobre et en séance le 6 novembre.
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