Le rapport Duron propose une cinquantaine de pistes pour renforcer le modèle économique des transports collectifs
Par Franck Lemarc
L’ancien maire de Caen (Calvados), Philippe Duron, est l’ancien président de l’Agence de financement des infrastructures de transport en France et un fin connaisseur des questions de transport : il a déjà été l’auteur de plusieurs rapports du même type, dont un sur les trains d’équilibre du territoire, qui avait fait date – remettant en cause le tout-TGV et prônant avant tout l’amélioration du réseau existant.
Cette fois, c’est à propos des conséquences de la crise sanitaire sur les transports collectifs que Philippe Duron a été sollicité. Plusieurs autorités organisatrices de la mobilité n’ont pu tenir la tête hors de l’eau, pendant l’épidémie, que grâce aux aides financières accordées par l’État – c’est en particulier le cas de l’Île-de-France. Comme l’a écrit le ministre chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebarri, « la fréquentation des transports publics, malgré une forte reprise ces derniers mois, ne devrait pas retrouver son niveau d’avant crise avant un temps long et incertain pour diverses raisons : télétravail, installation de citadins à la campagne, etc. ». La question se pose donc de la « soutenabilité » du modèle des transports collectifs en France, et il a été demandé à Philippe Duron « d’étudier comment consolider le modèle économique des transports publics du quotidien ».
Conséquences de la crise
Après avoir auditionné associations d’élus, transporteurs, autorités du transport et chercheurs, Philippe Duron a remis au ministre un volumineux rapport de près de 200 pages en conclusion duquel il livre une cinquantaine de « recommandations ».
Il confirme que, après une baisse de 31 % du trafic des transports collectifs urbains en 2020, les réseaux ne prévoient en 2021 qu’un retour « d’une demande comprise entre 70 et 80 % du niveau atteint en 2019 ». La baisse du trafic a lourdement frappé les autorités organisatrices en termes de recettes tarifaires, tant en raison de la baisse de la fréquentation qu’en raison d’un rendement inférieur du versement mobilité – les employeurs ne versant pas celui-ci pour les salariés en chômage partiel. Les régions, indique Philippe Duron, ont perdu en 2020 550 millions d’euros de recettes commerciales.
Il va donc falloir trouver des solutions innovantes en termes de financement, d’autant plus que des investissements très lourds sont à prévoir dans les années à venir pour tenir les nouvelles obligations légales de décarbonation des flottes de transport.
« Sanctuariser » le versement mobilité
Dans ces conditions, la mission recommande en premier lieu « d’élargir le dispositif d’avances remboursables » aux AOM et de pérenniser – comme le prévoit la loi de finances rectificative – le « filet de sécurité » en 2021. Pour les AOM régionales, Philippe Duron propose de mettre là aussi en place un dispositif d’avances remboursables « sous réserve que les régions s’engagent à maintenir un niveau d’investissement élevé ».
En matière de finances toujours, la mission souhaite que le versement mobilité soit « sanctuarisé », « en lui conservant le caractère d’un impôt dû indépendamment de tout service rendu et de conserver les garde-fous actuels : taux plafonds, conditions d’exonération, existence de transports publics réguliers ou en tout cas d’une offre de mobilité suffisamment consistante ». Philippe Duron, tout au long de son rapport, s’élève contre la gratuité du transport collectif – choix fait par certaines collectivités, en vertu du principe de libre administration : il estime qu’il serait nécessaire de « stabiliser voire inverser la tendance des dernières années a la diminution de la part [des usagers] au financement des transports publics ». Pour aller dans ce sens, l’ancien maire de Caen propose des mesures coercitives, comme « la limitation du plafonnement du versement mobilité » pour les AO qui pratiquent la gratuité.
En revanche, il suggère d’abaisser le taux de TVA à 5,5 % sur les transports collectifs, mesure prônée depuis longtemps par l’AMF et le Gart, qui signifierait que les transports serait – enfin – considérés comme un produit de première nécessité.
En matière d’incitation financière la mission souhaite que le forfait mobilité durable (FMD) soit cumulable, dans la fonction publique, avec le remboursement de l’abonnement transport ; et que les employeurs territoriaux puissent « moduler le montant du FMD dans la même limite que le privé », soit 500 € par an.
Transferts de compétences
Au-delà des questions financières, la mission fait un certain nombre de recommandations en matière d’urbanisme : incitations à la production de logements de qualité proches des gares, « conditionner les aides de l’État en matière de transport et d’infrastructures à une politique ‘’mobilité-urbanisme’’ intégrée », redéploiement des offres de transport « du centre-ville vers la périphérie », renforcement de l’intermodalité, etc.
Moins consensuelles, certaines de recommandations de la mission devraient ne pas rencontrer l’assentiment des associations d’élus, en particulier de l’AMF. C’est le cas, par exemple, de la proposition n° 31, où il est recommandé que les communes transfèrent systématiquement la compétence voirie aux intercommunalités « afin de faciliter son aménagement au bénéfice des transports en commun ». On sait l’AMF très hostile à la perte, pour les maires, d’une de leur compétence les plus essentielles. Dans la même veine, Philippe Duron propose (recommandation n° 33) que l’État réfléchisse à « transférer la compétence de stationnement à l’AOM avec compensation financière vis-à-vis des communes ». Philippe Duron, dans son rapport, dit certes « mesurer l’attachement des maires à leurs pouvoirs de police (circulation et stationnement) ainsi qu’à la compétence voirie », mais il estime contre-productif que l’AOM « ne dispose pas de tous les leviers pour favoriser la compétitivité [des services de mobilité collectifs] par rapport à la voiture solo ».
Le gouvernement a indiqué qu’il étudierait les propositions du rapport « avec la plus grande attention » pendant l’été. Qu’en fera-t-il ? C’est la question. À peine un an et demi après la loi d’orientation des mobilités, dont tous les décrets d’application ne sont pas encore parus, et à moins de neuf mois de la fin du quinquennat, il paraît assez peu probable que le gouvernement se lance, dans les mois à venir, dans une grande réforme du transport collectif. Reste que des mesures pourraient parfaitement être prises dès l’automne, dans le cadre de la loi de finances pour 2022, à commencer par l’abaissement du taux du TVA à 5,5 % pour les transports collectifs. Chiche ?
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