Le gouvernement calme la colère des agriculteurs mais irrite les défenseurs de l'environnement
Par Franck Lemarc
Cette fois-ci semble être la bonne : alors qu’après les annonces faites vendredi dernier, les syndicats agricoles avaient maintenu et même augmenté la pression, celles d’hier ont eu pour effet un appel de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs (JA) à lever les barrages. Dès hier soir, de premiers blocages ont été suspendus, d’autres le seront dans la matinée. Seule la Confédération paysanne, à cette heure, appelle à « poursuivre la mobilisation », estimant qu’aucune réponse satisfaisante n’est venue sur la question du « revenu paysan ».
Troubles anormaux du voisinage
C’est un véritable catalogue de mesures qui a été annoncé hier, puis diffusé sous forme de communiqué du Premier ministre. Si la totalité des demandes de la FNSEA (lire Maire info du 25 janvier) n’a pas été satisfaite, on n’en est toutefois pas très loin.
Les « réponses » du gouvernement sont orientées autour de plusieurs axes : souveraineté alimentaire, reconnaissance du métier d’agriculteur, rémunération, protection contre la concurrence, simplification des normes.
Les premières mesures sont plutôt d’ordre symbolique, visant à montrer à quel point, pour reprendre les termes de Gabriel Attal, la France « aime ses agriculteurs » : il sera inscrit dans la loi que l’agriculture « est d’intérêt général au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation ». Le gouvernement entend également inscrire dans la loi la notion de « souveraineté agricole et alimentaire ».
Sujet important pour les maires : le gouvernement promet d’accélérer l’adoption de la proposition de loi sur les « troubles anormaux du voisinage », visant à limiter des actions en justice contre les nuisances sonores ou olfactives des exploitations agricoles, souvent intentées par des « néo-ruraux ». Cette proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale le 4 décembre dernier et a été transmise au Sénat. Gabriel Attal a annoncé hier que le gouvernement portera un amendement « relatif à l’évolution de l’activité de l’exploitation de l’activité agricole dans des conditions normales ». « Quand on choisit la campagne, on l’assume » , a-t-il ajouté à destination des « néo-ruraux ».
Rémunération des agriculteurs
Le plan prévu par le gouvernement prévoit une réflexion sur le calcul des retraites des agriculteurs, et un important travail pour améliorer le respect des lois Egalim : les contrôles seront « doublés », une mission parlementaire va être chargée d’évaluer l’application de cette loi, et le gouvernement promet de mieux contrôler « l’achat de produits durables et de qualité par la restauration collective et la commande publique ». Il veut également porter une « extension de la loi Egalim au niveau européen ».
L’abandon de la hausse du gazole non routier (GNR) a été confirmé, et le gouvernement fait diligence pour l’application de cette mesure : Bercy annonce ce matin que le guichet permettant de demander une avance sur « le taux super-réduit » a déjà été ouvert.
Le gouvernement confirme également le passage à 90 % de la prise en charge des frais vétérinaires pour le traitement des épizooties, et le versement des aides de la PAC d’ici au 15 mars au plus tard.
Des mesures de « compétitivité » ont été annoncées, dont une application directe de la toute nouvelle loi immigration : le secteur de la production agricole va être reconnu comme « secteur en tension », ce qui permettra l’octroi, pour les travailleurs agricoles étrangers, l’octroi d’une carte de séjour temporaire.
Lutte contre la concurrence
Gabriel Attal a affirmé que la France va s’opposer à la signature de l’Union européenne sur l’accord Mercosur – même si l’on se demande comment, dans la mesure où il n’existe pas de droit de véto dans ce domaine. Une mesure va être prise « avant le Salon de l’agriculture » pour empêcher l’importation en France de fruits et légumes traités avec du thiaclopride, un pesticide de la classe des néonicotinoïdes. L’usage de ce produit est interdit en Europe, mais dont l’importation de produits traités hors d’Europe au thiaclopride ne l’est pas. La France entend donc le faire seule.
Simplification
Gabriel Attal a par ailleurs annoncé une longue série de « clauses sectorielles » pour simplifier la vie des différents types d’agriculteurs – éleveurs et viticulteurs en particulier.
Outre des mesures fiscales et la promesse que la France va « porter une évolution de la réglementation européenne » sur les jachères, le gouvernement s’est engagé à publier rapidement le nouveau Plan loup et un nouvel arrêté « encadrant les tirs ».
Quelque 230 millions d’euros de mesures d’aides aux viticulteurs seront amenées entre 2024 et 2025, ainsi que 50 millions d’euros pour l’agriculture bio.
Un « mois de la simplification » est lancé dans tout le pays, sous la forme d’une vaste concertation, sous l’égide des préfets, visant à « interroger la pertinence des normes », et à inscrire d’éventuelles modification dans le futur projet de loi agricole. Ce sera un petit « mois » , puisque le gouvernement s’engage par ailleurs à présenter ce projet de loi « avant le Salon de l’agriculture », soit avant le 24 février.
Sur les dix normes dont la simplification ou la suppression ont été annoncées par Gabriel Attal la semaine dernière (lire Maire info de lundi), le travail a déjà commencé, puisqu’un premier décret, sur le curage des cours d’eau agricoles, a déjà été publié hier.
Reste à traiter, entre autres, plusieurs sujets qui intéressent particulièrement les maires : le chantier des zones humides, la réglementation sur les obligations légales de débroussaillement et celle sur les haies. On notera également que le Premier ministre a annoncé hier le lancement d’un chantier sur « la meilleure protection du foncier agricole dans la politique de l’urbanisme, incluant la question des compensations », sujet sur lequel les maires attendront sans doute des précisions.
Pause sur Écophyto
Enfin, et c’est certainement le sujet le plus sensible, Gabriel Attal a annoncé une « mise à l’arrêt » du plan Écophyto, « le temps de rediscuter les indicateurs, les zonages et les mesures de simplification, par exemple sur le registre numérique, dans un objectif de non-surtransposition, et de préservation de notre environnement et de la santé de nos concitoyens » . Le Conseil stratégique du plan Écophyto est tout simplement « supprimé » et le calendrier de l’Anses (agence de sécurité sanitaire » va être « réaligné » , afin notamment que celle-ci « continue d’intégrer les dernières connaissances scientifiques et techniques » . Enfin, sur les zones de non-traitement (ZNT), dans lesquelles, notamment à proximité des écoles, l’utilisation de produits phytosanitaires est interdite, le gouvernement promet de « faire appel des décisions de justice sur les chartes départementales » . Des associations de défense de l’environnement ont en effet récemment obtenu des tribunaux l’annulation de certains arrêtés préfectoraux approuvant des chartes locales, au motif que celles-ci ne seraient pas assez rigoureuses (lire Maire info du 12 janvier).
Le plan Écophyto, rappelons-le, est le troisième du nom et vise à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires en 2030 de 50 % par rapport à 2017.
Les écologistes « abasourdis »
Ces annonces sur le plan Écophyto, si elles semblent satisfaire les principaux syndicats agricoles, ont fait bondir les associations et partis écologistes ainsi que la gauche – le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, parlant de « contresens total » et de « droit à polluer ».
Du côté d’Europe-Écologie Les Verts, on se dit « abasourdis » , tandis que plusieurs ONG environnementales parlent d’un « recul historique » – France nature environnement évoquant un « très mauvais signal » à l’heure où la biodiversité recule de façon catastrophique. Les militants écologistes insistent sur le fait que les principales victimes des pesticides sont les agriculteurs eux-mêmes, en termes de santé, l’écologiste Marie Toussaint parlant de « cadeau empoisonné aux agriculteurs » . D’autres soulignent le télescopage entre cette décision et les révélations récentes du Monde et de France info, selon lesquelles les principales sources d’eau minérale naturelle du pays sont contaminées par des traces de pesticides. Quant aux élus, ils ont des raisons de s’inquiéter aussi, lorsque l’on sait, comme l’a rappelé la FNCCR au printemps dernier, le surcoût considérable du traitement de l’eau lorsque celle-ci est contaminée par des produits phytosanitaires.
Du côté du gouvernement, on cherche à déminer. L’entourage du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, indique ce matin qu’il n’est absolument pas question « d’abandonner » le plan Écophyto, mais « de prendre le temps de le retravailler pour qu’il soit compris, utile et efficace » . Le cabinet du ministre indique également qu’il n’est pas question de remettre en cause les ZNT.
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