Le fossé se creuse entre les services publics et les besoins de la population
Par Emmanuelle Quémard
Des services publics répondant de moins en moins aux besoins des usagers, une dégradation continue de la qualité de l’action publique, un accès aux administrations de plus en plus inégalitaire et des perspectives financières qui annoncent une accentuation du décrochage des moyens publics pour les années à venir. Tel est le constat sans appel dressé par le collectif Nos services publics dans un rapport publié le 14 septembre.
Élaboré depuis janvier 2023 par une centaine de contributeurs (chercheurs, experts, agents fonctionnaires et contractuels des trois versants de la fonction publique, usagers…), ce document balaie de larges champs des politiques publiques (santé, éducation, transports, justice, sécurité…) et analyse les évolutions de chaque secteur depuis une quarantaine d’années. Si le rapport s’abstient de toute préconisation susceptible d’inverser la tendance du glissement vers un service public « minimum et dégradé », il sera néanmoins envoyé prochainement au gouvernement et fera l’objet d’un débat avec des élus locaux, des parlementaires, des syndicalistes et l’ancien ministre (et fondateur du statut de la fonction publique) Anicet Le Pors, le 26 septembre à l’Assemblée nationale.
Des moyens insuffisants par rapport aux nouveaux besoins sociaux
La première observation du collectif Nos services publics porte sur le fossé qui n’a cessé de se creuser entre les moyens consacrés à l’action publique et l’évolution exponentielle des besoins sociaux. Ainsi le rapport souligne que si « les moyens des services publics augmentent depuis vingt ans », cette montée en puissance ne permet pas de répondre aux exigences nouvelles qui émergent « encore plus rapidement » au sein de la société. Le vieillissement de la population, l’urgence climatique, la désindustrialisation et la concentration des emplois au sein des métropoles, l’accès toujours plus important des jeunes à l’enseignement supérieur constituent, pour les auteurs du rapport, les principaux enjeux auxquels la puissance publique est aujourd’hui confrontée pour satisfaire les nouvelles attentes des usagers. Le document pointe, par ailleurs, l’apparition d’un « espace croissant pour le développement d’une offre privée lucrative de prise en charge des besoins » . Citant, par exemple, les écoles, les établissements de santé ou les structures d’hébergement pour personnes âgées, les auteurs du rapport observent que « les services privés qui se développent se caractérisent par un coût supérieur au coût des services publics et une absence d’accueil inconditionnel » . « Ils sont pourtant fortement – voire intégralement – financés par la puissance publique, et dépendent totalement des infrastructures qu’elle met en place ».
Des inégalités accrues dans l’accès aux services publics
L’accroissement des inégalités dans l’accès aux services publics constitue un autre élément essentiel mis en exergue par le collectif. Les auteurs du rapport dénoncent en particulier « la numérisation des services publics » et « le recul des implantations territoriales des guichets » comme étant à la cause principale « des ruptures d’accès aux droits sanctionnées par le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme ».
Le collectif Nos services publics estime, en effet, que la capacité des services publics à réduire les inégalités est souvent mise à mal « en raison notamment de défaillances dans la régulation publique ». Le document note également que les politiques publiques peuvent même constituer dans certains cas « un facteur d’accroissement des inégalités » , citant l’exemple de l’interdiction des véhicules thermiques les plus polluants dans les principales agglomérations à des fins d’amélioration de la qualité de l’air « alors même que plus du tiers des personnes concernées ne disposent pas du budget nécessaire à un changement de véhicule ».
Les agents eux aussi victimes de la dégradation du service public
Le tableau sans concession dressé par Nos services publics aborde aussi la situation des agents. Une situation qui apparaît comme de plus en plus inconfortable. « Ils assistent au premier rang, à la détérioration des relations entre les services publics et la population, autant qu’ils en subissent directement les conséquences dans leur travail » . Le document évoque notamment la hausse continue de l’absentéisme pour raison de santé des personnels (+ 20 % entre 2014 et 2019 pour les trois versants de la fonction publique et + 33 % dans la seule territoriale sur la même période), la stagnation de la rémunération des agents publics (- 0,9 % depuis 2009 pour les trois versants et + 0,8 % pour les territoriaux en 2020) ou encore la division par quatre du nombre des candidats aux concours de la fonction publique d’État depuis 25 ans, tandis que dans la fonction publique territoriale, seulement 9 420 candidats avaient été admis aux concours en 2019 alors que 10 200 postes étaient proposés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et la Ville de Paris.
Malgré cette situation difficile, les agents publics continuent à jouer un rôle essentiel dans le fonctionnement des services publics et des administrations. Le collectif rappelle que plus de 4 millions de fonctionnaires et 1,2 million de contractuels œuvrent quotidiennement au sein des services de l’État, des collectivités territoriales et des hôpitaux publics pour répondre aux besoins de la population. « Pourtant, force est de constater que la ressource humaine indispensable au bon fonctionnement et au dimensionnement adéquat des services publics vient à manquer », constate le collectif.
Une « perte du capital humain » qui, selon Nos services publics, « contribue aux difficultés croissantes rencontrées par les agents publics et alimente un phénomène de désaffection à l’égard des emplois publics ».
Pour les signataires du rapport, si l’amélioration des conditions matérielles de l’exercice des missions confiées aux agents publics « est évidemment souhaitable », la régénération du sens de l’action collective semble également nécessaire.
« La dégradation des conditions de travail empêche souvent les agents de remplir correctement leurs missions et, partant, entraîne une perte de sens préjudiciable à l’attractivité et à la fidélisation des agents du service public » , conclut le document.
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