Le Conseil d'État ordonne la suspension de l'interdiction de manifester
Le Conseil d’État a ordonné, samedi 13 juin, la levée de l’interdiction de manifester maintenue dans le décret du 31 mai, estimant que cette interdiction porte « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ».
Depuis une dizaine de jours, le gouvernement est confronté à une situation inédite : d’un côté, les mesures prises au nom de la lutte contre l’épidémie interdisent, depuis la mi-mars, toute manifestation de rue et tout rassemblement de plus de 5 000 personnes. De l’autre… les manifestations se multiplient : manifestations et rassemblements contre les « violences policières » et le racisme, dans tout le pays ; manifestations de policiers s’estimant insuffisamment soutenus par le ministre de l’Intérieur ; manifestation prévue des personnels de santé, demain, dans plusieurs villes. L’exécutif a trouvé une forme de parade en tolérant les rassemblements mais en leur interdisant de défiler – comme cela a été le cas, samedi à Paris, où le cortège organisé par le comité Adama Traoré a été bloqué par les forces de l’ordre place de la République.
Les arguments du Conseil d’État
Dans ce contexte, plusieurs organisations, dont la CGT, Sud-Solidaires, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l’homme et SOS Racisme ont déposé, la semaine dernière, des recours devant le Conseil d’État pour demander la suspension de cette interdiction de manifester.
Le Conseil d’État a statué sur ces demandes et jugé recevable les demandes de ces organisations. En effet, selon les juges, « l’exercice de la liberté d’expression, notamment par la liberté de manifester et de se réunir, constitue une liberté fondamentale ». Certes, celle-ci doit être conciliée avec « le respect de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et avec le maintien de l’ordre public », mais une telle conciliation n’est pas impossible, selon les magistrats.
Le respect des mesures barrières est possible lors de l’organisation de manifestations publiques, selon le Conseil d’État, même s’il revêt « une complexité particulière compte tenu de la difficulté d’en contrôler les accès et la participation ». Mais « complexe » ne veut pas dire « impossible en toute circonstance ». De plus, l’avis du Conseil scientifique, rendu le 8 juin en prévision de la tenue du second tour des élections municipales, « ne témoigne pas d’une reprise de l’épidémie ». « L’interdiction des manifestations sur la voie publique mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes ne peut, dès lors, sauf circonstances particulières, être regardée comme strictement proportionnée aux risques sanitaires désormais encourus. »
Le Conseil d’État note également que si le décret du 31 mai permet aux préfets, à titre dérogatoire, d’autoriser certaines manifestations jugées « indispensables à la continuité de la vie de la nation », cette possibilité n’a jamais été mise en œuvre. Résultat : des manifestations se sont tenues quand même, réunissant parfois « plusieurs milliers de personnes », sans que « la forme, le trajet, les modalités de leur déroulement » aient pu faire l’objet d’un échange entre les organisateurs et la préfecture.
Enfin, les magistrats soulignent que de toute façon, toute manifestation peut, individuellement, être interdite par le préfet s’il la juge de nature à troubler l’ordre public, sans qu’il soit besoin pour cela de prononcer une interdiction « générale et absolue ».
Conclusion : le principe de l’interdiction générale posé par le décret du 31 mai « ne peut être regardé comme une mesure nécessaire, adaptée (…) et proportionnée ». Il constitue donc bien « une atteinte manifestement grave et illégale aux libertés fondamentales ». Le Conseil d’État a donc ordonné, dès samedi, la suspension de cette interdiction. L’État s’est conformé à cette injonction en levant l’interdiction de manifester dans un décret pris hier et publié ce matin (lire article ci-dessus).
Franck Lemarc
Accéder à l’ordonnance du Conseil d’État.
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