Bruno Retailleau relance le débat sur le voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires
Par Franck Lemarc
Cela fait des années que les sénateurs Républicains militent pour faire interdire le port du voile par les accompagnatrices de sorties scolaires. Celui qui était naguère leur président a décidé de relancer le débat, dans un contexte politique différent et probablement plus favorable à une telle initiative.
« Étendre le champ de la laïcité »
C’est dans la longue interview qu’il a accordée au Parisien, hier, que Bruno Retailleau explique qu’il compte faire de la lutte contre « l’islam politique » l’une des priorités principales de son ministère – en ciblant particulièrement « la lutte contre l’islamisme des Frères musulmans », qui cherchent à « miner la cohésion nationale ». Face à leur « entrisme », poursuit le ministre de l’Intérieur, « il faudra étendre le champ de la laïcité à d’autres espaces publics ». Et d’ajouter : « La loi de 2004 sur les signes religieux doit être appliquée : les sorties scolaires, c’est l’école hors les murs. Les accompagnatrices n’ont pas à être voilées. » Plus loin, le ministre répond à la question « ce combat passe-t-il par la loi législative ? » : « Sur les accompagnatrices scolaires, c’est mon souhait. »
L’état du droit
Cette question, qui revient régulièrement sur le devant de la scène depuis les années 2010, a pour l’instant été tranchée par le Conseil d’État, dans un avis rendu en 2013. Celui-ci avait été saisi par le Défenseur des droits pour savoir si ce qu’on appelle communément les « collaborateurs occasionnels du service public » – en l’espèce des mères de famille qui accompagnent les sorties scolaires – doivent être soumis aux mêmes règles que les agents du service public, tenus au respect du principe de neutralité. La réponse du Conseil d’État avait été sans ambiguïté : premièrement, les juges ont rappelé que la notion de « collaborateur occasionnel du service public » n’existe ni dans la loi ni dans la jurisprudence. Dans le champ du service public, il n’y a que deux catégories : les agents publics et les usagers. Puis le Conseil d’État a tranché : « L’emploi par de nombreux textes des expressions ''collaborateurs occasionnels'' ou de leurs synonymes (…) n’entraîne en rien l’application de l’ensemble des sujétions imposées aux agents publics. »
Il est vrai que cet avis du Conseil d’État n’est visiblement pas arrivé jusqu’aux sommets du ministère de l’Éducation nationale, puisque l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer, en avril 2018 (donc 5 ans après cet avis !), disait encore exactement le contraire : « La notion de collaborateur bénévole du service public (…) emporte les mêmes obligations que pour les fonctionnaires et proscrit donc le port du voile. »
Le précédent de 2019
Il paraît donc évident que pour imposer une éventuelle interdiction du port du voile aux accompagnatrices de sorties scolaires, il faut modifier la loi. Bruno Retailleau entretient malgré tout un certain flou en disant, à quelques lignes d’écart, deux choses contradictoires, puisqu’il déclare dans un premier temps que « la loi de 2004 doit s’appliquer », puis parle de la nécessité d’une nouvelle loi. Que comprendre ?
La loi de 2004, rappelons-le, dispose que le port des signes religieux ostentatoires est interdit « dans les écoles, les collèges et les lycées publics ». Le mot important, ici, étant « dans », qui veut clairement dire « à l’intérieur des bâtiments ». C’est là que Bruno Retailleau donne une interprétation particulière en disant que « les sorties scolaires, c’est l’école hors les murs », sous-entendant que les règles qui s’appliquent « dans » l’école pourraient également automatiquement s’appliquer à l’extérieur.
En réalité, le ministre sait très bien qu’une telle interprétation n’est pas possible… puisqu’il était co-signataire, en deuxième position, d’une proposition de loi sénatoriale de 2019 visant à transformer la loi de 2004, pour y ajouter la phrase : « La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements ». Le fait d’avoir proposé d’ajouter l’expression « dans ou en dehors des établissements » à la loi montre bien qu’il ne suffit pas de dire que « la loi de 2004 doit s’appliquer », dans sa forme actuelle.
La proposition de loi sénatoriale visait également à inscrire dans la loi ce « statut », actuellement inexistant, de collaborateur occasionnel, en ajoutant au Code de l’éducation une phrase : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs [de laïcité et de neutralité] ».
Ce texte a été adopté par le Sénat le 29 octobre 2019. Le texte a ensuite été transmis à l’Assemblée nationale, qui s’est bien gardée de le mettre à l’ordre du jour, et son parcours s’est donc arrêté là. De toute façon, celui qui dirigeait alors le parti d’Emmanuel Macron, alors largement majoritaire au Palais-Bourbon, avait prévenu que son groupe rejetterait ce texte : « Il n'est pas question d'interdire les signes religieux pour les accompagnateurs scolaires, avait alors expliqué Stanislas Guerini. Nous respectons la loi de 1905 : l'État est laïc mais la société ne l'est pas. »
Mais pour ne rien arranger à la complexité de ce dossier, cette position de l’ancien chef du parti macroniste… n’est pas celle d’Emmanuel Macron lui-même. Celui-ci avait en effet déclaré, au contraire, en avril 2018, que lorsque ces mères de famille sont « en responsabilité pour l’école, elles n’ont pas à porter le foulard. (…) Elles sont quasi-fonctionnaires, collaboratrices occasionnelles du service public, elles ne peuvent pas porter le foulard. »
Une majorité possible
Bruno Retailleau semble donc décidé à remettre cette question à l’agenda du Parlement, dans une situation politique toute différente de celle de 2019 : aujourd’hui le Rassemblement national et ses alliés comptent 140 députés à eux seuls, auxquels s’ajouteront certainement tout ou partie des 47 députés LR sur ce sujet. Dans la mesure où le texte serait présenté par le gouvernement, il paraît probable qu’une partie au moins des députés du « bloc central » le votent. D’autant que le groupe « Ensemble » de 2025 n’est plus le groupe « La République en marche » de 2019, ayant opéré, depuis, un net glissement vers la droite. Il ne paraît donc pas du tout exclu qu’un tel texte puisse désormais trouver une majorité à l’Assemblée nationale.
Le ministre de l’Intérieur en profitera-t-il pour ajouter au texte une extension de l’interdiction du port du voile dans les universités ? Il s’y est en tout cas, hier, dit « favorable ». Voilà qui promet encore des débats particulièrement âpres au Parlement, lorsque le ministre de l’Intérieur passera aux actes.
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