Burkini à Grenoble : l'État attaque la décision du conseil municipal, l'AMF demande des « clarifications »
Par F.L.
C’est une question qui fait grand bruit depuis plusieurs semaines : le maire écologiste de Grenoble, Éric Piolle, a décidé de proposer à son conseil municipal de délibérer sur un arrêté assouplissant les règles d’accès aux piscines municipales de la commune : l’arrêté autorise, d’une part, les maillots de bain « couvrants », y compris ce que l’on appelle le burkini, c’est-à-dire une sorte de combinaison couvrant le tronc, les bras, les cheveux et une partie des jambes, défendu par certaines femmes musulmanes au nom de la « pudeur » ; mais aussi, a contrario, l’accès à la piscine pour les femmes souhaitant se baigner avec la poitrine nue. L’intention affichée du maire de Grenoble étant de laisser les femmes « libres de se baigner dans la tenue qu’elles veulent, qui ne nous regarde pas ».
Cette décision du maire de Grenoble a soulevé une vive opposition, d’abord dans le cadre des discussions qui ont eu lieu à la métropole, où 45 maires sur 49 se sont dit opposés à cette décision – allant jusqu’à signer une tribune dans la presse pour demander à Éric Piolle de renoncer à son projet. Puis, au conseil municipal lui-même, où la délibération n’a été adoptée que par deux voix d’écart (29 voix pour, 27 contre et deux abstentions) – 13 élus de la majorité municipale ayant voté contre.
Plages et piscines : pas les mêmes règles
Cette question du burkini n’est pas nouvelle : on se rappelle qu’en 2016, plusieurs maires avaient pris des « arrêtés anti-burkini », qui s’étaient vu immédiatement annuler par le Conseil d’État. Ces arrêtés, avaient estimé les magistrats, portaient atteinte à la fois à la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle, et ne pouvaient être justifiés par des risques de troubles à l’ordre public ni par des manquements à l’hygiène.
Cette décision du Conseil d’État, concernant les plages, ne peut pas s’appliquer par parallélisme aux piscines, a tenu à rappeler hier l’AMF, « par souci de précision », dans un communiqué. En effet, « la situation juridique est différente » pour ce qui concerne, d’une part, les plages, et, d’autre part, les piscines publiques, pour lesquelles les conseils municipaux et communautaires ont l’obligation de fixer un règlement, qui relève « de leur seule responsabilité », et qui leur permet de « réglementer (…) les tenues autorisées et prohibées ». Sans se prononcer sur le fond de cette décision, l’AMF relève donc que le conseil municipal de Grenoble est juridiquement dans son droit en délibérant sur cette question. Mais elle souligne que le Code du sport, qui « fixe les prescriptions communes obligatoires à tous les règlements intérieurs des établissements nautiques », « ne dit mot des tenues de baignade et laisse donc les élus locaux sans cadre national ».
Opposition frontale dans les deux camps
Dans cette affaire, deux visions s’affrontent frontalement. Les adversaires de la décision mettent en avant « la lutte contre le communautarisme » et « la défense de la laïcité ». C’est ce qu’on écrit, par exemple, les maires de la métropole signataires de la tribune, qui écrivent notamment : « Le débat sur le burkini nous est imposé par des groupes minoritaires, dont le seul objectif est de tester en permanence la sensibilité de nos institutions au fait religieux. Ainsi, les piscines publiques sont depuis plusieurs années devenues un enjeu. Nous le refusons. » C’est également la position du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, qui dès la décision votée au conseil municipal, hier, a annoncé qu’il suspendait toute subvention de la région à la ville, estimant que ce vote « est en rupture totale avec toutes les valeurs de la République ». Il faut préciser que l’opposition à cette décision dépasse les clivages politiques traditionnels, plusieurs personnalités de gauche s’étant prononcé contre, au nom de la défense des droits des femmes, de la défense de la laïcité et de « l’universalisme ».
Du côté d’Éric Piolle et des partisans de la mesure, c’est également la défense de la liberté des femmes qui est mise en avant, avec l’idée que la collectivité n’a pas à imposer une tenue vestimentaire ou une autre aux femmes dans l’espace public. Un sociologue spécialiste des questions de laïcité, lundi, a également défendu l’idée que cette mesure était, au contraire d’une concession à l’intégrisme religieux, une façon de s’y opposer : « Les fondamentalistes musulmans détestent le burkini et veulent interdire aux femmes d’aller à la piscine, a-t-il expliqué. Accepter le burkini, c’est permettre aux femmes de s’opposer aux fondamentalistes tout en respectant leur religion. »
Déféré-laïcité
Quant au gouvernement, il a, dès avant le vote du conseil municipal, dit son opposition totale à cette mesure, puisque le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’a qualifiée « d’inacceptable provocation communautaire », et a « donné instruction au préfet de déférer en déféré laïcité la délibération permettant le port du burkini ».
Le déféré laïcité, rappelons-le, est une nouvelle possibilité ouverte par la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021. Elle permet aux préfets, comme l’a précisé une circulaire au début de cette année (lire Maire info du 18 janvier), de demander la suspension d’un acte pris par une collectivité, à effet immédiat, avec l’obligation pour le juge administratif de se prononcer sous 48 heures, s’il estime que cet acte « porte une atteinte grave aux principes de laïcité et de neutralité ». « L’organisation des services publics locaux » entre dans le champ de ce nouveau dispositif. Mais il est déjà certain que cela soulèvera de nombreuses questions juridiques : la neutralité du service public, dans la jurisprudence, ne s’applique qu’aux agents et en aucun cas aux usagers. Il est par exemple obligatoire d’interdire à une employée communale de porter le voile dans l’exercice de ses fonctions, mais impossible de demander à une usagère de le faire pour accéder à un service public.
C’est la raison pour laquelle, hier, l’AMF a demandé « des précisions » et « une clarification » sur ce sujet. La première clarification viendra de la jurisprudence, à la suite de la procédure engagée par le préfet. Au-delà, l’AMF estime que c’est une « clarification législative » qui sera nécessaire : « De même que la loi du 15 mars 2004 est venue définir une règle nationale sur le port du voile à l’école, et ainsi sécuriser les décisions prises par les directeurs d’établissements scolaires », une loi pourrait aussi, à l’avenir, « sécuriser les décisions prises par les conseils municipaux et intercommunaux ».
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