Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 31 mars 2021
Laïcité

Le Sénat vote, en première lecture, l'interdiction du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires

Lors de l'examen du projet de loi « confortant les principes de la République », hier, les sénateurs ont adopté un amendement interdisant le port du voile aux accompagnatrices de sorties scolaires, malgré l'opposition frontale du gouvernement.

Par Franck Lemarc

C’est hier qu’a débuté, en séance publique au Sénat, l’examen en première lecture du texte adopté par les députés le 16 février. Et dès le début, les débats ont été très vifs lors de la discussion d’un amendement à l’article 1er présenté par le groupe Les Républicains, relatif aux accompagnatrices de sorties scolaires. Cet amendement a fait resurgir un vieux serpent de mer, déjà plusieurs fois débattu au Sénat et ailleurs : l’autorisation ou pas, au nom du principe de neutralité, du port du voile par les accompagnatrices de sorties scolaires. 

École dans les murs et hors les murs

Plusieurs amendements dans le même sens ont été présentés, hier. Le plus débattu a été celui du groupe LR, disposant, d’une part, que « les personnes qui participent au service public de l’éducation »  sont tenues de respecter les valeurs de laïcité ; et, d’autre part, que l’interdiction des signes religieux ostentatoires s’appliquerait « aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements ». Le sénateur LR Roger Karoutchi a résumé la philosophie de cet amendement avec cette formule : « Cet amendement postule que l’école à l’intérieur des murs n’est pas différente de l’école à l’extérieur des murs. » 
Dès le début de la discussion, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré « s’opposer à ces amendements, par conviction personnelle ». Il a rappelé que la notion de « collaborateur occasionnel du service public », utilisée dans plusieurs des amendements présentés, « n’existe pas en droit », et raillé certains sénateurs qui « défendent avec force l’instruction en famille (tout en demandant) la neutralité aux mères d’élèves de l’école publique ». « Si vous voulez de la neutralité, mettez vos enfants à l’école publique ! », a lancé le ministre. Gérald Darmanin a insisté sur le fait que « la laïcité française n’est pas la neutralité dans l’espace public, (…) elle ne fait exception à la liberté que pour les agents publics. »  Il a enfin ajouté que pour lui, « le port du foulard n’est pas souhaitable », mais que certaines femmes qui le portent « tiennent un discours plus républicain que bien des femmes qui ne le portent pas », mentionnant par exemple Latifa Ibn Ziaten, mère du militaire assassiné à Toulouse par Mohammed Mehra en 2012.
Le ministre, « une fois n’est pas coutume », a reçu le « total »  soutien de la gauche : le Parti socialiste, par la voix de Didier Marie (Seine-Maritime), a fustigé un amendement « dangereux »  parce qu’il instaure « un continuum entre le port du voile, l'islam politique, le séparatisme, le radicalisme, et pourquoi pas, le terrorisme ». « Je préfère la maman qui marche avec la République en accompagnant les sorties scolaires à celle (…) qui met son enfant à l’école privée ou l’instruit en famille. »  Guy Bennaroche (EELV, Bouches-du-Rhône) s’est également insurgé en ciblant le caractère « discriminatoire »  de cette disposition à l’égard des femmes musulmanes. Ou alors, a-t-il questionné, « quand une classe est accompagnée lors d’une visite au camp de déportés des Milles par un survivant qui porte une kippa, doit-on lui demander de l’enlever ? ».

« Acte pédagogique » 

À droite, les sénateurs sont restés fermes sur leur position : Roger Karoutchi, ancien « inspecteur général de l’Éducation nationale », a répété qu’on parle là « du temps scolaire ». Max Brisson (LR, Pyrénées-Atlantiques) a lui aussi l’idée que « une sortie scolaire n'a de raison d'être que si elle est un acte pédagogique : une classe en dehors des murs de l'école, c'est toujours une classe. Tous ceux qui accompagnent cet acte pédagogique participent à la classe et doivent donc s'inscrire dans cette logique de neutralité. »  L’ancien président de la commission des lois, Philippe Bas (LR, Manche), a lui aussi défendu l’amendement, estimant que les accompagnateurs ont « une mission »  et ne sont pas, à ce titre, « des usagers du service public » : « ils ont une parcelle d’autorité ».
L’amendement a finalement été adopté par 177 voix pour contre 141. Il sera certainement un point d’achoppement très marqué lors de la commission mixte paritaire, vu l’opposition très claire du gouvernement, d’un côté, et la détermination de la droite, de l’autre. 

Le « double statut »  du maire

Notons enfin un bref mais intéressant débat qui a eu lieu au sujet du port éventuel de signes religieux par les maires, à l’occasion de la présentation d’un amendement de Jean-Louis Masson (non inscrit, Moselle) proposant l’interdiction du port de signes religieux pour le public assistant aux séances des assemblées délibérantes des collectivités locales. L’amendement a été rejeté sans grande discussion, mais à cette occasion, le ministre de l’Intérieur a rappelé un point de droit peu connu : un maire ne peut pas porter de signe religieux ostentatoire lorsqu’il célèbre un mariage, par exemple, mais peut le faire lorsqu’il préside le conseil municipal. Dans le premier cas en effet, il agit en tant qu’agent de l’État – et est à donc à ce titre soumis au principe de neutralité. « Mais lorsqu’il préside le conseil municipal, il ne le fait pas en tant qu’agent de l’État, a rappelé le ministre, et les règlements intérieurs des conseils des collectivités locales ne peuvent limiter la liberté d’expression, même religieuse. »  Gérald Darmanin a rappelé que le maire est « le seul élu relevant de ce double statut ». 

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