Maire-info
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Édition du lundi 14 octobre 2024
Justice

Une commune ne peut octroyer la protection fonctionnelle avant le déclenchement de poursuites pénales, tranche le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel vient de rendre sa décision sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant directement les maires. Il a estimé que la différence de traitement, en matière de protection fonctionnelle, entre les maires et les agents publics, n'est pas inconstitutionnelle. Explications.

Par Franck Lemarc

C’est l’aboutissement d’un long feuilleton juridique qui oppose depuis 2020 une commune des Bouches-du-Rhône à la justice : le Conseil constitutionnel, dans une décision publiée au Journal officiel du 11 octobre, a donné tort à la commune. 

Long feuilleton juridique

Tout a commencé en décembre 2020. Le maire de la commune fait alors l’objet d’une enquête préliminaire diligentée par le parquet national financier, qui le conduira en garde à vue. Le conseil municipal, par une délibération du 23 décembre 2020, a accordé au maire le bénéfice de la protection fonctionnelle, c’est-à-dire la prise en charge par la commune des frais d’avocat et de procédure. 

Le 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette délibération et estimé qu’en octroyant la protection fonctionnelle au maire, le conseil municipal a « entaché sa délibération d’une erreur de droit ». Il s’est appuyé  sur l’article L2123-24 du CGCT qui dispose que la commune « est tenue d’accorder sa protection au maire »  lorsque celui-ci « fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions ». Les mots importants sont, ici, « poursuites pénales » : en effet, a statué le tribunal, une enquête préliminaire, même assortie d’une garde à vue, ne rentre pas dans le champ de ce que l’on appelle des « poursuites pénales »  à laquelle elle est, précisément… préliminaire. Une enquête préliminaire « constitue un acte d'investigation sans contrainte antérieur à toutes poursuites pénales », ont rappelé les juges. Au moment de la délibération, le maire n’ayant pas été renvoyé devant une juridiction correctionnelle ni même mis en examen, il n’y avait pas de « poursuites pénales », et la commune n’avait pas à accorder la protection fonctionnelle. 

L’affaire ne s’est pas arrêtée là, puisque la commune a fait appel devant la cour d’appel administrative de Marseille. En s’appuyant cette fois sur un nouvel argument : certes, le CGCT dispose que la protection fonctionnelle ne peut être apportée au maire qu’en cas de « poursuites pénales ». Mais le Code général de la fonction publique, lui, à l’article L134-4, dit tout autre chose à propos des « agents publics » : « Lorsque l'agent public fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. (… Celle-ci) est également tenue de protéger l’agent public qui (…) est placé en garde à vue. »  Or, ont soutenu les conseils de la commune, un maire a bien la double casquette d’exécutif de la commune et d’agent de l’État. En tant que tel, il entre bien dans le champ de cet article du Code général de la fonction publique. Les défenseurs de la commune sont même allés plus loin, estimant que s’il existe en l’espèce une différence de traitement entre maires et agents publics, celle-ci constitue une « rupture d’égalité »  et est donc inconstitutionnelle. 

Ils n’ont pas convaincu les juges de la cour d’appel administrative. Sur l’affaire elle-même, ceux-ci ont estimé, dans une décision du 17 octobre 2023, que les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle des élus sont « exclusivement régies »  par les règles fixées dans le Code général des collectivités territoriales. Ils ont également jugé que la situation des maires, en la matière, diffère de celle des autres agents publics, « eu égard à leurs missions et aux conditions d'exercice de celles-ci ». La cour d’appel a donc confirmé le premier jugement : la commune n’avait pas le croit d’octroyer la protection fonctionnelle, en l’absence de « poursuites pénales ». 

Elle a par ailleurs refusé de se prononcer sur la question de la « rupture d’égalité » : ce sujet, selon les juges marseillais, « ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité [QPC] présentée dans les formes ». Autrement dit, il revient au Conseil constitutionnel d’en décider. 

« Situations différentes » 

L’affaire est donc remontée jusqu’au Conseil d’État, qui a saisi le Conseil constitutionnel sur cette question. La commune, ainsi que l’Association des maires de Guyane et l’Association des communes et collectivités d’Outre-mer, qui s’y sont joints, ont tenté de faire valoir à cette occasion que les dispositions en apparence contradictoires du CGCT et du Code général de la fonction publique « instaureraient une différence de traitement injustifiée entre les élus municipaux et les agents publics au motif que seuls ces derniers bénéficient d'une protection fonctionnelle lorsqu'ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale ». Il s’agirait, ont-ils plaidé, « d’une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi ». 

Les Sages ont répondu clairement non. Ils ont rappelé que certes, l’un des principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Mais que pour autant, ce principe ne s’oppose pas « à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes », pourvu que « la différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». 

En l’espèce, les Sages estiment que le législateur a bien « réglé de façon différente des situations différentes »  en définissant des règles différentes pour les élus et pour les agents publics, « au regard notamment de la nature de leurs missions et des conditions d'exercice de leurs fonctions ». « Compte tenu de cette différence de situation, le législateur n'était donc pas tenu de les soumettre aux mêmes règles de protection fonctionnelle. » 

Ces dispositions ne sont donc nullement contraires à la Constitution, ont tranché les Sages. 

L’affaire est donc définitivement close. Une commune ne peut accorder la protection fonctionnelle au maire ou à un élu qu’à partir du moment où des poursuites pénales ont effectivement été engagées, pas avant, même en cas de garde à vue.

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