« L'État doit faire confiance aux communes qui sont les piliers de la République »
Par Xavier Brivet - Bénédicte Rallu
Dans un entretien accordé à Maires de France, François Baroin et André Laignel, président et premier vice-président délégué de l'AMF, déplorent la gestion centralisée de l'État, la perte d'autonomie financière des collectivités et l'incapacité de l'État à faire confiance aux maires.
A l'approche du 103e Congrès de l’AMF, ils appellent de leurs voeux l'adoption d'une loi approfondissant les libertés locales. Maire info publie un extrait de cet entretien consultable en intégralité sur le site mairesdefrance.com
À six mois de la fin du quinquennat, quel bilan tirez-vous des relations entre l’État et les collectivités depuis 2017 ?
François Baroin : nous avons un problème culturel avec l’État qui dépasse ce seul gouvernement. Nous, élus, privilégions les libertés locales garantes de l’efficacité de l’action publique. Notre état d’esprit n’est pas d’être en face de l’État mais d’être à ses côtés. L’État, lui, privilégie la centralisation. Sous ce quinquennat, la nationalisation de la taxe d’habitation, principal impôt local, et l’encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités en témoignent. Or, durant la crise sanitaire, l’État a fait ce qu’il a pu, mais nous, élus, nous avons fait tout ce qu’il n’a pas pu et c’est immense ! Distribution des masques pour la médecine de ville oubliée par le gouvernement et à la population, organisation des tests de dépistage, vaccinodromes, tout ceci a reposé sur les maires et leurs partenaires. Ils ont été au rendez-vous de l’intérêt général, de l’utilité et de la protection de la population. La crise a nécessité tout sauf une réponse centralisée.
André Laignel : les relations avec l’État continuent de se dégrader. Notre capacité en tant qu’élus de lever l’impôt est en recul important avec la nationalisation des impôts locaux – la taxe d’habitation (TH) et la taxe sur l’électricité – et la suppression d’une partie des impôts économiques. Les élus ne maîtrisent plus les recettes dont ils ont besoin pour répondre aux attentes de leurs concitoyens. Priver les collectivités de l’autonomie fiscale, c’est les priver de libertés. Il y a aussi l’état d’esprit : en permanence, l’État considère les collectivités comme les sous-traitantes de ses politiques. C’est inacceptable ! Les communes sont les piliers de la République, elles ne sont pas le bras armé ou désarmé d’un État qui ne peut plus intervenir sur tous les sujets.
La période où les maires étaient accusés tour à tour d’être clientélistes, dépensiers et trop nombreux est-elle, selon vous, révolue ?
A.L. : cela se dit moins mais cela se pense-t-il moins ? Dans les faits, considérer les élus comme des supplétifs corvéables à merci, supprimer leurs impôts, encadrer l’utilisation de certains crédits d’État comme ceux de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), sans les consulter, témoigne d’une dérive.
F.B. : il y a eu des slogans insultants et inacceptables. Aujourd’hui, il faudrait beaucoup de courage pour affirmer que les élus s’en mettent plein les poches, qu’ils ne servent à rien et que leurs dépenses sont inutiles ! Les élus ont gagné la bataille de l’opinion par leur travail collectif, notamment dans des circonstances graves comme la crise sanitaire. Dans les périodes de difficultés, ils sont et seront toujours au rendez-vous de la protection de la République.
Les Français se sont fortement abstenus lors des dernières élections locales. Comment y remédier ?
F.B. : c’est un sujet majeur. Le Covid-19 explique en partie qu’ils aient boudé les urnes. Le fait démocratique est aussi tourmenté par le fait communautaire, relayé par les réseaux sociaux. Les maires restent les meilleurs garants du pacte républicain.
A.L. : nos concitoyens s’adressent prioritairement aux maires pour leur qualité de vie et résoudre leurs problèmes quotidiens. C’est une réalité qui dépasse certains comportements électoraux dont nous espérons tous qu’ils reprendront de la vigueur.
Au fil des enquêtes d’opinion, les Français plébiscitent régulièrement les maires. Pourtant, les agressions à leur encontre se multiplient. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
A.L. : cette violence ne s’exerce pas seulement contre les maires mais contre toutes les institutions et les autorités, de la part d’une minorité de nos concitoyens. C’est un problème de société, de civisme. Les gens ne dialoguent plus. Le problème numéro un des maires actuellement est de régler des problèmes de voisinage !
F.B. : il y a une montée incontestable de la violence. Aujourd’hui, une minorité de citoyens veut s’accaparer le territoire en s’en prenant à ses représentants. Il faut être sans faiblesse face à cette dérive. L’AMF demande aux maires de ne rien laisser passer, de porter plainte quand ils sont agressés. Elle a créé un observatoire sur ce sujet qui est à leur disposition. Elle a aussi demandé à l’État de muscler la réponse judiciaire vis-à-vis des auteurs de ces agressions. Les liens entre les maires et les procureurs ont été resserrés.
L’État reconnaît le rôle important des maires dans la gestion publique mais semble réticent à leur transférer de nouvelles compétences de proximité. Pourquoi ?
F.B. : l’État refuse d’accepter sa perte d’influence, de puissance et son organisation défaillante dans de très nombreux territoires. Il pense toujours que par sa présence, partout sur le territoire, il est le protecteur et corrige les handicaps. En réalité, il les amplifie. Au début de la crise sanitaire, nous avions un ministère de la Santé qui est un producteur de normes, un régulateur budgétaire, hospitalo-centré, qui n’a aucune logistique à sa disposition. Et nous avions sur le terrain une crise de logistique avec des agences régionales de la santé (ARS) qui dupliquaient une doctrine inadaptée. Qui a comblé les trous dans la raquette ? Les élus locaux, au vu et au su de tout le monde.
L’État doit à l’avenir se remuscler dans les domaines où on l’attend – la sécurité, la justice, la défense, la diplomatie, la solidarité, la cohésion nationale, etc., – et décentraliser toutes les politiques de proximité. Les élus locaux ont la confiance des Français. Et je suis assez fier du travail de l’AMF qui a participé depuis plusieurs années à la restauration de cette confiance. Mais la vraie victoire sera l’adoption d’une grande loi sur les libertés locales.
A.L. : les élus qui ont été les plus rapides dans l’approvisionnement des masques n’ont pas été compensés financièrement par l’État, ce qui en dit long sur sa reconnaissance… Les maires sont un capital important pour notre pays que l’État doit faire fructifier en le développant. Il doit s’appuyer sur cette force républicaine en donnant des moyens aux élus et, surtout, en leur témoignant sa confiance. La décentralisation est une nécessité absolue pour notre pays. Les maires sont des partenaires indispensables de l’État. Sans eux, la France subira d’autres crises sans forcément être en capacité de les résoudre.
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Propos recueillis par Bénédicte Rallu et Xavier Brivet
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