Une enquête de l'AMF sur les CRTE met en lumière les « limites » du dispositif
Par Franck Lemarc
Lancés en 2020 par une circulaire du Premier ministre (lire Maire info du 25 novembre 2020), les CRTE sont la concrétisation des « contrats de cohésion territoriale » prévus par la loi du 22 juillet 2019. Ces contrats signés entre l’État et les intercommunalités (ou groupements d’intercommunalités) visent, comme leur nom l’indique, à agir à la fois pour la relance économique et pour la transition écologique : « Toutes les actions inscrites dans le contrat devront veiller à s'inscrire en conformité avec les orientations du gouvernement en faveur de la transition écologique, qu'il s'agisse notamment de la lutte contre l'artificialisation des sols, de l'accompagnement des nouvelles pratiques agricoles et des circuits courts, du développement des mobilités douces, de la rénovation énergétique des bâtiments, du développement de l'économie circulaire, de la préservation de la biodiversité et de la ressource en eau, ou encore de la promotion des énergies renouvelables sur le territoire concerné », écrivait Jean Castex, alors Premier ministre, dans sa circulaire.
Dans un premier temps, le gouvernement avait souhaité que tous les contrats soient signés le 30 juin 2021 au plus tard – calendrier que l’AMF avait jugé intenable. Finalement, la date limite a été repoussée au 31 janvier 2022, ce qui a donné plus de temps aux intercommunalités pour associer les maires à l’élaboration des contrats.
Les élus communaux largement associés
Au 7 juin 2022, 814 CRTE ont été signés, ce qui permet de couvrir la quasi-totalité du territoire – puisque certains contrats sont signés à l’échelle de plusieurs intercommunalités. L’enquête de l’AMF, menée en avril et mai, a été adressée à toutes les structures ayant conclu un CRTE. Environ 20 % de ces structures ont répondu à l’appel (171 réponses), ce qui constitue un panel relativement représentatif. Les services de l’AMF ont également interrogé un certain nombre d’élus, « afin d’obtenir des retours qualitatifs en plus des données statistiques issues de l’enquête ».
Il ressort d’abord de cette étude que dans la grande majorité des cas, les élus communaux ont été « associés à l’élaboration du contrat », (71 % des cas), ce qui était une volonté forte de l’AMF. 90 % des CRTE, par ailleurs, incluent des projets communaux. « Alors que les contraintes calendaires portaient à croire à une démarche centrée sur les intercommunalités, les communes ont pu trouver leur place dans l’élaboration et sont prises en compte comme maîtres d’ouvrage dans le contrat », se félicite donc l’AMF.
Pour ce qui concerne l’élaboration des contrats, l’enquête révèle que dans 62 % des cas, les structures ont estimé avoir « bénéficié d’une ingénierie locale suffisante ». 46 % d’entre elles ont reçu une aide externe en matière d’ingénierie (venant de l’Agence nationale de cohésion des territoires dans la plupart des cas, mais aussi de l’Ademe ou du Cerema). L’élaboration des CRTE a permis « un moment d’échange local autour du projet de territoire », qui a permis de « fédérer les élus au sein de l’intercommunalité en début de mandat », note l’AMF.
Des EPCI qui refusent d’être « guichets uniques »
Dans la mesure où la circulaire de janvier 2020 donnait un rôle central aux intercommunalités, interlocutrices uniques de l’État dans ce dossier, celles-ci se sont retrouvées confrontées à « un positionnement peu évident », écrit l’AMF, puisqu’elles ont dû arbitrer entre des projets communaux et intercommunaux. Des élus intercommunaux témoignent, dans l’enquête, qu’ils ont « refusé de porter ces arbitrages ». Selon l’AMF, il ressort de l’enquête que majoritairement, « les intercommunalités refusent de s’inscrire comme interlocuteurs uniques de l’État à l’échelle infrarégionale », bien que l’État souhaite manifestement en faire des « guichets uniques »
Les CRTE, dans le droit fil de la circulaire du Premier ministre, ont vocation à être des contrats « intégrateurs », appelés à « remplacer progressivement et de manière pragmatique les dispositifs de contractualisation existants de droit commun et thématiques ». Ainsi, la grande majorité des CRTE intègrent des contrats préexistants comme Action cœur de ville, Petites villes de demain, Territoires d’industrie, etc. Par ailleurs, conformément là encore à la volonté du gouvernement, la transition écologique est bien au centre des CRTE : sur les 141 CRTE dont les élus ont répondu à l’AMF, 132 intègrent des actions en faveur de la rénovation thermique des bâtiments public, 130 des actions sur les mobilités douces, 94 sur la gestion de la ressource en eau, 93 sur les énergies renouvelables.
Mais – revers de la médaille – le caractère « intégrateur » de ces contrats les rend « complexes et lourds à gérer », note l’AMF, ce qui, au final, « ne répond à la simplification attendue ».
Les limites des CRTE
Le calendrier particulièrement serré qui a été imposé par l’État n’a pas laissé le temps aux élus d’élaborer des contrats totalement aboutis, souligne l’AMF. De surcroît, les évolutions réglementaires (sur le ZAN, par exemple) et les contraintes financières rendront probablement nécessaire l’adoption d’avenants à la première version des CRTE.
Par ailleurs, il apparaît que l’un des objectifs des CRTE, décrit dans la circulaire (mettre fin progressivement à la multiplication des appels à projets), n’est pas atteint – et les appels à projet continuent de se multiplier. Comme l’écrit l’AMF, « hormis les crédits exceptionnels issus de France Relance, ce contrat n’a permis de flécher que les crédits de droit commun (DSIL et DETR) sans mettre fin à la logique endémique des appels à projets ».
Les collectivités qui attendaient de ces nouveaux contrats davantage de « visibilité financière pluriannuelle » en ont été pour leurs frais : 64 % des répondants estiment que cet objectif n’est pas atteint. « La signature du CRTE par le représentant de l’État ne semble pas apporter la garantie suffisante aux collectivités pour s’engager de manière pluriannuelle. Cette absence d’engagement financier de l’État est selon la majorité la résultante de l’absence d’une enveloppe réservée, de financements supplémentaires. Pourtant, l’État pourrait aider à l’obtention de financements sans créer des crédits supplémentaires », écrit l’AMF.
Conclusion : beaucoup d’élus ne voient pas de façon évidente la plus-value apportée par cette nouvelle forme de contractualisation. Si certains saluent le fait que les CRTE permettent de « centraliser les projets portés par l’EPCI », ces contrats donnent également l’impression à des maires d’avoir « perdu la main » et d’être confrontés à « une forme de recentralisation ».
Beaucoup d’élus s’interrogent donc sur « le devenir » des CRTE et se demandent si cette forme de contractualisation n’a pas été, finalement, qu’un « affichage ». Alors que de nombreuses contraintes apparaissent (nouveaux règlements sur le ZAN, suppression à venir de la CVAE, explosion des prix de l’énergie et des matières premières), on est en droit de se demander ce que les CRTE vont devenir dans les mois et les années à venir – et si l’État va continuer d’en faire la promotion.
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