Un rapport sénatorial pointe « de réels dysfonctionnements dans le couple intercommunalité-communes »
Par Franck Lemarc

Mise en place en avril dernier, la mission d’information sur le bilan de l’intercommunalité a mené 34 auditions et pris l’avis des associations d’élus, mais aussi des élus eux-mêmes, sur le terrain, pour tenter de comprendre leur ressenti vis-à-vis de l’intercommunalité.
Hier, le président de la mission, le centriste Jean-Marie Mizzon (Moselle) et la rapporteure, la radicale de gauche Maryse Carrère (Hautes-Pyrénées), ont donné une conférence de presse pour dévoiler les conclusions de leur rapport d’une centaine de pages.
« De l’incitation à l’injonction »
Premier élément à retenir : les rapporteurs ne souhaitent surtout pas que les tables soient à nouveau renversées : ils estimeraient contre-productif un nouveau « big bang territorial » et ne prônent surtout pas une réforme qui conduirait à l’élection des conseillers intercommunaux au suffrage universel direct. Une telle élection donnerait aux conseillers communautaires « une légitimité propre (qui) les placerait en concurrence directe avec les conseillers municipaux ».
Or précisément, les rapporteurs insistent sur l’idée que ce n’est pas la concurrence mais bien la « coopération » qui doit être privilégiée. Ils rappellent qu’à l’origine, l’intercommunalité a été inventée pour favoriser la coopération, au volontariat, entre les communes, notamment pour permettre la mutualisation de certaines compétences.
Ce n’est qu’en 2010, d’abord avec la loi RCT (réforme des collectivités territoriales) que le législateur est passé « de l’incitation à l’injonction », avec la fixation d’un seuil minimal de 5 000 habitants par intercommunalité – seuil qui passera à 15 000 avec la loi Notre – et avec la fixation du principe de l’adhésion obligatoire des communes à un EPCI, sous l’égide des préfets. Ceux-ci, pour mémoire, se sont vu dotés du pouvoir dérogatoire d’arrêter la carte intercommunale même contre l’avis des communes concernées.
Fatalement, cette décision a conduit à des mécontentements et des frustrations, avec des « regroupements forcés » et la naissance d’intercommunalités dites « XXL » dans lesquels les élus des petites communes se sentent noyés.
Les rapporteurs ne remettent nullement en cause l’intérêt de l’intercommunalité, bien au contraire, pas plus que l’AMF qui, lors de son audition, a qualifié les intercommunalités « d’outil indispensable de mutualisation ». Ils alertent, en revanche, sur « le sentiment de dépossession » d’un certain nombre de maires et d’élus municipaux, « alimentant un sentiment d’impuissance et de perte de sens de leur mission ». Beaucoup d’élus se disent « insuffisamment écoutés et pris en compte » par les instances intercommunales, et se sentent « relégués au rang de simples observateurs de décisions prises ailleurs ».
Fait intéressant : ce sentiment est nettement plus présent chez les maires qui étaient déjà en fonction avant la loi Notre que chez ceux qui ont été élus en 2020 « et ont toujours vécu sous ce régime ». Ces maires récemment élus ont une perception de l’intercommunalité « nettement moins négative que les élus de longue date ».
Renouer la confiance
La mission appelle donc à « renouer avec une logique de partenariat », basée sur « la confiance mutuelle ». D’abord en associant davantage les élus municipaux au fonctionnement des EPCI, par « une gouvernance intercommunale plus collaborative ». Plusieurs outils existent déjà pour cela, qui sont insuffisamment connus et utilisés, selon la mission, comme la conférence des maires créée par la loi Lecornu de 2019. « La mission incite les intercommunalités à mieux utiliser cet outil de gouvernance et à renforcer son rôle en lui permettant, par exemple, de voter une motion d’alerte. »
Un fonctionnement plus fluide passerait aussi, selon les sénateurs, par une meilleure formation des maires, qui souffrent trop souvent d’un « manque de connaissances » sur la gouvernance des EPCI. La mission suggère notamment qu’au début de chaque mandat soit organisée, systématiquement, une « journée des maires », lors de laquelle leur seraient présentés « l’organisation de l’intercommunalité et les outils de gouvernance ».
Compétences et relations financières
Autre piste dessinée par la mission : un assouplissement de la répartition des compétences, dans la mesure où les transferts obligatoires, partout et tout le temps, sans tenir compte de la spécificité des territoires, ont montré leurs effets délétères – le transfert obligatoire de l’eau et de l’assainissement en étant le meilleur exemple. La mission – comme le propose depuis longtemps l’AMF – juge utile « une extension des possibilités de transferts de compétences à la carte » .
Les sénateurs se sont aussi penchés sur la très complexe question des relations financières entre communes et EPCI, relations que beaucoup d’élus jugent « illisibles » voire « injustes ». La mission recommande en particulier d’assouplir les conditions de révision des attributions de compensation (AC) et de « recourir plus largement aux instruments de solidarité financière entre communes et EPCI, qu’il s’agisse du Fpic ou de la dotation de solidarité communautaire ».
Enfin, les sénateurs rappellent que la mutualisation reste « la première raison d’être des intercommunalités », et recommande donc d’y avoir davantage recours. Groupements de commande, mutualisation d’agents, services communs – de nombreux outils existent qui permettent, « à la carte là encore », d’apporter de l’efficacité et de créer des services qu’une commune seule n'aurait pas les moyens de créer.
Ces recommandations seront-elles suivies d’effet ? Certaines demanderaient une modification législative. Le Premier ministre ayant dit son intention de présenter, rapidement, un projet de loi de décentralisation, celui-ci pour être le parfait véhicule législatif pour porter de telles modifications, allant cette fois-ci non dans le sens de « l’injonction » mais de la souplesse et de l’incitation.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2








