Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 16 janvier 2024
Urbanisme

Intégrer l'usage dans la conception des bâtiments publics : un guide et cinq projets inspirants pour les maîtres d'ouvrage

L'État accompagne les acteurs publics pour intégrer les usagers et les personnels à la conception de leurs bâtiments. Une approche novatrice qui porte ses fruits.

Par Caroline Reinhart

Partir des besoins et des usages observés sur le terrain, associer les parties prenantes autour de solutions concrètes, telle est la philosophie de la maîtrise d’usage, visant à faire des usagers et des agents des acteurs à part entière de la conception des bâtiments, entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. 

Issue des travaux d’architectes, de programmistes et de designers, cette démarche entre peu à peu dans la sphère publique avec le soutien de l’État. En 2021, la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), rattachée au ministère de la transformation et de la fonction publiques, a ainsi lancé un « appel à défis », afin de valoriser des projets intégrant les usagers et les agents à la conception des services publics. Dotée d’un pôle « design public » , la DITP a conçu dans la foulée un guide pratique, publié en décembre dernier à partir des expérimentations conduites via cet appel à projet, afin d’établir un mode d’emploi de l’assistance à maîtrise d’usage (AMU). Le 12 janvier, la DITP a rassemblé les porteurs de projets pilotes dans le cadre d’une table-ronde. Conduisant les débats, Ariane Epstein, directrice du pôle design public à DITP, a rappelé les enjeux de la maîtrise d’usage dans la conception des bâtiments publics. « Chaque mètre carré public compte : il est d’autant plus pertinent de construire avec les usagers et les agents. L’appel à défi lancé en 2021 était destiné à réaliser des expérimentations reposant sur les méthodes de coconstruction. Le guide reprend les résultats de ces expérimentations, propose des outils communs, budgétaires et calendaires, avec des conseils et exemples. ». 

Enrichir l’expérience visiteurs dans un lieu culturel

Représentatifs de la variété d’échelles et d’interventions possibles en maîtrise d’usage, cinq projets ont ainsi été présentés. Chef de service du développement des publics du Centre Pompidou, Cécile Venot a évoqué le projet scientifique et technique au cœur de la rénovation du musée parisien, qui fermera au public entre 2025 et 2030. Pour reconfigurer les espaces afin d’enrichir l’expérience visiteur, les travaux portés par le programme en collaboration avec une agence de design intègrent l’ensemble des acteurs du musée. « La démarche a consisté à mener un travail d’observation et d’immersion. Des entretiens et des ateliers ont été réalisés, incluant le public, le non-public et les agents. Le travail avec l’agence de design a permis une formalisation de l’expérience projetée, et l’intégration de cette approche ‘usagers’. Cette dynamique collective a fait émerger des besoins. On s’est notamment rendu compte qu’il y avait un vrai besoin de soigner l’accueil des familles, de créer des espaces dédiés, et de moments pour se ressourcer, faire des pauses dans le parcours visiteur. ». 

Mais pour parvenir à ce résultat, le chemin est parfois tortueux. « La première étape consiste à convaincre la direction générale et les agents de l’intérêt de cette approche, alors même que le calendrier est très contraint. Il y a eu des moments de découragement. Avec cette démarche, il faut accepter de ne pas connaître les résultats au départ. Il faut donc avancer en ayant un rapport de confiance fort avec les agents et les agences de maîtrise d’usage. ». Plus globalement, « la bonne articulation entre maître d’œuvre, maître d’ouvrage, équipes professionnelles internes et externes est cruciale » , estime Cécile Venot.

Repenser lieux de vie et espaces d’accueil pour les publics fragiles

Olivier Nicolas, directeur du pôle gériatrie au centre hospitalier Métropole Savoie d’Aix-les-Bains, a présenté un autre des projets lauréats de l’appel à défi de la DITP : la reconstruction des structures d’accueil pour les personnes âgées dépendantes, dans le cadre du projet de réhabilitation globale du centre hospitalier. « Nous avons rencontré un laboratoire de solutions innovantes, qui nous a permis d’être lauréat de l’appel à défi, et ainsi, d’être accompagnés pour instruire la démarche. La maîtrise d’usage est une méthode structurée dont l’appropriation permet son réemploi sur d’autres projets. C’est une démarche répliquable qui pose une question centrale : comment adapter les locaux à l’usage et non l’inverse ? On fait souvent passer la technique, le matériel avant l’usage. Or l’ergonomie des locaux est un facteur de fidélisation des personnels et de bien-être des usagers. ».

L’organisation d’ateliers avec résidents, médecins, représentants du personnel, etc., a, là aussi, fait émerger des besoins, « comme celui de prendre en compte les familles parmi les usagers. » . Objectif, donc : transformer un lieu technique en lieu de vie pour accroître le sentiment de bien-être et de confort des résidents, mais aussi la qualité de vie au travail des professionnels. Pour Olivier Nicolas, la démarche ne compte que des bénéfices : « elle fait du bien aux managers, car c’est un outil fonctionnel, aconflictuel, basé sur l’observation. C’est une méthode inclusive et intégrative des usagers, qui permet une certaine liberté de parole face à la direction. C’est une démarche très pragmatique, moins dangereuse que de partir d’idées préconçues, souvent génératrices de tensions. » . Et s’il fallait encore convaincre, « l’assistance à maîtrise d’usage n’est pas un coût supplémentaire mais une opportunité pour la conduite de projets ».

Recentrer agents et usagers sur la mission de service public

Autre public sensible, les étudiants et les collégiens. Sophie Roussel, directrice générale du Crous de Strasbourg, a rappelé le contenu du projet lauréat de l’appel à défis de la DITP. Premier volet, la construction d’une résidence étudiante sur un terrain nu, a permis un partage d’expériences avec le quartier. Un travail a été conduit avec le voisinage dans le cadre de la programmation. Autre volet : intégrer la maîtrise d’usage dans la maintenance, l’entretien, les interventions entre personnel et usagers des résidences étudiantes déjà construites. Avec des vertus pour les usagers comme les personnels : « la démarche sort des habitudes, donne du sens, et recentre les agents sur notre première mission – accueillir les étudiants. » . Pour Sophie Roussel, l’intérêt de l’AMU ne fait pas de doute. « Derrière les micro-projets, un vrai changement en profondeur peut apparaître. Les effets de la maîtrise d’usage dépassent le projet, en liant les usagers et les agents à la mission de service public. C’est un levier considérable pour mener des projets de transformation. » 

Même constat pour Bruno Robichon, chef du service de l’entretien et de la maintenance au département du Val d’Oise, en charge des collèges. « J’ai découvert par hasard le design de service. C’est une démarche des « petits pas », qui permet la concrétisation progressive de projets d’évolution d’espaces pédagogiques. Notre premier chantier est celui des cours des collèges, pour y faire revenir la végétation. Autre sujet propice : les sanitaires, source de dégradations importantes. Avec cette démarche, on repense avec tout le monde ces espaces. » . Mais si la méthode inclut l’ouverture, l’écoute et la modestie, « il faut aussi revenir, de temps en temps, au cadre et à la stratégie territoriale » , conseille Bruno Robichon. 

Guide « Intégrer les usagers et agents dans la conception des bâtiments publics »   

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