Projet de loi immigration : début d'un débat à haut risque pour le gouvernement à l'Assemblée nationale
Par Franck Lemarc
Après avoir été presque entièrement récrit par les sénateurs (lire Maire info du 16 novembre), le projet de loi « immigration et intégration » a été examiné en commission des lois à l’Assemblée nationale pensant la semaine du 27 novembre, et sera débattu (ou pas, comme on va le voir) en séance publique cette semaine.
Retour au texte du gouvernement
La commission des lois a supprimé un grand nombre des dispositions ajoutées par les sénateurs, pour revenir finalement à un texte assez proche de celui qui avait été initialement déposé par le gouvernement.
Le texte comparatif qui fait apparaître les modifications apportées en commission des lois de l’Assemblée nationale permet de visualiser les dispositions qui ont été supprimées.
Le débat annuel sur l’immigration au Parlement, que le Sénat avait voulu obligatoire, est devenu facultatif. Le très controversé retour des quotas d’immigration a été largement amendé : alors que le Sénat avait décidé que le Parlement devrait « déterminer pour les trois années à venir le nombre d’étrangers admis à s’installer en France », les députés ont préféré un dispositif de présentation par le gouvernement « d’objectifs indicatifs » sur le nombre d’étrangers admis à entrer sur le territoire. Mais « l’atteinte de ces objectifs ne [ferait] pas obstacle à la délivrance de visas et de titres de séjour ».
Les diverses mesures de durcissement des conditions permettant le regroupement familial ont été en grande partie effacées. Les députés ont en revanche complété l’article du texte qui concerne les obligations des maires : le texte prévoit en effet que ceux-ci doivent vérifier « les conditions de logement et de ressources » d’un étranger qui demande le regroupement familial. Pour ce faire, il serait désormais inscrit dans la loi que les maires peuvent demander l’aide des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Cette possibilité existait déjà de fait, mais elle n’était pas inscrite dans la loi.
Sur un sujet là encore très polémique, les députés sont revenus sur la suppression de l’aide médicale d’État (AME) par le Sénat, qui l’avait remplacée par une « aide médicale d’urgence », beaucoup plus restrictive. Cette mesure avait été particulièrement décriée par les acteurs de la santé, qui avaient insisté sur les vertus de l’AME notamment en matière de contrôle des épidémies. L’AME a été rétablie dans le texte de la commission.
De même, les députés ont supprimé le rétablissement du délit de séjour irrégulier, et supprimé l’obligation d’avoir séjourné pendant 5 années en France pour pouvoir toucher les allocations familiales et l’APL.
Reste enfin le point qui a alimenté toutes les polémiques au début de l’examen de ce texte par le Sénat : la délivrance d’un titre de séjour pour les travailleurs sans papiers dans les métiers dits « en tension ». Là encore, les députés de la commission des lois sont revenus à une version proche de celle que souhaitait le gouvernement : plutôt que le cas par cas prévu par les sénateurs, ils ont rétabli une forme de régularisation temporaire de droit : les étrangers ayant travaillé au moins huit mois sur les 24 derniers mois dans un métier en tension « se voient délivrer une carte de séjour temporaire (…) d’une durée d’un an ». L’article prévoit toutefois un droit d’opposition du préfet.
Et maintenant ?
L’issue des discussions qui débutent aujourd’hui à l’Assemblée nationale est totalement incertaine, tant ce texte ne satisfait personne – jugé trop dur par la gauche et trop mou par LR et le RN. De nombreuses hypothèses sont sur la table, illustrant l’extrême complexité de gouverner sans majorité à l’Assemblée nationale.
Première possibilité : la fin des débats dès aujourd’hui. Une motion de rejet a été déposée par les députés écologistes, conformément à l’article 90 du règlement de l’Assemblée nationale, qui permet le dépôt d’une telle motion. L’adoption de cette motion entraînerait la fin immédiate des discussions, l’Assemblée estimant, dans ce cas, « qu’il n’y a pas lieu de délibérer ». Que se passerait-t-il dans ce cas ? Trois options sont possibles : ou le gouvernement renonce, et le texte est abandonné (option assez peu probable) ; ou il renvoie le texte pour une nouvelle lecture au Sénat ; ou il demande la convocation d’une commission mixte paritaire (7 députés, 7 sénateurs) pour tenter d’élaborer un texte de compromis. En cas d’échec de cette commission, là encore le gouvernement peut ou bien renoncer ou bien relancer une nouvelle lecture, ce qui signifie un retour à la case départ, retardant de plusieurs semaines, ou mois, l’adoption de ce texte. Aucune de ces options n’est évidemment souhaitable pour le gouvernement, car elles illustreraient une forme de paralysie institutionnelle et d’incapacité à gouverner – au point que certains membres du gouvernement se remettent à évoquer l’option d’une dissolution de l’Assemblée nationale dans ce cas de figure.
Reste à savoir si la motion de rejet a des chances d’être adoptée. C’est loin d’être impossible, arithmétiquement parlant : si le RN et les LR décident d’ajouter leurs voix à celles de la gauche, la motion sera adoptée. On saura dans la journée si le parti dirigé par Êric Ciotti fait ce choix, qui aurait pour lui l’avantage de rendre la main au Sénat, où il est majoritaire.
Si la motion est rejetée, l’examen du texte et des quelque 2 620 amendements enregistrés à cette heure débutera – et il est prévu jusqu’au 21 décembre. À la fin des débats, si la version du texte reste proche de celle qui est sortie de la commission des lois, l’adoption du texte est tout sauf acquise. Toute la gauche votera contre, ainsi qu’une bonne partie des élus LR et RN – la présidente du groupe RN, Marine Le Pen, ayant indiqué hier que son parti est « frontalement opposé à ce texte ». Les voix des députés Renaissance, MoDem et Liot, favorables au texte, pourraient ne pas suffire.
Il reste, évidemment, une dernière option : le recours au 49.3. La Première ministre s’y est certes dite opposée – cette option enverrait, là encore, un signal politique d’impuissance désastreux. Mais on se rappelle qu’elle s’était également dite opposée à recourir au 49.3 sur la réforme des retraites, avec la conclusion que l’on sait.
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