La question migratoire revient sur le devant de la scène et s'immisce dans le débat budgétaire
Par Franck Lemarc
Alors qu’un espoir semblait se dessiner de voir adopté un budget pour 2025 sans que le gouvernement soit renversé par une motion de censure, du fait d’une attitude plus conciliante du Parti socialiste, les cartes ont été rebattues, hier et avant-hier.
Ce sont les propos du Premier ministre, tenus lors d’une longue interview à la chaine LCI, lundi soir, qui ont provoqué une nouvelle crise politique, conduisant le PS à « suspendre » les négociations avec le gouvernement sur le budget en vue de la commission mixte paritaire qui doit se tenir demain en fin d’après-midi.
Un fragile équilibre rompu ?
Au cœur de cette nouvelle polémique, une phrase de François Bayrou sur LCI, évoquant chez les Français « un sentiment de submersion » migratoire : « Dès l’instant que vous avez le sentiment d’une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là vous avez rejet. »
Ces mots ont immédiatement fait réagir la classe politique, dans la mesure où ce terme de « submersion » était, jusqu’à présent, exclusivement employé par l’extrême droite. Au sein même des partis proches du président, une certaine « gêne » s’est exprimée, notamment dans la bouche de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a déclaré dès hier matin sur BFM-TV : « Ces propos me gênent. [Ces mots], je ne les utiliserai jamais parce que je crois que c’est contraire à ce que nous sommes profondément. »
En revanche, les mots utilisés par le Premier ministre ont été salués par le Rassemblement national – dont un des porte-parole s’est félicité une fois de plus d’avoir « gagné la bataille idéologique » – ainsi que par les ministres de l’Intérieur et de la Justice, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin.
La crise s’est amplifiée hier après-midi à l’Assemblée nationale, pendant la séance de questions au gouvernement, où François Bayrou a été vivement pris à partie par Boris Vallaud et Cyrielle Chatelain, présidents des groupes socialiste et écologiste, qui lui ont demandé s’il retirait ou maintenait ses propos.
François Bayrou les a maintenus – mais en tentant de se justifier en expliquant que « le passage » de l’émission « était fondé sur la situation à Mayotte ». Ce n’est factuellement pas exact. Le Premier ministre répondait à une question du journaliste Darius Rochebin qui avait trait à la situation nationale : « Une foule française aujourd’hui est différente d’une foule de votre enfance. (…) Comment définissez-vous cela ? Est-ce qu’il y a une logique, souhaitable ou non, à ce que la France soit métissée ? ». La question ne concernait donc pas Mayotte. Et la réponse du Premier ministre, pas davantage, puisqu’après avoir évoqué ce « sentiment de submersion », François Bayrou a ajouté : « Un certain nombre de villes ou de régions sont dans ce sentiment-là. »
Le Premier ministre a donc fait le choix de maintenir ses propos. La conséquence a été immédiate : le Parti socialiste a annulé une réunion de négociation sur le budget qui devait se tenir dans la journée, expliquant que le Premier ministre avait franchi une ligne rouge et accusant celui-ci de se faire « dicter » ses propos par l’extrême droite. Plusieurs porte-parole du PS ont expliqué, hier, que cette situation remettait en question un accord de « non-censure ».
L’avenir dira si ce mot – et surtout la stratégie qui a gouverné son emploi – aura suffi à faire s’effondrer le fragile équilibre que François Bayrou avait réussi à mettre en place pour éviter une censure.
Mayotte : durcir le droit du sol
C’est au même moment que l’Assemblée nationale va examiner, en commission des lois aujourd’hui, la proposition de loi LR visant à « renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte ». Dans la foulée de la promesse gouvernementale de mettre fin au droit du sol à Mayotte, les députés républicains ont déposé ce texte début décembre – avant le cyclone Chido –, non pour supprimer totalement le droit du sol dans l’archipel mais pour en durcir les conditions.
Pour rappel, le droit du sol a déjà fait l’objet d’une « adaptation », en 2018. En France, le droit du sol s’applique ainsi : si un enfant naît sur le sol français de parents étrangers nés à l’étranger, l’enfant deviendra automatiquement français à sa majorité à condition qu’il puisse justifier « avoir eu une résidence habituelle continue ou discontinue d’au moins 5 ans en France depuis l’âge de 11 ans ». Cette disposition a été modifiée pour le cas exclusif de Mayotte dans le cadre de la loi du 10 septembre 2018 « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ». Cette loi a modifié l’article 2493 du Code civil, qui dispose désormais que l’enfant ne pourra devenir automatiquement Français que si « à la date de sa naissance, l'un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière, sous couvert d'un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois ». Mais les élus locaux, sur place, considèrent que ce délai est bien trop court.
De plus, ce délai n’empêche pas, comme le dénonce régulièrement la députée Estelle Youssouffa, des cas de reconnaissance de paternité frauduleuse, où des étrangers en situation régulière présents depuis plus de trois mois sur le sol mahorais reconnaissent, contre argent, des enfants.
C’est à ces pratiques que s’attaque la proposition de loi des Républicains, en proposant de modifier l’article 2493 du Code civil de façon à ce que l’acquisition de la nationalité française de l’enfant soit conditionnée à la présence non pas d’un seul, mais des deux parents sur le territoire national, non plus depuis trois mois mais depuis un an.
Fossé infranchissable
Ce texte fera l’objet d’âpres débats en commission et en séance, comme en témoignent les amendements qui ont été déposés et qui illustrent le fossé infranchissable qui s’est creusé sur cette question entre la gauche et la droite.
Les amendements déposés par la gauche demandent tous la suppression de l’article unique de ce texte. Les différents partis de gauche expliquent tous, d’une façon ou d’une autre, que la réforme de 2018 n’a aucunement permis d’endiguer les flux migratoires vers Mayotte, et que, partant, cette nouvelle réforme ne fera pas mieux. « Ce n'est pas en changeant la loi que vous empêcherez des personnes de fuir les guerres et la misère », écrivent par exemple les députés LFI. Plutôt que de restreindre le droit du sol, plaident pour leur part les socialistes, « il importe que l'Etat mette en œuvre les moyens adaptés aux besoins spécifiques de ce territoire ».
Quant à l’extrême droite, elle a déposé plusieurs amendements à ce texte pour le durcir. Les députés ciottistes demandent que le délai de séjour régulier antérieur à la naissance de l’enfant soit porté à 5 ans. Le Rassemblement national en profite pour demander l’abrogation complète du droit du sol, non seulement à Mayotte mais « sur tout le territoire national ».
Les maires mahorais favorables à la « suppression » du droit du sol sur leur teritoire
Les maires de Mayotte, de leur côté, sont favorables à cette réforme, a expliqué ce matin sur France info Ambdilwahedou Soumaila, maire de Mamoudzou – et souhaitent même que le gouvernement aille plus loin. Le maire s'est d'abord félicité des propos tenus lundi par François Bayrou, estimant que le Premier ministre a fait preuve de « courage ». Sur la question du droit du sol, il a appelé à « prendre des décisions courageuses, tout de suite, maintenant », expliquant que la situation « exceptionnelle » du terrritoire sur la question migratoire (« la moitié de la population est immigrée et la moitié de cette moitié est clandestine » ) justifie des exceptions à la loi générale. Pour le maire de Mamoudzou, la réforme du droit du sol proposée par les Républicains ne suffit pas : il réclame, au nom de tous les maires de Mayotte, quelle que soit leur sensibilité politique, « de supprimer tout bonnement le droit du sol à Mayotte et en Guyane ». « Compte tenu du contexte, conclut-il, il faut aller plus loin » qu'une simple réforme de ce droit.
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