Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 4 avril 2022
Hausse des prix

Commande publique : le Premier ministre annonce des mesures pour ne pas « pénaliser les entreprises »

Face à l'envolée « sans précédent » des prix des matières premières, le Premier ministre a annoncé l'application de mesures exceptionnelles en matière de commande publique. Des mesures qui seront bienvenues pour les entreprises mais pourraient coûter cher aux collectivités. 

Par Franck Lemarc

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Les prix de l’énergie ne sont pas les seuls à s’envoler : jour après jour, de nouveaux secteurs annoncent des hausses considérables de prix, le dernier en date étant le secteur de l’habillement et du textile confronté, notamment, à l’explosion du prix du coton. Témoin de cette situation : le chiffre de l’inflation mensuelle dans la zone euro, qui s’établit en mars à 7,5 %. En Espagne, le chiffre est même de 9,8 % – ce qui ne s’est jamais vu depuis presque 40 ans. 

Ces hausses des prix ont une répercussion directe sur les contrats de commande publique. Toutes les matières premières voyant leurs prix s’envoler (béton, bois, acier, aucune matière première n’échappe à la hausse), les entreprises sont soumises à un dilemme : augmenter leur prix, au risque de perdre des clients, ou voir leurs marges bénéficiaires se réduire comme peau de chagrin. Quant à celle dont le contrat est en cours d’exécution, elles se retrouvent contraintes au grand écart entre les prix prévus à la signature du contrat et les prix réels au moment de l’exécution du contrat. 

C’est vis-à-vis de ces dernières que le gouvernement annonce des mesures. 

Modification des contrats en cours

Dans une circulaire signée fin mars et publiée vendredi, le Premier ministre, Jean Castex, demande aux ministères et administrations publiques de respecter un certain nombre de « consignes »  et aux préfets de faire connaître celles-ci aux collectivités locales. Il s’agit d’éviter que la situation « mette en péril l’équilibre économique des contrats »  et « la pérennité de nombreuses entreprises ». 

Première recommandation : appliquer les règles du Code de la commande publique permettant de « modifier les conditions techniques d’exécution d’un contrat », par exemple « en substituant un matériau à celui qui était initialement prévu »  si celui-ci est « introuvable ou devenu trop cher ». Le Code de la commande publique (CCP) permet de telles modifications dès lors qu’elles sont « rendues nécessaires par des circonstances qu’une autorité contractante ne pouvait pas prévoir lorsque le contrat a été passé ». Ces modifications peuvent atteindre « 50 % du contrat initial »  pour les contrats de commande publique, et sont même sans plafond pour les contrats concernant « l’eau, l’énergie, les transports et les services postaux ». 

Imprévision

La deuxième consigne est l’application de la « théorie de l’imprévision ». Il s’agit, lorsque survient « un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat », de vérifier si les charges supplémentaires qui résultent de cet événement « bouleversent absolument l’équilibre du contrat ». Dans ce cas, l’entreprise qui est confrontée au problème peut avoir droit à une indemnité. 

Il convient donc d’estimer précisément, « au vu de justifications comptables », quelles sont les conséquences de la situation sur l’entreprise cocontractante. La circulaire rappelle que l’imprévision ne s’applique que si la situation entraîne « un déficit réellement important »  et non « un simple manque à gagner ». Il revient à l’entreprise qui a sollicité une indemnité d’apporter toutes les preuves nécessaires et notamment, comme le rappelait Bercy dans une note publiée en mai dernier, « la preuve que l’achat des matériaux concernés était bien postérieur à la période durant laquelle le prix de ces derniers a augmenté de façon imprévisible ». 

La loi ne fixe pas de seuil au-delà duquel l’imprévision est reconnue. Mais en général, la procédure se déclenche lorsque « les charges extracontractuelles ont atteint environ un quinzième du montant initial HT du marché ou de la tranche ». 

Par ailleurs, il est rappelé que l’indemnité ne peut couvrir « qu’une partie »  du déficit, le cocontractant devant en assumer un part, au titre de « l’aléa économique normal ». En général, précise Bercy, le juge met à la charge de l’administration 90 % du montant de la charge dite « extracontractuelle », les 10 % restants étant à la charge de l’entreprise. Ce reste à charge peut toutefois varier « de 5 % à 25 % », en fonction des circonstances, est-il précisé dans la circulaire du Premier ministre. 

Quel coût pour les collectivités ?

Le Premier ministre demande également, comme cela a été fait pendant la crise épidémique, que les pénalités de retard ou « l’exécution des prestations aux frais et risques du titulaire »  soient suspendues, « tant que le titulaire est dans l’impossibilité de s’approvisionner dans des conditions normales ». 

Enfin, Jean Castex demande aux préfets, aux administrations et aux collectivités de ne pas recourir à des prix fermes, c’est-à-dire qu’il demande « l’insertion d’une clause de révision des prix dans tous les contrats de la commande publique à venir ». Ces dispositions sont prévues par le Code de la commande publique « lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la durée d'exécution des prestations ». 

Attention, le Premier ministre précise que « le non-respect de ces obligations est susceptible d'engager la responsabilité de l'acheteur ». 

Par ailleurs, « afin de ne pas pénaliser les entreprises, les formules de révision de prix ne contiendront pas de terme fixe et les contrats ne contiendront ni clause butoir, ni clause de sauvegarde ». 
Toutes ces dispositions vont indiscutablement apporter un bol d’air aux entreprises. Mais que sera leur coût pour les collectivités ? Si celles-ci doivent payer les charges « extracontractuelles »  des contrats, cela va représenter des dépenses importantes – qui ne pouvaient être budgétées à l’avance – et vont donc s’ajouter aux dépenses exceptionnelles déjà directement supportées par les collectivités du fait de la hausse des prix de l’énergie. Pourtant, le gouvernement ne semble toujours pas prévoir le début du commencement d’un plan de soutien aux collectivités locales dans ce domaine, contrairement aux demandes pressantes exprimées, notamment, par l’AMF et la FNCCR.

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