Financement des AESH pendant la pause méridienne : quand certains services de l'État refusent d'appliquer la loi
Par Franck Lemarc
C’était une loi simple et particulièrement bienvenue pour les maires. Elle est en train, dans certaines régions, de devenir un casse-tête pour ceux-ci, du fait d’une évidente mauvaise volonté de certains services déconcentrés de l’État de l’appliquer.
La loi Vial
Pour mémoire, la loi « Vial » a été publiée au Journal officiel du 28 mai. Simple et brève, cette loi dispose que désormais, l’Éducation nationale est chargée de « la rémunération du personnel affecté à l'accompagnement des élèves en situation de handicap durant le temps scolaire et le temps de pause méridienne ». Jusque-là, en effet, depuis une décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020, il avait été décidé que l’Éducation nationale ne pouvait payer les AESH que pendant le temps scolaire, laissant aux collectivités la charge de les rémunérer pendant le temps méridien, lorsque les enfants avaient besoin d’un accompagnement à la cantine, notamment.
Il est à noter que lors de l’examen de cette loi, le législateur a ajouté, par amendement, une entrée en vigueur « à la rentrée 2024 » et non immédiatement, en mai dernier, afin de laisser le temps aux services de l’Éducation nationale de s’organiser. Dans ces conditions, Maire info écrivait avec optimisme le 28 mai dernier : « C'est donc à présent une certitude : dès la rentrée prochaine, les communes n'auront plus à rémunérer les AESH qui accompagnent les enfants en situation de handicap pendant le repas de midi ».
Un blocage qui pourrait durer des mois
L’optimisme n’était pas justifié. Il apparaît en effet que dans un certain nombre de communes, en particulier dans le Morbihan, les choses ne se passent pas du tout comme prévu.
La presse locale s’est par exemple fait l’écho de la situation vécue par les parents d’une jeune enfant lourdement handicapée, qui ont eu la mauvaise surprise de constater, à la rentrée, que leur fille ne serait pas accompagnée par un AESH pendant la pause méridienne, « faute de contrat prévu par l’État pour son AESH », écrit Le Télégramme. Le maire de la commune a heureusement immédiatement réagi en acceptant de prendre en charge l’AESH jusqu’à ce que l’État assume ses responsabilités.
Cette situation s’est produite dans plusieurs dizaines de communes du département, illustrant, pour le moins, un certain manque d’anticipation de la part des services académiques.
Pourtant, dès les mois de juin et juillet, l’AMF avait insisté auprès de l’Éducation nationale pour que celle-ci recense en amont les besoins d’accompagnement des enfants en situation de handicap et tienne compte des recrutements que pourraient avoir à effectuer les maires pour pallier d’éventuels manques. Elle a aussi plaidé pour l’établissement d’une étroite concertation avec les maires, que ce soit dans le cadre des démarches de demande auprès de la MDPH ou des décisions du Dasen, afin qu’ils puissent anticiper les besoins d’accueil spécifiques et les modalités d’organisation nécessaires
Malgré ces avertissements, tous les services départementaux de l’Éducation nationale n’ont pas fait le travail suffisamment en amont : dans le Morbihan, c’est le 4 septembre seulement que les services départementaux de l’académie de Rennes ont adressé un courrier aux maires pour leur demander de leur faire parvenir la liste des élèves ayant nécessité un accompagnement sur la pause méridienne pendant l’année scolaire précédente. Avec une réponse demandée pour le 12 septembre, soit plus d’une semaine après la rentrée !
Et à la lecture de ce courrier, on comprend que la communication de la liste par les maires sera loin d’aboutir directement à l’embauche d’un AESH. En effet, les services de l’Éducation nationale expliquent qu’une fois « le recensement effectué, les besoins particuliers de chaque élève seront analysés en tenant compte des éventuelles recommandations émises par la MDPH et de l’expertise des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, qui évalueront ces besoins en lien avec l’école… ». Il ne faut donc pas s’attendre à un déblocage de la situation avant des semaines, voire des mois.
Cela a d’ailleurs été clairement dit aux maires lundi 16 septembre, lors d’une réunion de la commission départementale de l’Éducation nationale. Noëlle Chenot, maire de Surzur, raconte à Maire info que lors de cette réunion, où elle était présente, il a été dit aux maires que les services de l’Éducation nationale n’étaient pas prêts et que les choses se débloqueraient « au mieux à la Toussaint », ce qui veut dire peut-être bien plus tard. Certains maires ont même entendu parler de janvier 2025.
Mais dans ce cas, la moindre des choses serait que l’État rembourse aux communes les frais qu’elles auront engagés pour pallier ses manquements, comme le prévoit, rappelons-le, la loi. Les maires n’ont pas été peu surpris de constater que l’État leur oppose une fin de non-recevoir : il n’y aura aucune remboursement !
Blocage administratif et financier
Alors, que se passe-t-il ? Il semble que l’Éducation nationale rencontre, dans cette affaire, un double problème, financier et organisationnel. Financier, d’abord, parce qu’elle ne disposerait pas les lignes budgétaires permettant de débloquer les sommes nécessaires. Un argument qui ne convainc pas vraiment Noëlle Chenot, qui rappelle qu’on parle ici, pour sa commune, de « 8 h par semaine ».
Sur le plan organisationnel, les choses semblent plus compliquées encore. Selon Hicham Abbad, directeur de l’Association des maires et des présidents d’EPCI du Morbihan, « l’Éducation nationale veut être sûre de n’engager que des AESH qui répondent aux préconisations des MDPH, d’une part. Et d’autre part, elle semble reprocher aux maires d’utiliser leurs AESH pour d’autres missions que le seul accompagnement des élèves ». En effet, dans la mesure où il est très difficile de recruter une personne faisant office d’AESH pour une heure par jour seulement, il est fréquent que les communes leur confient également d’autres tâches, comme de l’animation, ou de l’entretien, pour rendre le contrat plus attractif. Les services de l’État font-ils tellement peu confiance aux maires qu’ils craignent que les communes leur facturent des heures qui ne seraient pas du strict accompagnement ? C’est en tout cas la très désagréable impression que ressentent un certain nombre d’élus.
Dans la réalité, d’après nos informations, les services départementaux demandent aux maires de recruter des AESH pour pallier le manque – demandes faites par téléphone, et non par écrit, car une telle demande n’est pas conforme à la loi du 27 mai. Tout en affirmant clairement qu’ils ne rembourseront pas un centime ! En d’autres termes, note Hicham Abbad, « cela n’a pas l’air de déranger l’État de ne pas appliquer la loi en se disant que toute façon, il y a les communes derrière qui vont assumer ».
« Tout cela est incompréhensible », déplore Noëlle Chenot. « Nous leur avons dit : si vous ne savez pas faire, appuyez-vous sur nous, les maires, nous avons des solutions, mais remboursez-nous ! », comme l’exige la loi.
Face au blocage, des maires du Morbihan envisagent maintenant de saisir le tribunal administratif – et l’on voit mal comment l’État, dans ce cas, pourrait échapper à un recadrage très sévère du juge. « Si des collègues prennent cette voie, affirme la maire de Surzur, je les suis. »
Signalons par ailleurs qu'hier, le député du Puy-de-Dôme André Chassaigne a adressé une interpellation au Premier ministre pour lui signaler une situation proche dans son départements, où il manquerait selon lui a minima « une centaine de postes d'AESH ». Le député souhaite donc « alerter » Michel Barnier sur « le non-respect des engagements de l'État en matière d'inclusion scolaire ».
Du côté de l’AMF, à Paris, les services de l’Éducation nationale ont été saisis « pour convoquer une nouvelle réunion et relayer ces remontées inacceptables », afin de « trouver des solutions à court terme ».
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