Maire-info
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Édition du mercredi 18 septembre 2024
Jeunesse

« Coût trop important », « gouvernance mal assurée » : la Cour des comptes étrille le Service national universel

Promesse de campagne d'Emmanuel Macron en 2017, le Service national universel (SNU) vient de faire l'objet d'un rapport de la Cour des comptes particulièrement critique. Des objectifs non atteints, un coût sous-estimé, et des difficultés de déploiements sont notamment pointés par les magistrats financiers.

Par Lucile Bonnin

Depuis sa mise en place en 2019, le Service national universel suscite de nombreuses craintes. Pour rappel, le SNU est un séjour qui se déroule en deux temps : un séjour de cohésion de douze jours durant lequel les jeunes participent à des activités et réalisent des missions d’engagement et une phase de mission d’intérêt général ou un service civique de plusieurs mois.

Les perspectives du gouvernement, réaffirmées dans la directive nationale d'orientation pour la mise en œuvre au niveau territorial pour l'année 2024-2025 des politiques de jeunesse, d'engagement civique et de sport, sont d’accueillir 120 000 jeunes dans des séjours de cohésion en 2025 dans le cadre du Service national universel (SNU), puis de 365 000 en 2026 avant d’atteindre la « généralisation du SNU à une classe d’âge (2de et en CAP) d’ici la rentrée 2026-2027 ». 

Un rapport de la Cour des comptes publié la semaine dernière « relève que les conditions de mise en œuvre du dispositif sont insatisfaisantes et que son développement ne s’est pas accompagné d’une clarification de ses objectifs, qui restent incertains ».

Des objectifs qualitatifs et quantitatifs loin d’être atteints

C’est d’abord la déception qui apparaît dans ce rapport d’une soixantaine de pages. Concrètement, cinq années après le démarrage du SNU, les objectifs de ce dernier « demeurent incertains et dès lors mal compris par le grand public, en particulier par les jeunes qui en constituent pourtant la cible. Si les jeunes participants sont, jusqu’à présent, satisfaits de leur expérience, force est de constater qu’en matière de mixité sociale comme d’engagement, les ambitions du dispositif ne sont pas atteintes ».

Concrètement, « les milieux d’origine des jeunes participants se caractérisent, depuis 2019, par une sur-représentation de jeunes dont les parents servent ou ont servi dans les corps en uniforme et de catégories socio-professionnelles plus favorisées », observent les magistrats de la rue Cambon.

Par ailleurs, l’objectif quantitatif du SNU est loin d’être atteint alors que le gouvernement envisage déjà sa généralisation. Selon le rapport, « les chiffres sont restés jusqu’en 2023 bien en-deçà des objectifs fixés chaque année, et considérablement en-deçà des ambitions initialement affichées en 2018-2019. L’objectif annuel de nombre de jeunes à accueillir en séjour de cohésion, fixé en loi de finances initiale, a pourtant, chaque année et jusqu’en 2024, été très ambitieux. Ceci a conduit, jusqu’en 2023, à une sous-exécution budgétaire importante des crédits alloués au SNU et des redéploiements des crédits non utilisés qui ont nui à la lisibilité du coût du dispositif ». De plus, le taux de désistement a augmenté en 2023 avec 28 % contre 19 % en 2022.

Manque de clarté et d’association avec les collectivités 

Cette déception va de pair, selon la Cour, avec un « pilotage institutionnel et une organisation peu satisfaisants ».  « Confié au ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, le pilotage du dispositif a connu des évolutions nombreuses, sans clarification de son positionnement interministériel », peut-on lire dans le rapport. Surtout, les parties prenantes de ce dispositif sont « trop peu associées »  et « la stratégie de mobilisation des acteurs locaux, parmi lesquels les collectivités territoriales et acteurs associatifs du domaine de l’éducation populaire, reste toujours à définir ». 

« L’initiative est laissée au niveau local, selon le contexte et la volonté des acteurs, avec des situations très variables de recours aux établissements d’enseignement pour l’organisation des séjours de cohésion suivant les régions. Or, l’implication de ces dernières, compétentes en matière d’hébergement, restauration dans les lycées mais aussi de transport, est susceptible de faciliter le déploiement du dispositif », constatent les magistrats. 

Résultat : l’organisation des séjours de cohésion ne se passe pas sans encombre. Des difficultés logistiques liées au transport et à l’hébergement sont par exemple pointées du doigt. Mais la difficulté majeure selon la Cour « tient au fait que les services en charge des contrôles des accueils collectifs de mineurs (ACM) sont les services qui mettent en œuvre le SNU sur le territoire. Ces services se retrouvent de fait en charge d’organiser ces accueils qu’ils doivent par ailleurs contrôler, alors même qu’ils sont sous-dimensionnés pour remplir leur mission régalienne d’inspection ».

Enfin, l’empressement du gouvernement quant à la généralisation du SNU inquiète. Le rapport dénonce « une montée en charge à marche forcée malgré d’importantes difficultés de déploiements ». Ce constat rejoint celui d’un rapport du sénateur de la Creuse Éric Jeansannetas qui indiquait que ce projet de généralisation ne devrait pas se faire si rapidement, dans un contexte où les secteurs de l'hébergement et du recrutement sont en crise (lire Maire info du 16 mars 2023). 

Entre 3,5 et 5 milliards d’euros de coûts de fonctionnement

La Cour des comptes regrette surtout l’absence de pilotage budgétaire et le coût sous-estimé : « L’ampleur des erreurs et omissions identifiées en la matière conduit à mettre en doute la fiabilité des coûts par jeune ». En effet, « l’estimation, proche de 2 300 euros par jeune pour 2021 et 2022, ne prend pas en compte les coûts d’administration du dispositif, portés par le programme 214 (soutien de la politique de l’éducation nationale), ni les coûts supportés par les autres ministères. »  On serait en réalité plus proche des 2 900 euros par jeune, sans compter « l’implication des autres financeurs (collectivités territoriales notamment) ». 

La Cour estime enfin qu’avec la généralisation du dispositif à l’horizon 2027, « il est davantage probable que les coûts de fonctionnement annuels du séjour de cohésion (soit la phase 1 du dispositif) se situent aux environs de 2,5 milliards d’euros, ce qui porterait le coût de fonctionnement annuel du dispositif (3 phases) à un total de 3,5 à 5 milliards d’euros, sans compter les coûts d’investissement à venir dans les centres d’hébergement, les éventuels surcoûts liés au changement d’échelle et les coûts portés par les autres financeurs publics ».

Reste à voir quel sera l’avenir de cette coûteuse politique visiblement inaboutie dans un contexte de restriction budgétaire en 2024. La Cour des comptes suggère de « mettre en place un suivi budgétaire exhaustif des coûts actuels et une projection complète des coûts de l’ensemble des pouvoirs publics ». D’un point de vue politique, les députés du Nouveau front populaire sont favorables à sa suppression. La nomination d’un nouveau gouvernement permettra peut-être de clarifier les perspectives de ce dispositif bien incertain qu’est aujourd’hui le SNU. 
 

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