Michel Barnier, en dégainant le 49-3, se résout à être renversé
Le suspense aura duré jusqu’en milieu d’après-midi. Mais quelques minutes avant l’ouverture de la séance à l’Assemblée nationale, hier, à l’issue d’une réunion avec ses collaborateurs, le Premier ministre a fait savoir qu’il avait décidé de faire jouer l’article 49-3, ouvrant la voie à la chute de son gouvernement.
De l’importance d’un « ou »
Jusqu’au bout, Michel Barnier s’est accroché à l’espoir de convaincre le Rassemblement national de ne pas se rallier à une motion de censure déposée par la gauche. Alors qu’il avait déjà cédé à deux revendications sur les quatre formulées par le parti d’extrême droite, le Premier ministre a annoncé, deux heures avant le début des débats, céder à une troisième : à 13 h15, hier, un communiqué était envoyé à la presse pour annoncer que « le gouvernement s’engage à ce qu’il n’y ait pas de déremboursement des médicaments en 2025 ». Mieux : le communiqué indique noir sur blanc qu’il s’agit de répondre à une demande « de Mme Marine Le Pen au nom du Rassemblement national ». Cette dernière avait en effet reproché au Premier ministre, la semaine dernière, lorsqu’il avait cédé sur deux des quatre « lignes rouges » définies par le RN, de ne pas avoir mentionné qu’il s’agissait bien de répondre aux demandes de son parti.
En cédant sur le déremboursement des médicaments, Michel Barnier pouvait espérer avoir gagné la partie. En tout cas, s’il accordait foi aux déclarations de la cheffe de file des députés RN dans La Tribune dimanche, la veille. Celle-ci déclarait en effet, dans cette interview, qu’elle accepterait de ne pas censurer le gouvernement si celui-ci cédait sur « la désindexation des pensions {de retraite] ou sur les non-remboursements des médicaments ». Le mot le plus important de cette phrase est le « ou » : il laissait croire à Michel Barnier que céder sur un seul de ces points éloignerait le danger.
Mais à peine le communiqué de Matignon publié, le RN annonçait que la quatrième condition n’étant pas remplie, il voterait la censure en cas de 49-3. Le « ou » devenait donc un « et » – le RN assurera par la suite que le rédacteur de l’article avait « mal compris » le propos de Marine Le Pen, tout en reconnaissant que l’article avait été relu avant publication.
Cette manœuvre a-t-elle été un piège grossier dans lequel est tombé le Premier ministre, ou le RN a-t-il changé de pied entre dimanche et lundi ? Cela ne change pas grand-chose : hier après-midi, Michel Barnier a déclenché le 49-3, le Nouveau Front populaire a déposé sa motion de censure, et Marine Le Pen a annoncé, devant une forêt de micros, que son groupe voterait celle-ci. Le NFP et le RN avec ses alliés ciottistes comptant 332 députés, le sort du gouvernement Barnier semble scellé.
« Moment de vérité »
On pouvait pourtant penser, hier, que Michel Barnier allait pouvoir contourner l’obstacle, puisqu’il disposait de plusieurs pistes pour cela : notamment, celle de ne pas engager le 49-3, d’aller au vote et de le perdre, pour ensuite faire passer le projet de loi de finances de la Sécurité sociale par ordonnance à partir de jeudi, lorsque les délais constitutionnels pour adopter un texte budgétaire auraient été dépassés.
Il n’a finalement pas fait ce choix, préférant placer chacun « devant ses responsabilités ». Visiblement lassé et estimant peut-être qu’il avait assez courbé l’échine devant les ultimatums du RN, le Premier ministre a franchi le Rubicon : « [Nous sommes] parvenus à un moment de vérité qui met chacun devant ses responsabilités. C’est maintenant à vous, députés, de décider si notre pays se dote de textes financiers responsables, indispensables et utiles à nos concitoyens. Ou alors si nous entrons en territoire inconnu. »
L'examen des deux motions de censure aussitôt déposées par le NFP et le RN aura lieu demain mercredi à partir de 16 heures. Une autre issue que le renversement du gouvernement peut-elle être envisagée ? Au vu des innombrables rebondissements de ces derniers jours, il serait présomptueux d’affirmer le contraire de façon certaine, mais plusieurs éléments laissent présager une issue fatale pour le gouvernement. Michel Barnier a déclaré, hier, que le texte sur lequel il engage sa responsabilité est celui « issu des travaux de la CMP », sans autres amendements que « rédactionnels et de coordination ». Cela signifie que le gouvernement n’introduira pas d’autres amendements susceptibles de faire changer d’avis le RN. Par ailleurs, ce dernier s’est maintenant tellement engagé à voter la censure qu’un recul de dernière minute paraît difficile à justifier devant son électorat.
Et maintenant ?
Il est bien difficile d’imaginer ce qui va se passer par la suite et comment éviter un blocage à peu près complet des institutions dans les mois qui viennent. Selon plusieurs médias, le président de la République cherche déjà le nom de son prochain Premier ministre, mais que celui-ci vienne de la gauche, du centre, de la droite ou du RN, il aura autant de chances d’être censuré par la coalition des autres partis que Michel Barnier. La dissolution de juin dernier, selon le mot d’un proche d’Emmanuel Macron, aura bien été « un poison lent sans antidote ».
On ne voit en effet pas de porte de sortie à court terme à cette crise politique inédite dans la Ve République. Plusieurs partis, au premier rang desquels le RN et la France insoumise, poussent à la démission du président de la République. Marine Le Pen a d’ailleurs clairement indiqué hier que son choix de voter la censure avait pour objectif d’accélérer le départ du chef de l’État. Mais, fait nouveau, certains ténors du centre et de la droite, comme Charles de Courson (UDI) ou Jean-François Copé (LR) appellent eux aussi, désormais, à une présidentielle anticipée.
Sauf qu’une démission du président de la République, à part ajouter du chaos au chaos, ne réglerait aucunement le problème : la Constitution établit clairement qu’il faut attendre un an après une dissolution pour pouvoir dissoudre à nouveau – qu’une élection présidentielle ait eu lieu entretemps ou pas. Un nouveau président serait donc contraint, tout comme Emmanuel Macron, de gouverner avec une Assemblée à la majorité introuvable, et ce pendant des mois. Parce que, rappelons-le, si on lit souvent qu’une nouvelle dissolution ne peut intervenir avant le mois de juin, ce n’est pas tout à fait exact. En effet, la Constitution ne fait pas démarrer le délai d’un an à la date de la dissolution, mais à celle des élections (« il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections » ). Autrement dit, la dissolution ne sera possible qu’à compter du 7 juillet 2025, un an après le deuxième tour… à supposer qu’il soit possible – et souhaitable – d’organiser un scrutin fin juillet, voire en août, puisque les élections doivent avoir lieu entre 20 et quarante jours après la dissolution, soit à partir du 27 juillet. La dissolution risque donc de n’intervenir qu’en septembre 2025.
D’ici là, sauf à trouver une improbable coalition entre la droite, le centre et la gauche, le pays risque de rester ingouvernable, dans une situation grosse de multiples crises, économique, financière et géopolitique.
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