Comment va se dérouler le probable renversement du gouvernement Barnier
Par Franck Lemarc
Cela n’était jamais arrivé depuis 1962. Aujourd’hui, pour la deuxième fois seulement dans l’histoire de la Ve République, un gouvernement risque d’être renversé par la coalition des oppositions, à l’Assemblée nationale. Sauf surprise en effet, la première motion de censure, déposée par le NFP, sera votée par une large majorité de députés, avec pour conséquence l’obligation pour Michel Barnier de remettre sa démission au président de la République.
325 signatures pour deux motions
Deux motions de censure ont été déposées lundi, juste après le déclenchement par le Premier ministre de l’article 49-3 sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, l’une par le NFP et l’autre par le RN. C’est celle de la gauche qui sera discutée en premier, dans la mesure où elle a reçu le plus de signatures.
Les deux motions remplissent toutes les conditions requises par la Constitution et le règlement de l’Assemblée nationale : elles ont réuni la signature de plus de 10 % des députés (185 pour le NFP et 140 pour le RN), et elles mentionnent toutes les deux qu’elles sont « déposées en application de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution ».
La Conférence des présidents a fait le choix d’abréger les souffrances du gouvernement en organisant le débat cet après-midi, alors qu’elle aurait pu retarder les choses : le règlement de l’Assemblée fixe un délai minimum pour ce débat (au moins 48 heures après le dépôt) mais permet de retarder le débat jusqu’au « troisième jour de séance » suivant l’expiration de ce délai, soit vendredi.
Les motions de censure
La motion de censure du NFP, déposée par la France insoumise, est signée par les autres présidents de groupe de la coalition (PS, PCF, écologistes). Les députés de gauche écrivent que « s’il était mis en œuvre, ce budget de la sécurité sociale aggraverait les difficultés que vivent les Françaises et les Français au quotidien : fermeture des services d’urgence, pénuries de médicaments essentiels, désertification médicale, hausse du renoncement aux soins pour raisons financières, Ehpad et hôpitaux publics à bout de souffle, dérives de la marchandisation du secteur des crèches… ». Ils mettent en avant les « 17 milliards de recettes supplémentaires » qu’ils avaient fait adopter par amendement. Mais ces amendements ont été « balayés » par le gouvernement. Le texte n’épargne pas le RN, dont les députés du NFP fustigent les « viles obsessions » sur l’immigration et l’Aide médicale d’État. Accusés « d’irresponsabilité » par le gouvernement, les députés de gauche s’en défendent, affirmant ne jamais avoir été « du côté de l’instabilité ou du chaos ». « Mais l’absence de dialogue, le mépris pour les propositions formulées et pour le travail parlementaire rendent la censure nécessaire. »
Côté RN, la motion de censure rappelle que le gouvernement avait promis, lors de sa présentation du budget, d’agir pour la maîtrise des dépenses, la souveraineté de la France et « un effort juste ». Pour le Rassemblement national, « aucun de ces trois aspects ne ressort des textes budgétaires ». Comme la gauche, le RN accuse le gouvernement d’être resté sourd à ses propositions – ce qui n’est pas entièrement exact, dans la mesure où Michel Barnier a cédé sur plusieurs des « lignes rouges » fixées par Marine Le Pen. Mais cela ne suffit pas, puisque le RN rappelle que le texte contient encore une mesure de désindexation des pensions de retraite et de « hausse du coût du travail ». Estimant que le gouvernement « n’a montré aucun signe d’une quelconque prise en compte politique des résultats des élections européennes et législatives de 2024 », le parti d’extrême droite demande donc qu’il soit censuré.
Dans la mesure où le RN a annoncé son intention de voter la motion de censure du NFP, sa propre motion ne devrait pas avoir besoin d’être discutée.
288 voix nécessaires
Comment va se dérouler la séance ? Elle ouvrira à 16 h, et débutera par une prise de parole, au perchoir, de tous les présidents de groupe. Vers 17 h 45, le Premier ministre montera à la tribune pour conclure les débats. À 18 h, la présidente ouvrira le vote, qui se déroule, précise le règlement de l’Assemblée nationale, « dans les salons voisins de la salle des séances », à l’urne. Le scrutin durera une demi-heure. Particularité du vote d’une motion de censure : seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin. Il suffit donc de compter les bulletins déposés pour connaître le résultat. La Conférence des présidents a précisé hier que la majorité absolue n’est pas, comme d’habitude, à 289 voix mais à 288, puisque l’Assemblée ne compte actuellement que 574 députés au lieu de 577.
Les résultats devraient être proclamés vers 19 heures. S’il y a 288 bulletins ou plus dans les urnes, l’affaire sera faite : le PFSS sera rejeté et, surtout, le gouvernement sera renversé. Ce qui, par effet domino, entraînera la fin de tous les projets de loi actuellement en cours d’examen, dont le projet de loi de finances.
Vers une adoption in extremis du projet de loi de fin de gestion
C’est donc, accessoirement, une course contre la montre qui se joue aujourd’hui pour faire définitivement adopter avant cette séance un texte budgétaire appelé « projet de loi de fin de gestion » : il s’agit du texte qui fixe les ultimes ouvertures et fermetures de crédits pour l’année en cours. Ce texte avait été rejeté par l’Assemblée nationale le 19 novembre, mais hier, en commission mixte paritaire, députés et sénateurs se sont mis d’accord sur un texte de compromis. Le texte sera débattu aujourd’hui à l’Assemblée nationale et au Sénat pour une adoption définitive.
Le fait que ce texte soit examiné aujourd’hui ne doit rien au hasard : il devait l’être, initialement, nettement plus tard, et le texte courait donc le risque de passer à la trappe en cas de chute du gouvernement. Mais les députés et le gouvernement se sont mis d’accord pour avancer l’examen de la dernière version du texte, afin de permettre son adoption avant l’heure fatidique. L’enjeu est en effet de taille, en particulier pour la Nouvelle-Calédonie, puisqu’il autorise le déblocage immédiat d’une enveloppe de 1,1 milliard d’euros, sans lesquels, selon le député néo-calédonien Nicolas Metzdorf, les provinces et les communes n’auront tout simplement plus les moyens de fonctionner. Sans vote de ce texte, expliquait hier le député, les conséquences seraient immédiates et « dramatiques » : « interruption des salaires des agents publics et des médecins, arrêt des allocations chômage et une crise énergétique majeure ».
Autre aspect moins dramatique mais fort important pour un certain nombre de maires : ce texte permettra, a assuré le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, de débloquer les crédits nécessaires au paiement par la gendarmerie des loyers qu’elle doit à des centaines de communes. Le rejet de ce texte entraînerait donc la prolongation de ces retards de loyer.
Le vote sur ce projet de loi de fin de gestion aura lieu à 15 heures à l’Assemblée. Il semble acquis qu’il sera favorable, puisque le RN a annoncé son intention de s’abstenir. Une heure avant le renversement du gouvernement, ce projet de loi sera donc l’ultime texte adopté du très éphémère gouvernement Barnier.
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