Catherine Vautrin promet « une attention particulière aux moyens d'agir » des élus
Par Franck Lemarc
À ceux qui s’interrogent sur la question de savoir si le nouveau gouvernement agira en rupture ou en continuité avec les précédents, la journée d’hier a apporté quelques réponses : les passations de pouvoir entre anciens et nouveaux ministres, dans la grande majorité des cas, se sont passées dans une ambiance de franche camaraderie et de congratulations mutuelles, remerciements pour le travail « extraordinaire accompli » et promesses de « poursuivre sur la même voie » et « reprendre le flambeau ». Cela a été particulièrement vrai lors de la passation de pouvoir à Bercy, dimanche, les deux nouveaux ministres ne tarissant pas d'éloges pour l'héritage laissé par Bruno Le Maire, comme si le déficit de l'Etat ne frisait pas les 6 % du PIB. Le tout laissant davantage l’impression d’un remaniement ministériel que d’une équipe souhaitant rompre avec la politique de la précédente. C’est finalement, peut-être, le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui a été le plus rugueux avec son prédécesseur, Gérald Darmanin, en martelant que son action s’orientera autour de trois axes, « rétablir l’ordre, rétablir l’ordre et rétablir l’ordre ». Sous-entendant que si l’ordre doit être « rétabli », c’est que son prédécesseur n’a pas été capable de le maintenir.
Bilan de l’action de Christophe Béchu
Parmi les nombreuses cérémonies d’hier, l’une des plus notables, pour les élus locaux, a été celle qui a eu lieu dans la cour de l’Hôtel de Roquelaure, siège de l’ancien ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de Christophe Béchu – qui, aussitôt après la cérémonie, a filé à Angers où il s’est fait réélire maire de la ville hier soir lors d’une session extraordinaire du conseil municipal.
Cette passation de pouvoir a été la plus pléthorique de toutes. D’un côté, l’ancienne équipe de l’énorme ministère de Christophe Béchu , qui avait sous sa tutelle pas moins de cinq ministres délégués et secrétaires d’État (Dominique Faure, Guillaume Kasbarian, Sabrina Agresti-Roubache et Hervé Berville) ; de l’autre, les trois ministres qui se partageront désormais son portefeuille : Catherine Vautrin au Partenariat avec les territoires et à la Décentralisation, Agnès Pannier-Runacher à la Transition écologique, à l’Érgie, au Climat et à la Prévention des risques, et Valérie Létard au Logement et à la Rénovation urbaine. Étaient également présents, sans prendre la parole, les trois ministres délégués de Catherine Vautrin, Françoise Gatel (Ruralité, Commerce et Artisanat), François Durovray (Transports) et Fabrice Loher (Mer et Pêche), déjà surnommés « l’équipe des 3 F » par la ministre.
Christophe Béchu, dans son discours, a rappelé qu’il était arrivé au ministère « comme maire, avec la conviction que dans ce domaine, il ne faut pas opposer le national et le local ». Il a dressé un bilan positif de ses deux ans passés au ministère, rappelant les nombreuses mesures qui ont été mises en œuvre sous sa direction : « La planification écologique, des émissions des gaz à effet serre qui ont baissé de 10 % en deux ans, le Fonds vert, le leasing électrique pour les voitures, les bases de l’affichage environnemental et de l’indice de durabilité… ». De toutes ces mesures, c’est certainement le Fonds vert que retiendront le plus les maires, pour une fois qu’un dispositif relativement simple et facile d’accès avait été mis en œuvre pour eux. Christophe Béchu, bon camarade, n’a pas jugé utile de pointer le fait que dans le projet de budget pour 2025, Bercy avait décidé de rogner fortement le Fonds vert en le passant de 2,5 à un milliard d’euros. Et encore, il semble que l’on ait échappé au pire : il semble en effet qu’à l’origine, Bercy avait même réduit le Fonds vert à zéro, et qu’il ait fallu que des conseillers ministériels se battent âprement pour préserver finalement un milliard d’euros.
De façon très représentative de cette « continuité » que nous évoquions plus haut, Christophe Béchu a évoqué l’action à venir des nouveaux ministres … en la prenant à son compte : « Beaucoup reste à faire. Nous allons continuer à retisser un lien sur la ruralité… ».
L’ancien ministre a également évoqué le sujet de la crise de l’immobilier, en rejetant une partie de celle-ci, de façon assez étonnante, sur les élus locaux : « L’augmentation du coût des chantiers et des matériaux est venue rencontrer, parfois, une frilosité à délivrer des permis de construire. »
Catherine Vautrin promet d’écouter « chaque élu »
Catherine Vautrin, en prenant la parole, s’est tout de suite présentée comme élue locale (ancienne présidente de la métropole de Reims) et ancienne présidente de l’Anru. Elle a émaillé tout son discours – sans annonce particulière par ailleurs – de références et d’hommages aux élus, aux collectivités locales « sans lesquelles la République n’existerait pas ». « Élue municipale (…), je rejoins ce ministère aux contours complexe, dont le fil directeur est dans son titre » – le « partenariat avec les territoires ». « J’ai la claire conscience qu’il faudra écouter, dialoguer avant d’agir. Je sais les difficultés auxquelles sont confrontés les élus locaux dans leur engagement, je sais aussi leur droiture et leur souci d’une gestion toujours exemplaire. » Sur ce dernier point, les maires n’ont donc plus qu’à espérer que leur nouvelle ministre convaincra ses collègues de Bercy que leur gestion est « exemplaire » et non « outrageusement dépensière ». La ministre a promis « respect et humilité », et s’est engagée, aux côtés de Françoise Gatel, à « écouter chacun et chacune de ces élus, (dans) des échanges toujours francs, bienveillants, avec une attention toute particulière à leurs capacités et leurs moyens d’agir ».
Rendre l’écologie « populaire »
La ministre qui sera désormais chargée de tout le dossier écologie, Agnès Pannier-Runacher, a ensuite pris la parole. Était-ce une réponse (en service commandé ?) à tous ceux qui estiment que ce gouvernement est trop uniformément à droite ? La ministre a largement insisté dans sa prise de parole sur le fait qu’elle demeure une « femme de gauche » – elle arborait d’ailleurs un pin’s arc-en-ciel, aux couleurs du mouvement LGBT, sans rapport particulier avec ses fonctions, au moment où beaucoup de commentateurs notent que plusieurs ministres du nouveau gouvernement ont été d’ardents opposants au mariage pour tous.
Agnès Pannier-Runacher a défendu la perspective d’une « « écologie populaire et non punitive et restrictive de liberté », et s’est dite déterminée à convaincre que « l’écologie n’est pas un sujet de riches ». Au contraire, l’écologie est selon elle un sujet « social », pour qu’elle permet de répondre aux inquiétudes très concrètes des Français, par exemple sur la vulnérabilité de leur logement aux risques climatiques, à « ce qu’ils ont dans leur assiette, à la qualité de l’eau qu’ils boivent ». Elle a promis de placer la rénovation des logements au cœur de son action, et a annoncé qu’elle allait rapidement « rencontrer les élus locaux de toutes les sensibilités pour bâtir un agenda ». Déclaration quelque peu surprenante, dans la mesure où les élus – la ministre devrait le savoir – n’ont pas l’habitude d’être rencontrés par « sensibilité » mais par strate de collectivité, à travers des associations transpartisanes.
Logement : enfin une ministre de plein exercice
Enfin, Valérie Létard a pris le micro, non sans émotion à l’idée de se trouver à l’endroit même où Jean-Louis Borloo, son mentor, « a inventé le Grenelle de l’environnement ». Il est à noter que de tous les intervenants – Christophe Béchu compris –, la nouvelle ministre du Logement et de la Rénovation urbaine a été la seule à évoquer le sujet pourtant majeur du ZAN, rappelant les débats auxquels elle a largement participé, en tant que sénatrice, pour « finir par trouver des solutions ».
Valérie Létard s’est chaudement félicitée du fait que « pour la première fois depuis 2017 », le logement bénéficie d’un ministère de plein exercice, ce qui est « un signal » que ce dossier est « au cœur des préoccupations du Premier ministre ». Elle s’est dite décidée à aborder le dossier du logement sous un triple volet – social, environnemental et économique. Social, parce qu’aujourd’hui « le logement représente jusqu’à 50 % du pouvoir d’achat » des ménages modestes ; économique, parce que la crise de l’immobilier appelle à trouver des solution urgentes ; et environnemental, parce que la réhabilitation thermique des logements prend du retard.
Elle s’est également engagée à prendre immédiatement à bras le corps la question de l’hébergement d’urgence.
« Débureaucratiser » la fonction publique
Parmi les autres ministres qui ont pris leurs fonctions hier, on peut retenir les mots de Guillaume Kasbarian, nouveau « et un peu inattendu) ministre de la Fonction publique. Comme la nouvelle ministre de l’Éducation nationale l’avait fait peu avant, le nouveau ministre a tenté de pallier son inexpérience du sujet en énumérant les membres de sa famille ayant travaillé dans la fonction publique. Mais il s’est gardé de donner ses orientations, et notamment de dire s’il allait mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur, qui avait heurté de front les syndicats de la fonction publique et évoquant la rémunération au mérite ou la suppression des catégories.
Guillaume Kasbarian a simplement annoncé qu’il avait l’intention de « simplifier la vie des Français » en « débureaucratisant à tous les étages ». Il a également évoqué « le labyrinthe bureaucratique » que serait devenue l’administration et la nécessité, pour celle-ci, de « rendre des comptes », au nom de la Constitution qui « donne le droit à la société de demander compte à tout agent public de son administration ». Des déclarations qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’ont pas été ressenties par les organisations syndicales comme une marque de confiance à l’égard des agents publics.
Il est à noter que dans son discours, Guillaume Kasbarian n’a pas fait mention une seule fois des employeurs territoriaux.
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