Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 30 octobre 2024
Fonction publique

Vifs débats à l'Assemblée nationale sur la lutte contre « l'absentéisme » des fonctionnaires

La mesure annoncée dimanche par le gouvernement, visant à faire passer le nombre de jours de carence à trois au lieu d'un dans la fonction publique, n'en finit pas de faire débat. Hier, à l'Assemblée nationale, pas moins de cinq questions au gouvernement sur 17 ont porté sur ce sujet particulièrement polémique. 

Par Franck Lemarc

Rappelons que, dans le but d’économiser « 1,2 milliard d’euros », les ministres du Budget et de la Fonction publique ont annoncé, en début de semaine, vouloir introduire dans le projet de budget des mesures de restriction sur les arrêts-maladie des fonctionnaires : passage de un à trois jours de carence et diminution de 10 % du traitement pendant les arrêts maladie. Par ailleurs, le gouvernement a également annoncé son intention de mettre fin à la Gipa (Garantie individuelle du pouvoir d’achat) ; Et, comme si tout cela ne suffisait pas pour crisper les organisations syndicales, le ministre Guillaume Kasbarian a déclaré hier ne pas vouloir « jeter à la poubelle »  le projet de son prédécesseur, Stanislas Guerini, visant à mettre fin aux catégories A, B et C. 

Pas de « stigmatisation » 

Ces annonces ont fait réagir les organisations syndicales, qui se disent prête à engager le fer pour les combattre – y compris par l’appel à la grève –, mais elles ont aussi donné lieu, notamment sur les chaînes d’information continue, à des débats parfois outranciers sur la fonction publique territoriale, notamment, pointée du doigt lors de certains débats, ses agents étant désignés comme des « fainéants ». On a ainsi vu, par exemple sur BFM-TV lundi 28 octobre au soir, un intervenant expliquer que les agents de la territoriale se mettent en arrêt maladie pour « faire leurs courses »  ou encore qu’il est bien connu que « les maladies qui durent deux jours, cela n’existe pas ». 

Le ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, a voulu hier, devant les députés, se démarquer de ces postures outrancières et se défendre de toute « stigmatisation »  des fonctionnaires. Il a, à plusieurs reprises, dit son « respect, (ses) remerciements et (son) admiration envers les 5,7 millions d’agents de la fonction publique ». Face aux questions des députés des diverses composantes de la gauche, qui l’ont accusé « d’insulter », de « fouler au pied »  ou de vouloir « démolir »  la fonction publique, le ministre a répondu qu’au contraire, les mesures qu’il préconise sont destinées à « défendre les fonctionnaires », car « les agents eux-mêmes sont les premières victimes de l’absentéisme, (puisque) quand il y a beaucoup d’absences dans un service, le travail se reporte sur les autres ».

« Accompagnement »  et « protection fonctionnelle » 

Les arguments des députés opposés à la mesure ont été bien résumés dans une question posée par le député LFI de la Seine-Saint-Denis Alexis Corbière. Celui-ci a d’abord remarqué que le terme « d’absentéisme »  mis en avant par le ministre n’existe « ni dans le Code du travail ni dans aucune convention collective », expliquant que le sujet n’est pas « l’absentéisme »  mais « les arrêts maladie ». Il faut donc, pour lui, non « punir 100 % des malades »  mais s’attaquer « aux maladies et aux causes de celles-ci ». Il a rappelé que la principale cause du taux d’arrêt-maladie dans la fonction publique, supérieur à celui du privé, est « le vieillissement »  – l’âge moyen dans la fonction publique est de trois ans plus élevé que celui du secteur privé. 

Guillaume Kasbarian a répondu qu’il entendait, en effet, « s’attaquer aux causes » : il ne compte pas seulement prendre ce qu’il continue d’appeler, en dépit des critiques, « des mesures de responsabilisation », mais prévoit également « des mesures d’accompagnement afin d’améliorer les conditions de vie au travail ». D’abord, « des mesures de simplification administratives qui permettront aux agents de retrouver du sens dans leur travail quotidien », mais aussi des mesures sur « l’ergonomie des postes ». Le ministre a d’ailleurs repris, à la suite d’une question de l’ancien maire de Poissy Karl Olive, une idée avancée par ce dernier, consistant à proposer davantage d’activités physiques et sportives aux fonctionnaires sur leur lieu de travail. Toutes ces mesures, a précisé le ministre, seront élaborées « en concertation avec les organisations syndicales ». Karl Olive, précisons-le, a fait partie des députés qui se sont déclarés solidaires du projet gouvernemental, estimant que la question de l'absentéisme dans la fonction publique « est devenu une urgence absolue ».

Enfin, le ministre a évoqué un dernier sujet de son plan, celui de « la protection fonctionnelle ». « Une partie des absences des agents publics s’explique par les agressions et les attaques dont ils ont à souffrir au quotidien », a-t-il constaté. Il a donc annoncé vouloir « faire prospérer un texte »  législatif améliorant « la protection fonctionnelle (des agents publics) comme la protection de leur famille ». 

Une question de fond absente des débats

Il reste qu’une véritable question de fond n’a été posée ni par les députés ni par le ministre. Dans la mesure où toutes les études sérieuses montrent que le taux d’absence dans la fonction publique territoriale est lié à la fois à la pénibilité et au vieillissement, il semble que ce qui permettrait, fondamentalement, de réduire ce taux d’absence serait le rajeunissement des effectifs. Ce qui ne peut pas être séparé de la question de l’attractivité des métiers, d’une part, et des moyens financiers des collectivités, d’autre part. Ce à quoi il faut ajouter la pression constante des gouvernements successifs à réduire les dépenses de fonctionnement des collectivités – ce qui passerait notamment par une réduction des effectifs, on se souvient de la Cour des comptes appelant récemment à la suppression de 100 000 postes dans la FPT.

On est donc ici face à un pur exemple d’injonctions contradictoires. La réduction des effectifs dans la fonction publique territoriale, que ce soit faute de moyens ou du fait d’une politique volontariste, ne pourrait avoir pour effet que d’aggraver « l’absentéisme », comme l’expliquait l’assureur Sofaxis (aujourd’hui Relyens) dans une étude parue en 2020 : le non-remplacement des départs en retraite conduirait mécaniquement à « une sous-représentation encore plus marquée des agents de moins de 40 ans », et donc à « une hausse de la gravité des arrêts, d’autant que les métiers territoriaux, souvent pénibles physiquement et/ou psychologiquement, sont exercés en milieu contraint (manutention de charges, postures pénibles, vibrations, bruits, agents chimiques, écart de température ...) ». 

Notons au passage que la discussion sur la création d'un fonds en faveur de la prévention de l’usure professionnelle dans la FTP, à l'instar de ce qui existe dans l'hospitalière, sont aujourd'hui au point mort : depuis la parution du rapport Hiriart de 2023, qui préconisait une telle mesure, conformément aux souhaits de l'AMF, la mesure est pour l'instant restée dans les cartons. 

Enfin, comment les élus pourront-ils demain augmenter l’attractivité des emplois proposés, et donc attirer des jeunes, et donc faire diminuer l’absentéisme, si se referme sur leur cou le « garrot financier »  si souvent critiqué par l’AMF et le Comité des finances locales ? Pour ne prendre qu’un exemple, le gouvernement vient de décider une hausse de 12 % sur trois ans des cotisations CNRACL des employeurs territoriaux, ce qui se chiffrera à 5 milliards d’euros. Dans ces conditions, peut-on espérer que les élus aient les moyens d’embaucher ou d’améliorer l’attractivité ?

Avec la question de l'organisation et de l'optimisation du travail, le véritable enjeu de la problématique de l’absentéisme se trouve en réalité là. Il est dommage que ce point ne soit, pour l’instant, pas mis en débat par le gouvernement. 

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