Maire-info
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Édition du lundi 9 septembre 2024
Fonction publique

Revue de dépenses : les inspections générales proposent des économies sur les arrêts maladie dans la fonction publique

Prévoyant jusqu'à 2 milliards d'euros d'économies, l'Igas et l'IGF préconisent d'instaurer jusqu'à trois jours de carence et de réduire le taux de remplacement de la rémunération des agents. Les syndicats dénoncent une mesure purement budgétaire.

Par A.W.

« Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre que le nombre de jours d’absence parmi les personnels des collectivités locales soit de 17 par an, quand il est de 12 dans le privé, et de 10 dans les services de l’État ? Est-ce que vous trouvez ça juste ? Est-ce que vous trouvez ça raisonnable ? », feignait de s’interroger, en mars dernier, le ministre de l’Economie (actuellement démissionnaire), Bruno Le Maire, dans un contexte de dégradation majeure des comptes publics et d’annonce d’économies supplémentaires à trouver sur le budget 2025 (20 milliards d'euros, en plus des 10 milliards déjà actés en février).

Quelques jours plus tôt, l’inspection générale des finances (IGF) et à l’inspection générale des affaires sociales (Igas) s’étaient vu confier, par le Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, une mission de revues de dépenses relative, pour l’une d’entre elles, justement à « la réduction des absences »  pour raison de santé dans la fonction publique.

Territoriale : un coût de près de 6 milliards d’euros

Dans leurs conclusions qui viennent d’être publiées, les deux inspections expliquent avoir accordé une « attention particulière à l’objectif de réduction des absences pour maladie de courte durée, en raison de leur coût élevé, des perturbations qu’elles engendrent pour les services publics en raison de leur imprévisibilité et, dans certains cas, du recours abusif aux arrêts maladie de courte durée ».

Premier constat mis en avant par les inspecteurs : ces absences pour raison de santé ont connu une hausse généralisée, aussi bien dans la fonction publique que dans le secteur privé, à partir de 2020 avant d’atteindre des « niveaux historiquement hauts »  en 2022.

Cette année marque, toutefois, « un décrochage »  entre les secteurs public et privé avec « en moyenne 14,5 jours d’absence pour raison de santé dans l’année par agent public contre 11,7 jours par salarié du secteur privé », alors qu’elles se situaient à des niveaux comparables sur la période 2014-2019 (autour de 8 jours par an). 

Dans le détail, les inspections observent des « différences significatives »  entre les trois versants de la fonction publique avec davantage d’absences dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière en 2022 avec respectivement 17 et 18 jours d’absence par an par agent que dans la fonction publique de l’État (11 jours d’absence). En pourcentage, la progression est, toutefois, similaire entre la FPE et la FPT entre 2019 et 2022 (autour de 50 %), plus élevée dans la FPH (+ 74 %) et moindre dans le privé (+ 39 %).

Si cette croissance s’explique « en partie par l’épidémie de Covid, à l’origine des deux tiers de la progression des absences pour raison de santé (...) dans le régime général », il n’y a à ce jour « pas de données sur la part de l’épidémie dans la hausse de l’absentéisme dans la fonction publique », notent les auteurs de l’étude qui estiment à 15,1 milliards d’euros en 2022 le coût de ces absences, répartis à hauteur de 4,9 milliards d’euros dans la FPE, 5,8 milliards d’euros dans la FPT et 4,4 milliards d’euros dans la FPH.

En neutralisant « les effets des structures », le coût de l’écart de taux d’absence pour raison de santé entre fonction publique et secteur privé est estimé à 0,7 milliard d’euros par l’Igas et l’IGF, et ne concerne « quasi exclusivement que la FPT ».

Écart avec le privé à relativiser

En parallèle, les auteurs de l’étude montrent « qu’à structures d’emplois identiques (âge, sexe, état de santé, type de contrat, catégorie socio-professionnelle, diplôme des agents et des salariés) la FPE, la FPH et le secteur privé seraient au même niveau d’absentéisme et l’écart entre la FPT et le privé ne serait que la moitié de celui observé ».

Une problématique de l’absentéisme déjà évoquée à l’automne dernier par l’Observatoire de la MNT qui expliquait que si l’absentéisme est plus important dans la territoriale que dans le privé ou dans la fonction publique de l’État cela est, pour l’essentiel, dû à l’âge des agents. En effet, l’âge moyen dans la territoriale est de 48 ans, contre 44 ans en moyenne pour les trois versants et 41 ans pour le secteur privé, selon les chiffres de la MNT. 

Sans compter que la typologie des métiers y est bien plus favorable à l'émergence de maladies professionnelles puisque plus de 75 % des agents de la FPT sont en catégorie C, en grande partie sur des métiers d’exécution incluant du port de charges, de la station debout (voirie, bâtiments, Atsem, crèches, etc…). Un état de fait qui paraît rendre plus « juste »  ou « raisonnable », pour reprendre les mots de Bruno Le Maire, le niveau d’absentéisme plus élevé dans la territoriale.

En outre, une baisse globale des arrêts maladie semble d’ores et déjà amorcée depuis 2023 « avec la fin de la crise sanitaire », observent les inspections générales, mais « sans revenir (au) niveau d’avant crise ». 

Selon l’Igas et l’IGF, la hausse des absences a déjà été en partie annulée d’environ 30 % en 2023 dans la FPE et « à hauteur de 75 % pour les infirmiers et aides-soignants des CHU »  qui voient leurs absences revenir « à un niveau plus proche de celui de la période antérieure à la crise sanitaire ». « Les données recueillies par la mission pour le versant territorial ne permettent pas, en revanche, d’y dessiner une tendance générale », soulignent-elles.

Instaurer jusqu’à 3 jours de carence

Afin de réduire les arrêts maladie et leur coût dans la fonction publique, les deux inspections générales proposent donc d’instaurer « de deux à trois jours de carence »  et de diminuer le « taux de remplacement de la rémunération des agents publics en arrêt de travail de courte durée ».

Le premier levier permettrait de dégager des économies budgétaires estimées à 67 millions d’euros pour le budget de l’État et 174 millions d’euros pour l’ensemble de la fonction publique avec le passage à deux jours de carence. Avec trois jours de carence, ce serait 112 millions d’euros d’économisés pour le budget de l’État et 289 millions d’euros pour l’ensemble de la fonction publique.

La deuxième mesure assurerait, elle, un gain d’environ 300 millions d’euros d’économies budgétaires par versant avec un taux de remplacement à 90 % et de 600 millions d’euros avec un taux à 80 %. Le tout cumulé permettrait donc de générer jusqu'à un peu plus de 2 milliards d'euros d'économies.

Au-delà de ces mesures dites « incitatives », l’Igas et l’IGF préconisent de mettre en place « une politique de prévention plus volontariste et un accompagnement renforcé des parcours professionnels », d’une part, ainsi qu’une « meilleure mobilisation des contrôles médicaux et administratifs des arrêts de travail et l’intégration d’un volet contrôle dans une politique d’ensemble de lutte contre l’absentéisme ».

« Vieilles recettes »  et « stigmatisation » 

Un dernier volet que semble déjà vouloir mettre en oeuvre le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), Thomas Fatôme, alors que le déficit de l’Assurance maladie sera, lui aussi, « vraisemblablement plus élevé »  qu’attendu en 2024. Dans un entretien aux Echos publié hier, celui-ci s’inquiète ainsi des dépenses liées à l’indemnisation des arrêts de travail des salariés, en hausse « de plus d’un milliard »  d’euros cette année.

En réaction, la Cnam devrait rapidement « contacter tous les assurés qui ont un arrêt de plus de 18 mois pour (...) voir si leur arrêt est justifié, voir s’il y a une reprise d’activité enclenchée et discuter éventuellement de la mise en place d’un mi-temps thérapeutique ». Il est également prévu de contacter « 7 000 médecins généralistes qui prescrivent des arrêts de manière importante pour échanger sur leurs pratiques et voir s’il y a un moyen de mieux maîtriser la situation ».

Réagissant aux propositions des inspections, le syndicat FO de la Fonction publique a dénoncé « un énième rapport qui stigmatise »  ainsi qu’un « un scandale et une manipulation », celui-ci estimant que « si les fonctionnaires sont parfois en arrêt maladie, c’est avant tout de la responsabilité de l’employeur public et notamment de l’Etat employeur ». 

Force ouvrière pointe également « les suppressions de postes subies depuis des années, les restructurations permanentes, l’affaiblissement pour ne pas dire la suppression de la médecine de prévention, la surcharge de travail, et le manque de moyens matériels ».

Du côté de la CFDT, on déplore de « vieilles lunes »  et des « vieilles recettes dont l’impact positif n’a jamais été prouvé, et qui pénalisent les malades qui - décidément - sont une cible budgétaire ». Et le syndicat de dénoncer « encore une fois les dangers de la seule approche budgétaire ».

Télécharger l'étude l'Igas et de l'IGF.

 

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