Réforme de la fonction publique : Stanislas Guerini prend le risque de braquer d'emblée les organisations syndicales
Par Lucile Bonnin
En septembre dernier, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guerini a annoncé vouloir mener une réforme de la fonction publique, évoquant des « blocages » ou encore des « archaïsmes » à lever et défendant une « fonction publique qui reconnait les droits et les devoirs » de ses agents.
Huit mois plus tard, une consultation des syndicats et employeurs de la fonction publique vient d’être lancée sur ce projet de loi pour l'efficacité de la fonction publique. Murielle Fabre, secrétaire générale de l’AMF, était présente.
Pour rappel, le projet de loi vise à « mieux récompenser le mérite des agents, encourager et faciliter la mobilité dans la fonction publique » et à « mettre les compétences au cœur des parcours ». La question de la rémunération devrait être au cœur du projet de loi, tout comme « la facilitation du passage du terrain à l’administration centrale, d’un versant à l’autre », la simplification des échanges entre le privé et le public, et l’amélioration de la formation continue.
Mais dès la première rencontre avec les acteurs de la fonction publique hier matin, le débat s’est annoncé complexe avec, d’un côté, un ministre qui veut frapper fort avec cette réforme et de l’autre des syndicats qui dénoncent le manque de concertation du gouvernement sur certains points essentiels de ce projet de loi – qui devrait être présenté au Conseil des ministre à l’automne prochain.
« Le statut ne peut pas être le statu quo »
Le ministre avait prévenu en septembre : « Le statut ne peut pas être le statu quo ». Cette phrase prend aujourd’hui tout son sens.
Le ministre a présenté hier un document de cadrage aux acteurs concernés, restant, selon les informations du Parisien, « assez allusif » et posant ainsi le débat : « Les employeurs et managers sont-ils suffisamment outillés pour prendre en compte l’insuffisance professionnelle dans le déroulé de la carrière, directement appréciée sur le fondement de l’évaluation professionnelle ? quelle possibilité d’une réponse graduée ? »
Notons d’abord que cette façon de présenter les choses vise davantage à pointer les agents qui seraient coupables « d’insuffisance professionnelle » plutôt qu’à trouver des moyens pour permettre aux agents d’exercer leurs fonctions dans de meilleures conditions ; ou encore plutôt qu’à chercher des moyens de récompenser les agents considérés comme « méritants ». Si la manière d’ouvrir ce débat peut apparaître provocatrice aux organisations syndicales, la méthode employée par le ministre l’est tout autant, puisqu’il a dévoilé de nouvelles mesures dans Le Parisien d’aujourd’hui, sans les évoquer au préalable au cours de la concertation. D'autant qu'il ne s'agit pas de mesurettes : le ministre parle de lever « le tabou du licenciement dans la fonction publique » et d’une révision de l'organisation par catégories des fonctionnaires.
Vers une révision du statut ?
« Le statut de la fonction publique ce n’est pas le statu quo, ce n’est pas l’égalitarisme. Il faut le faire évoluer, le moderniser », a indiqué Stanislas Guerini à la presse. La réforme souhaitée par l’exécutif semble vouloir modifier en partie le statut des agents de la fonction publique. Les catégories de la fonction publique (A, B et C) sont considérées comme étant « définies par le seul niveau théorique de diplôme et de recrutement, quel que soit le métier exercé », peut-on lire dans le document de cadrage du ministère, et le système, du point de vue du gouvernement, est en « décalage croissant avec la réalité des niveaux et des contenus de qualifications nécessaires pour l’exercice des métiers ».
Mais c'est encore davantage l’annonce du ministre, hier soir dans Le Parisien, sur la volonté de mieux sanctionner les insuffisances au travail en facilitant les licenciements qui a fait bondir les syndicats. Concrètement, le gouvernement souhaite porter dans ce projet de loi « une disposition visant à donner une assise juridique plus solide pour distinguer des agents, reconnaître l’engagement ou mentionner une insuffisance professionnelle allant du rappel à l’ordre au licenciement », selon les sources citées par le Parisien.
Interrogé ce matin au micro de France inter, le ministre explique que « le licenciement pour insuffisance professionnelle dans la fonction publique est un outil très mal défini et extrêmement peu appliqué. Le statut de la fonction publique, c'est la garantie de l'emploi. Je ne veux pas le remettre en cause. L'année dernière il y a eu 13 licenciements pour insuffisance professionnelle et 222 révocations pour faute. Je pense qu'il faut être très décalé pour considérer que quand vous avez un collectif de cent personnes, qu'il y a une personne qui ne fait pas bien son travail, cela n'est pas démotivant pour les 99 autres ».
Dans le document de présentation de la consultation, le ministre propose aussi, pour « consolider les leviers permettant les départs conventionnels », de pérenniser le dispositif de rupture conventionnelle créé par la loi de transformation de la fonction publique, à titre expérimental pour les années 2020 à 2025, pour les fonctionnaires appartenant aux trois versants de la fonction publique. Selon les chiffres du ministère, pour la Fonction publique de l’État, entre 2020 et 2022, 5 300 agents ont bénéficié de ce dispositif qui a permis des reconversions professionnelles hors de l’administration.
Incompréhension et inquiétude des syndicats
« Il ne nous a absolument rien dit ! Nous l'avons appris dans la presse », a déclaré ce matin au micro de France info Natacha Pommet, secrétaire générale de la CGT Fonction publique. C'est une méthode que l'on dénonce depuis plusieurs mois, face à ce ministre qui préfère la presse aux relations sociales avec les organisations syndicales. On jette l'opprobre en faisant croire que les 5,5 millions de fonctionnaires souffrent d'insuffisance professionnelle »
Le ministre veut visiblement durcir la législation sans préciser comment. Rappelons que le Code général de la fonction publique prévoit déjà le licenciement pour insuffisance professionnelle des titulaires et stagiaires. Dans ce cadre, l’employeur doit démontrer l’insuffisance professionnelle de l’agent et établir un rapport. Cette insuffisance professionnelle « s’apprécie dans l’activité quotidienne et ne peut reposer sur des défaillances occasionnelles », peut-on lire dans une fiche de la CFDT Fonctions publiques.
Ainsi, certains syndicats craignent que cette disposition vise davantage les licenciements pour inaptitude à la suite d'une maladie ou un accident que les licenciements pour faute comme il peut y avoir dans le secteur privé.
Il faut aussi souligner que, selon le Code général de la fonction publique, l’agent ne peut être évincé au motif qu’il remplit mal ses fonctions, dès lors que ces fonctions ne correspondent pas à son grade. « En conséquence, le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un adjoint administratif territorial employé en qualité de secrétaire de mairie dans une commune de plus de 2 000 habitants, alors qu’un tel poste, aux termes du décret de référence, ne peut être occupé par un agent d’un tel grade, que dans les communes de moins de 2 000 habitants, sera annulé », peut-on lire dans la fiche de la CFDT. La suppression des catégories A, B et C permettrait ainsi d’écarter ce cas de figure par exemple.
Les syndicats et employeurs redoutent aussi que cette concertation démarrée hier ne soit en réalité qu’une négociation de façade et que la partie soit jouée d’avance. La synthèse finale est attendue pour la fin du mois de juin et trois réunions doivent encore intervenir avant cette échéance. Ce matin, le ministre a promis des réunions en format bilatéral avec les syndicats en plus des rendez-vous déjà prévus.
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