France stratégie lance un « message d'alerte » sur le manque d'attractivité de la fonction publique
Par Franck Lemarc
« 64 % des collectivités territoriales indiquent au moins un champ professionnel en tension en 2023. » Mais le problème ne touche pas que la fonction publique territoriale : les trois versants sont touchés par une véritable « crise d’attractivité », et France stratégie le démontre clairement : la fonction publique n’attire plus, ou du moins plus suffisamment. Cette situation, « d’une ampleur nouvelle » risque de s’aggraver si le problème n’est pas pris à bras le corps.
« Effondrement » du nombre de candidats
Ce problème est loin d’être une surprise : l’actualité met régulièrement en lumière les concours d’enseignants qui ne font pas la plein, l’incapacité de certains hôpitaux à trouver des infirmières, le casse-tête du recrutement des secrétaires de mairie. L’intérêt de cette volumineuse étude de France stratégie est d’objectiver cette question, sur la base de données chiffrées.
Pour ce qui concerne spécifiquement la fonction publique territoriale (FPT), l’étude montre que depuis quinze ans, les effectifs continuent de progresser – beaucoup moins qu’auparavant – mais que cette hausse est « exclusivement portée par les contractuels » . Depuis 2019, le nombre de fonctionnaires dans la FPT a diminué en valeur absolue, et les contractuels représentent désormais presque un quart des effectifs de la territoriale.
Dans les trois versants, il apparaît qu’à présent de nombreux besoins sont « durablement non couverts » : France stratégie constate « une moindre appétence » pour les métiers de la fonction publique, « une contraction des candidatures (et) une capacité déclinante à retenir les agents. Exemple frappant de ce dernier point : les démissions des enseignants, quasiment inexistantes jusqu’en 2010, se multiplient, et représentent aujourd’hui près de 15 % des départs totaux (les 85 % restant étant les départs en retraite).
Autre reflet de cette réalité : les concours n’attirent plus suffisamment de candidats. Dans la fonction publique de l’État (FPE) par exemple, 15 % des postes offerts aux concours n’ont pas été pourvus en 2022. Entre 2016 et 2022, le nombre de candidats aux concours de la FPE s’est « effondré », passant de presque 300 000 à 151 000. Le constat est le même dans la FPT, où « le nombre de présents aux concours externes a baissé de 20 % entre 2011 et 2022, alors que le nombre de postes offerts a augmenté de 29 % ».
Résultat : si rien n’est fait, le déséquilibre entre les besoins de recrutement et la main-d’œuvre disponible risque de continuer à se creuser. D’ici 2030, France stratégie estime que, dans la FPT, 36 % des agents seront partis en retraite, alors que seulement 17 % des effectifs annuels entreront dans la fonction publique. Soit un déficit de près de 20 %.
Déjà aujourd’hui, relève France stratégie, une dizaine de métiers de la FPT sont en forte tension. Outre les secrétaires de mairie, souvent évoquées ces derniers temps, l’étude cite les animateurs éducatifs dans l’accompagnement périscolaire, les agents d’interventions techniques, les ouvriers de maintenance, les agents de restauration, les jardiniers, les policiers municipaux…
Une image dégradée
France stratégie tente naturellement d’identifier les causes de cette situation, au-delà des raisons connues (mais bien réelles) que sont les bas salaires et la pénibilité. Le rapport relève que les métiers de la fonction publique sont « mal connus » et « peu désirés » par les étudiants à l'exception de quelques métiers phares (enseignants, policiers…). En dehors de ceux-ci, la fonction publique est perçue comme « une masse indéterminée d’emplois administratifs aux contours flous et à l’image dégradée » . « La fonction publique apparaît comme un univers opaque, lointain, ‘’à part’’, qu’on peine à envisager dans le cadre de son choix de carrière. »
Sans compter que les incessantes campagnes de dénigrement de la fonction publique et des fonctionnaires ne font rien pour donner une image positive de ceux-ci. France stratégie relève que les discours politiques constants, depuis 20 ans, sur la « nécessité » de diminuer le nombre d’agents publics conduit mécaniquement à associer, dans l’esprit des jeunes, « fonctionnaire » à « surnuméraire » , ce qui ne fait évidemment pas rêver.
Les diminutions d’effectifs dans certains secteurs ont une autre conséquence : celle d’aggraver les conditions de travail pour ceux qui restent – ce qui est particulièrement flagrant dans le secteur hospitalier, par exemple. Cette dégradation des conditions de travail, parfois décrite par les agents comme de la « maltraitance » , les pousse à partir, ce qui conduit à une dégradation de la qualité du service… et à une image plus mauvaise encore du service public. C’est un cercle vicieux.
On en arrive donc à une situation où le secteur privé semble plus attirant pour de nombreux jeunes – plus porteur de perspectives et d’évolution. D’autant que la diminution du chômage, ces dernières années, a rendu moins déterminant le facteur « sécurité de l’emploi » pour entrer dans la fonction publique.
« Revaloriser la fonction publique »
Cette perte d’attractivité est toutefois « réversible » , affirme France stratégie. Ce qui passera, d’abord, par un enjeu de communication : « Revaloriser la fonction publique suppose de mieux la faire connaître et de mieux faire connaître les opportunités de carrière, la diversité des métiers qu’elle offre et les avantages qu’elle peut procurer ».
France stratégie rappelle que la fonction demeure « un débouché pour les diplômés des catégories populaires », où les femmes sont moins pénalisées que dans le privé. Dans la fonction publique, « l’ascenseur social » fonctionne mieux, et les cadres y sont, globalement, d’origine beaucoup plus modeste que dans le privé. « Les diplômés et les filles des catégories défavorisées y occupent moins souvent des emplois subalternes. »
Reste que c’est bien la question de la rémunération qui apparaît comme « un levier incontournable » . Même si plusieurs initiatives, ces dernières années, ont permis de commencer à s’attaquer au problème (Ségur de la santé, revalorisation du point d’indice, PPCR…), « elles n’ont pas permis de contrer complètement l’érosion de l’attractivité salariale de la fonction publique, notamment en comparaison avec le secteur privé ». Depuis le milieu des années 2010, le salaire moyen des agents de la fonction publique évolue moins que celui des salariés du privé. De plus, « la complexité du système de rémunération » ne joue pas en faveur de l’attractivité de la fonction publique.
La fonction publique semble également perdre peu à peu certains avantages qu’elle avait par rapport au privé : par exemple le temps de travail, longtemps inférieur dans la fonction publique, se rapproche désormais de celui du privé.
« Message d’action »
En conclusion, France stratégie ajoute à son « message d’alerte » un « message d’action » , actions qu’il lui paraît indispensable d’engager pour ne pas voir « cette crise structurelle et durable de l’attractivité menacer nos services publics ». Selon les auteurs du rapport, l’action publique doit combiner « un discours de revalorisation de la fonction publique », une communication visant à « déconstruire les perceptions erronées » et à « améliorer la transparence sur ses conditions d’exercice et la visibilité de ses carrières ».
Enfin, il leur paraît possible de mettre en avant « les avantages à travailler dans la fonction publique ». Il est nécessaire pour cela de « combiner la garantie de l’emploi avec des perspectives d’évolution et de progression, valoriser les possibilités de maîtrise du temps de travail et de son organisation pour répondre à la demande de conciliation des temps professionnels et personnels, renforcer la reconnaissance, y compris salariale, pour (re)donner les moyens aux agents de faire leur travail et de satisfaire leur volonté d’être utiles ».
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