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Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 3 octobre 2024
Finances locales

Suppression de 100 000 emplois dans la territoriale : la proposition de la Cour des comptes choque les associations d'élus

Les magistrats estiment que cette mesure permettrait de réaliser une économie de 4,1 milliards d'euros par an à partir de 2030. Ils proposent également de modérer sévèrement les recettes des collectivités. Les associations d'élus sont vent debout.

Par A.W.

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Suppression de 100 000 postes, modération des recettes, fléchage accru des transferts de l’État vers des investissements verts… Le remède proposé, hier, par la Cour des comptes pour réduire le déficit public risque d’être digéré difficilement par les collectivités. Si elles ne s’étranglent pas d’emblée.

Alors que le nouveau Premier ministre a fait de la réduction des dépenses publiques l’une de ses priorités pour 2025 en en faisant « partager l’effort »  aux collectivités, la haute juridiction de la rue Cambon vient de déposer sur son bureau un ensemble de pistes d'économies qui leur sont destinées et sur lesquelles il pourrait s'appuyer.

La trajectoire « dérape de plus en plus » 

C’est ce que souhaitait, en tout cas, l’ancien gouvernement qui a chargé les magistrats financiers de réaliser ce travail qui doit permettre aux collectivités de contribuer à « l’indispensable redressement des finances publiques ». Une contribution « justifiée », selon la Cour qui reprend à son compte les critiques de l’ancien et du nouveau ministres de l'Économie, Bruno Le Maire et Antoine Armand, sur la trajectoire budgétaire des collectivités. 

Celle-ci « dérape de plus en plus », affirme-t-elle. Résultat, elle estime que « le déficit global des collectivités va fortement s’accroître »  cette année, et que l’objectif d’un excédent de plus de 17 milliards d’euros fixés aux collectivités par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) devient « de plus en plus hypothétique ». L’objectif intermédiaire d’un « déficit modéré »  en 2024 ne sera d’ailleurs « pas atteint ».

En cause, des dépenses « particulièrement dynamiques », d’un côté, et de l’autre, des recettes de TVA qui progressent plus lentement que prévu, ainsi que « plus prononcée qu’anticipé »  des DMTO du fait du retournement du marché immobilier. Fin août, ceux-ci avaient diminué de 20,2 % par rapport à la même période de 2023, année qui avait déjà vu une chute importante.

Une contribution « fortement compromise » 

Les magistrats financiers pointent également des dépenses de fonctionnement des collectivités, en hausse de 5,4 % au cours des huit premiers mois de l’année, quand celles d’investissement ont progressé de plus de 13 %. La haute juridiction l’explique par « la persistance des effets directs et indirects de l’inflation », la hausse des rémunérations et du nombre de bénéficiaires des aides sociales, ainsi que par le cycle électoral qui pousse les communes et les intercommunalités, en particulier, à « réaliser leurs projets avant les élections de 2026 ».

À noter que si le bloc communal conserverait, cette année, une « situation financière solide », il faut s’attendre à « un nouveau repli »  de la situation des régions. Mais, on le sait déjà, si la situation globale des collectivités se dégrade c’est surtout « en raison de celle principalement des départements »  qui subit les conséquences du plongeon des recettes tirées des taxes sur les transactions immobilières. Et les départements devraient donc connaître « une nouvelle dégradation »  cette année.

Reste que, « si cette tendance se poursuit », la contribution des collectivités au redressement des finances publiques s’avère « fortement compromise », constatent donc les magistrats financiers.

Suppression de personnels : le bloc communal ciblé

Pour y remédier, il faudra donc faire des coupes claires, assure la Cour qui fait une série de propositions pudiquement appelées « d’optimisation ». L’une d'elles est particulièrement explosive : ramener, d’ici 2030, les effectifs de la fonction publique territoriale à « leur niveau du début des années 2010 ».

Car, selon la Cour, « les dépenses de personnel, qui représentent un quart des dépenses des collectivités, connaissent une croissance soutenue, majoritairement portée par le bloc communal ». Et ce, « malgré l'absence de nouveaux transferts de compétences ». 

Les magistrats pointent ainsi le rôle des intercommunalités et déplorent que leur développement n’ait « pas été compensé par une baisse équivalente des effectifs des communes »  puisque les effectifs du bloc communal ont « crû de 0,6 % par an en moyenne ».

Concrètement, la proposition de la Cour reviendrait à amputer de 100 000 emplois en six ans le nombre d’emplois dans les collectivités, qui en compte un peu moins de 2 millions. Une réduction progressive de 5,5 % des emplois qui permettrait de réaliser une « économie importante »  de « 4,1 milliards d’euros par an à partir de 2030 ». Pour cela, elle préconise « le non remplacement d’une part minoritaire des départs en retraite ».

Tout en suggérant de « mieux associer les collectivités aux décisions relatives à la fonction publique territoriale », les magistrats financiers préconisent aussi « une plus large application de la durée légale du travail »  – qui pourrait permettre de dégager 1,3 milliard d’euros d’économies par an – et défendent une réduction de l’absentéisme, qui était chère également à Bruno Le Maire.

La Cour « se trompe d'approche » 

« C’est tellement gros que c’est grotesque. Cela n’a strictement aucun sens ! », a cinglé hier le président du Comité des finances locales, André Laignel, lors de son audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale, en mettant l’accent sur le fait que la population a augmenté (de deux millions de personnes) depuis le début des années 2010. 

« Enfin… 100 000 emplois ! On va supprimer quoi ? Ceux qui veillent à l’entretien de nos rues, de nos espaces verts (...), nos assistantes dans les écoles maternelles, nos animateurs sportifs… ? », s'est-il un peu plus tard agacé sur RTL, ne voyant pas comment les services publics de proximité pourraient fonctionner sans un tel nombre d’agents.

Dans un communiqué publié hier, l'AMF dénonce une erreur « d'approche »  de la part de la Cour des comptes, rappelant, d'une part, qu'il n'y a pas eu d'augmentation « significative »  des dépenses de personnel dans les communes et intercommunalités ces dernières années, et qu'il est « faux de soutenir que les communes et intercommunalités n’assument aucune compétence nouvelle : il y a eu de nombreux transferts de charges de l’Etat vers les collectivités qui n’ont fait l’objet d’aucune compensation ». L'association rappelle qu'à ces transferts « s’ajoutent les procédures bureaucratiques incessantes demandées aux collectivités, et les contraintes normatives toujours plus nombreuses, qui consomment les ressources financières locales et mobilisent inutilement les personnels ».

Dans sa réponse envoyée à la Cour des comptes, l'AMF avait également rappelé que « pour s'adapter aux nouveaux enjeux de politiques publiques, certains services doivent augmenter leur technicité et recruter des personnels plus qualifiés et mieux rémunérés », comme c’est le cas pour le « financement de la transition énergétique ».

En fin de matinée, aujourd'hui, David Lisnard, président de l'AMF, a publié une série de messages sur X dénonçant les préconisations de la Cour des comptes. « Qu’ils soient à Bercy ou ailleurs, écrit le maire de Cannes, les technocrates sont les mêmes. Ils persistent dans leurs erreurs, leur fausse rigueur intellectuelle, leur conformisme, qui conduisent en même temps à détruire les finances du pays et les services au public. 
Ils pleurent ce qu’ils ont causé.
» 

Modération des recettes

La Cour propose, par ailleurs, de généraliser les pratiques d’achats les plus optimales, notamment « la massification des achats et la mutualisation des circuits d’achats entre collectivités », qui pourraient permettre d’importantes économies estimées à 5 milliards d’euros par an.

Les concours financiers de l’État à l’investissement devraient être attribués de manière plus sélective et davantage ciblées sur les investissements « verts »  ou « essentiels », argue également la Cour. 

Moins volubile sur l'encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités que dans son rapport du mois de juin, elle propose, néanmoins, pour parvenir à leur ralentissement, de mettre en place une « modération accrue de leurs recettes ». Pour cela, elle souhaite, par exemple, mettre fin à l’indexation automatique sur l’inflation des valeurs locatives cadastrales des taxes foncières, tout en « écrêtant la hausse des recettes de TVA et de taxe spéciale sur les conventions d’assurance pour en réaffecter une partie à l’État »  et « en affectant une partie de la hausse des recettes de TVA à des fonds de résilience nationaux par catégorie de collectivités, dotés d’une gouvernance partenariale avec l’État ».

« La brutalité de ces propositions conduirait à un affaiblissement inédit de la capacité d'agir du bloc communal dans l'exercice et le financement de leurs compétences », critique l’AMF dans sa réponse, alors que la présidente de France urbaine Johanna Rolland refuse de « souscrire à une proposition consistant à induire (...) un  effet de ciseau dans le budget des collectivités ».

« Nous ne pesons en aucun cas sur les comptes nationaux. La France est en très mauvais état, mais cela ne peut pas faire le lien avec les collectivités qui elles sont correctement gérées », a souligné, pour sa part, André Laignel, en rappelant que les collectivités ont « passé (leur) temps à faire des efforts. Nos collectivités sont bien gérées et c’est faire injure à l’ensemble des élus de France que de dire le contraire. C’est l’État qui essaie de se défausser de sa gestion totalement calamiteuse ».

Consulter le rapport.

Consulter la réponse de l'AMF et des autres associations d'élus.

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