Fibre : des collectivités dénoncent les mauvaises pratiques des opérateurs
Par Lucile Bonnin
Le mois dernier, l’Avicca alertait déjà sur la diminution des rangs de sous-traitance dans l’installation de la fibre qui accélère l'ubérisation de la filière et détériore sensiblement la qualité des raccordements. (lire Maire info du 11 mars).
Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca, expliquait à cette occasion à Maire info que dans certains territoires, la situation s’aggravait de façon inquiétante notamment dans les endroits où le déploiement est déjà compliqué : « Ça se dégrade fortement, expliquait-il. Certains citoyens étaient déconnectés trois fois par an, désormais ils le sont dix fois par mois. On observe des raccordements absurdes qui dépassent l’entendement et impossible pour les opérateurs de remonter dans leurs chaines de sous-traitance pour identifier le responsable. »
L’Arcep dans son rapport « Territoires connectés » reconnaît aussi être « régulièrement alertée sur les difficultés rencontrées au moment du raccordement » en tant qu’autorité de régulation (lire Maire info du 1er avril).
Et ce n’est pas un problème qui date d’hier. Beaucoup de promesses de la part des opérateurs n’ont pas été tenues selon l’Avicca. C’est ainsi que 28 collectivités ont donc décidé de prendre la parole par voie de communiqué de presse, la semaine dernière, pour dénoncer des pratiques d’opérateurs préjudiciables pour les territoires.
Le « mode STOC » mis en accusation
Les collectivités dénoncent dans ce communiqué le « mode de réalisation du raccordement final imposé par les principaux fournisseurs d’accès à Internet (Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR) : le mode STOC ». Ce dernier, comme le rappelle Ariel Turpin, est « un des modes de raccordements dérogatoire que l’Arcep a autorisé à la demande express des opérateurs. C’est un pur choix des opérateurs. »
Avec ce contrat, les opérations techniques « sont intégralement sous-traitées sans contrôle, mal rémunérées et pour certaines réalisées en dépit des règles de l’art et de la sécurité des personnes », indiquent les collectivités signataires et l’Avicca. Face à ce premier constat, un nouveau contrat national (contrat STOC V2) a été signé entre les opérateurs au début de l’année 2021 pour des pratiques plus encadrées. Ce dernier permet de sanctionner des pratiques non conformes par exemple et impose la mise en place de CRI (comptes rendus d’interventions).
« Pourtant, un an après l’entrée en vigueur de ce contrat et malgré les inquiétudes répétées de l’État, de l’ARCEP et des collectivités », rien ne change. Ariel Turpin le constatait déjà le mois dernier avec lassitude : « Soyons clairs, ce contrat n’est toujours pas signé par tout le monde et partout, ce qui montre le niveau de motivation des opérateurs. Les sanctions financières ne sont pas non plus à la hauteur de l’enjeu de dégradation. »
La situation est inacceptable pour les collectivités et elle ne semble pas évoluer dans un sens positif. L’Avicca recense qu’en moyenne, sur les six derniers mois, « 85 % des comptes rendus d’intervention transmis à l’issue de chaque raccordement ne sont pas exploitables », les réseaux sont « quotidiennement dégradés » et les remises en l’état ne sont pas faites par les opérateurs.
« Ces collectivités exigent de réelles et rapides améliorations »
Jean-Louis Chauvin, directeur du Syndicat mixte Doubs très haut-débit, interrogé par Maire info, se dit particulièrement satisfait de cette action qui prend un caractère collectif et qui en appelle à l’Arcep pour que ce système soit réformé. Signataire du communiqué, le syndicat observe sur le terrain « des interventions qui sont immaitrisables » et qui provoquent « des problèmes de toute nature », « disséminés » dans tout le département.
« Dans le Doubs, nous avons subi une vague de raccordements dès 2019 selon le mode d’intervention mode STOC, raconte-t-il. Un audit a été mené puis transmis à l’Arcep qui montre à quel point les dommages et atteintes sont visibles et invisibles. Dans notre secteur qui est plutôt rural, plus aucun boîtier n’était étanche par exemple. »
Las de formuler une énième dénonciation, l’Avicca et les collectivités concernées ont décidé d’adopter désormais un ton plus menaçant. Les collectivités n’ont en effet d’autres choix que de mettre le holà et de lancer « un dernier avertissement aux opérateurs et à leurs prestataires ». Les 28 collectivités signataires de ce communiqué (qui compte quelques réseaux d’initiative publique) demandent aux opérateurs « de respecter les contrats existants et de mettre en œuvre deux actions complémentaires indispensables à la bonne réalisation des raccordements abonnés ».
La première : « Fournir les plannings d’intervention des sous-traitants afin d’être en capacité réelle de s’assurer du respect des règles de sécurité appliquées par les intervenants en charge du raccordement et de maitriser les délais de raccordement. » La deuxième : « Conditionner le paiement à l’opérateur de la prestation de raccordement à la transmission d’un compte-rendu d’intervention complet et exploitable, garantissant le contrôle de la conformité du raccordement. »
Cette traçabilité dans l’exécution des raccordements et cette obligation de répondre à une régulation stricte ne constituent pas des revendications nouvelles de la part de l’Avicca. Elles s’inscrivent plutôt dans la continuité d’une attente d’un changement réglementaire plus large.
C’est ainsi qu’il est clairement précisé dans le communiqué que, « compte tenu de l’urgence de la situation et faute d’une contractualisation rapide de ces évolutions au plus tard fin mai 2022 », les collectivités avec le soutien de l’Avicca se réservent « le droit de prendre toute mesure à même d’améliorer fortement et durablement [leur] capacité à préserver l’intégrité du bien commun que constituent les nouveaux réseaux fibre optique de nos territoires. » L’Avicca précise même sur son site : « Les opérateurs sont prévenus ! »
Dans un communiqué du Syndicat mixte Doubs très haut-débit il est précisé à ce sujet que « les collectivités se réservent la possibilité d’appliquer des mesures dépassant le niveau symbolique, et notamment la coupure temporaire des opérateurs les moins regardants en terme de qualité des raccordements et de respect des règles techniques fixées par leur opérateur d’infrastructures. » Cela pourrait aller jusqu’à la résiliation de contrats passés avec certains opérateurs, croit savoir le quotidien La Tribune d’aujourd’hui.
Il est aussi question de formuler « une demande de transparence sur « quand » et « qui » intervient sur les réseaux » des territoires. « Ce système place les intérêts des opérateurs en premier au détriment des conséquences sur la qualité des réseaux », explique Jean-Louis Chauvin. Et c’est ce que les collectivités veulent faire cesser.
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