Pesticides : les Sages consacrent la protection de l'environnement face à la liberté d'entreprendre
Alors que le collectif de maires anti-pesticides a annoncé, le 21 janvier, le dépôt d’un recours devant le Conseil d’État à l’encontre des récents textes fixant les distances minimales entre habitations et zones d’épandage de pesticides (lire Maire info du 6 janvier), le Conseil constitutionnel vient de se prononcer de façon inédite sur le sujet.
Par sa décision n°2019-823 QPC du 31 janvier qualifiée d’« historique » par les défenseurs de l’environnement, les Sages ont en effet validé l’interdiction, à compter de 2022, de la production, du stockage et de la circulation de « produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l'environnement » au sens du règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.
Autrement dit, les pesticides fabriqués en France – mais interdits par l’Union européenne – ne pourront plus être exportés quelle que soit leur destination.
Portée par la loi Agriculture et alimentation – dite « Égalim » – du 20 octobre 2018 (art. 83), cette mesure est, depuis son adoption, dans le viseur de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP). Il faut dire que l’enjeu financier est important : la France est le premier exportateur mondial de semences, souvent enrobées de ces pesticides.
Liberté d’entreprendre : oui, mais pas à tout prix
Lors des discussions autour de la loi dite « Pacte » du 22 mai 2019, un amendement sénatorial avait été ajouté au texte initial afin de repousser cette échéance à 2025 – un cavalier législatif déjà censuré par les Sages. Cette fois, c’est par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), posée dans le cadre d’un contentieux en cours, que les entreprises des produits phytopharmaceutiques français se sont attaqués à cette disposition, au nom de la liberté d’entreprendre – garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Avec pour principal argument que cette interdiction « serait sans lien avec l'objectif de protection de l'environnement et de la santé dans la mesure où les pays importateurs qui autorisent ces produits ne renonceront pas pour autant à les utiliser puisqu'ils pourront s'approvisionner auprès de concurrents des entreprises installées en France. »
À l’audience, le conseil de l’UIPP a ainsi pu évoquer « un coup d’épée dans l’eau » du législateur, et, parallèlement, « un coup de poignard dans le dos » pour les industries phytopharmaceutiques, laissant planer la menace de délocalisations de par cette mesure « très dangereuse » pour le tissu économique et social « dans nos territoires déjà en souffrance ». Des observations qui n’ont pas fait mouche : en fin d’audience, Alain Juppé, membre du Conseil, a alors posé la question des efforts déployés (ou non) par ces industries pour la recherche et l’investissement dans des produits de substitution. Réponse : si elle était maintenue, l’interdiction d’exporter des produits notoirement nocifs aurait des effets économiques tels qu’il n’y aurait alors plus de budget pour faire du bio.
L’environnement, « patrimoine commun des êtres humains »
Balayant l’argumentaire de l’UIPP, les Sages se sont ainsi fondés, « en des termes inédits », sur la Charte de l'environnement de 2004, de valeur constitutionnelle depuis la loi du 1er mars 2005, suivant les arguments du conseil de l’association France Nature Environnement, intervenue à l’instance. Selon ce texte, la préservation de l’environnement « doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation », de même que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Dans leur décision du 31 janvier, les Sages estiment qu’il découle de ces dispositions « que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ».
Combiné à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, issu du Préambule de la Constitution de 1946, les Sages considèrent ainsi « que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre la liberté d'entreprendre et les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement et de la santé ». En clair, l’atteinte à la liberté d’entreprendre portée par la mesure d’interdiction et invoquée par l’UIPP est bien en lien avec ces objectifs.
Autre piqûre de rappel des Sages à l’égard des industries phytopharmaceutiques, justifiant leur décision : « En différant au 1er janvier 2022 (l’interdiction), le législateur a laissé aux entreprises qui y seront soumises un délai d'un peu plus de trois ans pour adapter en conséquence leur activité. ».
Caroline Saint-André
Accéder à la décision du Conseil constitutionnel.
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