Décret zones à faibles émissions : quelle usine à gaz !
Le décret sur la mise en œuvre des ZFE-m (zones à faibles émissions-mobilité) est paru au Journal officiel ce matin. Le décret est d’une grande complexité, et bien tardif, puisque dans les territoires concernés, ces ZFE devront être constituées avant le 31 décembre prochain.
Il y a eu les Zapa (zones d’actions prioritaires pour l’air) ; puis les ZCR (zones à circulation restreinte). Voici les ZFE, nées de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019. Les sigles changent, mais l’objectif est toujours le même : tenter de réduire la circulation automobile dans les agglomérations les plus polluantes. Le principe de la ZFE-m est de déterminer une ou plusieurs zones, dans une agglomération, où la circulation est interdite à certains types de véhicules (en fonction de la catégorie Crit’Air), totalement ou partiellement, éventuellement certains jours ou à certaines heures.
La loi distingue deux cas : les ZFE-m peuvent être ou facultatives, ou obligatoires. Elles « peuvent » en effet être mises en œuvre dans toute commune ou EPCI où un plan de protection de l’atmosphère (PPA) est « adopté, en cours d’élaboration ou de révision ». En revanche, les ZFE-m deviennent obligatoires dans les territoires où les normes sur la qualité de l’air ne sont pas respectées « de manière régulière », c’est-à-dire trois années sur les cinq dernières. Là où ce non-respect des normes de qualité de l’air est déjà constaté, les ZFE-m devront être mises en place avant le 31 décembre prochain. Dans les autres territoires, à partir du 1er janvier 2021, l’instauration d’une ZFE-m sera obligatoire sous deux ans à partir du moment où le non-respect des normes de qualité de l’air sera constaté par les autorités.
Les normes considérées concernent le dioxyde d’azote, les particules PM10 et les particules PM2,5. Selon le ministère de la Transition écologique, 79 EPCI et 1500 communes sont concernés par l’obligation de mettre en place une ZFE-m d’ici la fin de l’année – on peut noter qu’en l’occurrence, lesdites communes auraient certainement apprécié que le décret fût publié plus tôt, dans la mesure où il était prêt depuis… avril.
Les ZAS
L’une des difficultés du sujet vient du fait que les dépassements sont considérés à l’échelle de ce qu’on appelle les ZAS (zones administratives de surveillance), qui ne recouvrent pas les mêmes périmètres que ceux des communes ou des EPCI. Le découpage des ZAS a été fixé par un arrêté du 26 décembre 2016. Si le territoire d’une commune ou d’un EPCI est inclus « tout ou partie », précise le décret paru ce matin, dans une ZAS où un dépassement des normes est constaté, alors cette commune ou cet EPCI est considéré comme ne respectant pas les normes, si son maire ou son président dispose du pouvoir de police de la circulation.
Toutefois, si le maire ou le président d’EPCI parvient à démontrer, « par de la modélisation ou des mesures », que les normes sont respectées pour « au moins 95 % de la population de chaque commune concernée », il ne sera pas contraint de mettre en place une ZFE.
Complexité et coûts
Ces dispositions paraissent d’une incroyable complexité. Et elles concerneront essentiellement les maires plutôt que les présidents d’EPCI, dans la mesure où le pouvoir de police spéciale de la circulation est très rarement transféré à l’EPCI. Autrement dit, dans une ZAS, il pourra advenir que chaque commune soit contrainte de mettre en œuvre sa propre ZFE ! Et certaines ZAS comptent jusqu’à 300 communes (c’est le cas par exemple de la ZAS « BLDV » autour de Valenciennes).
Lors de l’examen de ce texte au Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), les représentants des élus s’étaient très majoritairement abstenus, non qu’ils ne partagent pas l’objectif louable de réduire la pollution, mais en réaction à la complexité du dispositif et à son potentiel coût financier. Réflexion frappée au coin du bon sens : les élus avaient alors fait remarquer que le gouvernement devrait privilégier « les obligations de résultats plutôt que des obligations de moyens » – autrement dit, exiger le respect de normes de qualité de l’air et laisser les élus trouver les moyens de les atteindre plutôt que de créer par en haut des dispositifs qui s’apparentent, sans jeu de mot, à des usines à gaz. Ce que les élus du Cnen ont exprimé plus diplomatiquement en faisant remarquer que « cette méthode permettrait également de veiller à l’accessibilité et à l’intelligibilité des textes en les simplifiant sur le plan légistique ». Notons qu’une telle logique de résultats plutôt que de moyens étaient celle des PCAET (plans climat air énergie territoriaux), auxquels il n’est pas fait la moindre mention dans le décret.
Autre critique des élus : ce nouveau dispositif ne prend en compte que la pollution liée au transport routier, alors que dans certains territoires où un dépassement des normes est constaté, ce peut être la pollution industrielle ou celle provoquée par le chauffage des particuliers qui est en cause. Il conviendrait donc, selon eux, « d’analyser la lutte contre la pollution d’une manière plus globale et à l’échelle d’un territoire ».
Enfin, les élus craignent que cette réforme ait un coût « disproportionné » pour les petites communes. Ils rappellent que la mise en place d’une ZFE nécessite une étude préalable dont le coût avoisine les 100 000 euros, la mise en place d’une signalisation et d’une campagne d’information. Quant aux dérogations qui seraient accordées si les maires arrivent à prouver que les valeurs limites sont respectées pour 95 % de la population, elles nécessiteront là encore une coûteuse étude.
Sur ce terrain, le gouvernement a ouvert une porte : lors du débat au Cnen, il a envisagé la possibilité – via le futur projet de loi 3D – de permettre aux maires, de façon volontaire et facultative, de transférer à l’EPCI leur pouvoir de police de la circulation, mais uniquement sur le volet création d’une ZFE-m. Cela permettrait aux maires de conserver la gestion de la circulation et du stationnement sur leur commune, mais de voir gérer la création de la ZFE par l’intercommunalité, donc de manière mutualisée.
Informations manquantes
On peut s’étonner, enfin, de ne pas trouver dans ce décret un point que la loi lui imposait pourtant d’aborder : le décret pris pour application de cet article 86 de la LOM devait en effet « préciser les catégories de véhicules, notamment de transport collectif, dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite ». Dans le décret paru ce matin, pas de trace de ces précisions. Voilà qui rendra la tâche encore un peu plus difficile aux quelque 1 500 maires qui vont devoir mettre en place une ZFE d’ici trois mois et demi.
Franck Lemarc
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