« Oui pub » : une évaluation en demi-teinte
Par Franck Lemarc
Sur le papier, l’idée est simple : le dispositif Oui pub fonctionne à l’inverse de « Stop pub » : au lieu d’apposer un autocollant sur sa boîte aux lettres demandant de ne pas recevoir d’imprimés publicitaires sans adressage (Ipsa), les habitants sont appelés à apposer un autocollant « Oui pub », indiquant qu’ils acceptent d’en recevoir. Les sociétés ont donc l’interdiction de distribuer des imprimés dans les boites aux lettres dépourvues de cet autocollant.
L’expérimentation
Cette expérimentation, prévue par la loi Climat et résilience de 2021, se déroule depuis le 1er mai 2022 dans 14 « territoires pilotes », désignés au volontariat : trois communes, deux communautés de communes, deux communautés d’agglomération, une métropole, une communauté urbaine et cinq syndicats mixtes de traitement ou de valorisation des déchets. Elle s’est déroulée en plusieurs phases : d’abord une période d’information des habitants, avant l’entrée en vigueur de l’interdiction elle-même. L’expérimentation s’est faite de façon différente d’un territoire à l’autre, certaines collectivités ayant par exemple choisi de n’appliquer l’interdiction qu’à certains secteurs, comme la grande distribution, mais à autoriser la diffusion d’Ipsa pour les commerçants locaux, artisans, associations, etc.
L’expérimentation prendra fin le 1er mai prochain. Les résultats de l’évaluation ont été mis en ligne sur un site dédié du ministère de la Transition écologique.
Premiers résultats
Les résultats de l’évaluation sont extrêmement variables d’un territoire à l’autre, ce qui rend difficile leur analyse. Dans certaines collectivités par exemple, les habitants ne sont pas rentrés dans le dispositif, avec un taux d’apposition de l’autocollant Oui pub de 0,33 %. Dans d’autres, près d’un cinquième des habitants l’ont posé. La connaissance du dispositif est moyenne : seule la moitié des habitants des territoires concernés était au courant de l’expérimentation.
L’Ademe, chargée de l’expérimentation, a déterminé un certain nombre de « boites aux lettres témoins », permettant de vérifier le respect des obligations, ce qui lui permet de conclure que « dans l’ensemble, le dispositif a été respecté par les distributeurs ».
Un des principaux enseignements de l’expérimentation est le constat que « les tonnes de déchets papier collectés sur ces territoires ont diminué pendant l’expérimentation », de 20 à 70 % selon les cas. Mais il est « difficile », juge l’Ademe, de mesurer ce qui est dû à l’expérimentation et ce qui est dû à une tendance générale de diminution de l’usage du papier pour la publicité, au profit de la communication numérique. L’Ademe rappelle qu’entre 2013 et 2023, le volume des Ipsa a diminué de 55 %, passant de 900 000 tonnes à 400 000 tonnes environ. « Sur les territoires pilotes, l’expérimentation Oui pub a sans doute accéléré la transition, déjà en œuvre, des annonceurs vers une communication digitalisée. Cette transformation, qui s’est accélérée avec la crise sanitaire, est aussi la résultante de l’augmentation du coût global de la production et de la diffusion d’imprimés publicitaires », note l’Ademe.
Impacts
L’expérimentation n’a pas mis en lumière d’impact particulier de ce dispositif sur l’activité des annonceurs dans le secteur de la distribution alimentaire. En revanche, l’impact paraît plus important dans le secteur des biens non alimentaires – sans que, là encore, il soit possible de conclure formellement que c’est à cause de ce dispositif ou à cause d’un phénomène bien plus général de concurrence des plateformes en ligne.
L’impact est naturellement plus important chez les autres acteurs économiques de la distribution d’Ipsa que sont les producteurs de papier et les distributeurs, deux secteurs particulièrement en crise – comme en témoigne la mise en liquidation judiciaire, à l’automne dernier, du numéro 2 secteur de la distribution, Milee (ex-Adresco), qui a laissé sur le carreau quelque 10 000 salariés. Cette situation n’est pas due à l’expérimentation de Oui pub mais davantage à « des décisions de réduction ou d’abandon des IPSA au niveau national par les annonceurs ». Reste que dans les territoires expérimentateurs, Oui pub a forcément accéléré la baisse d’activité y compris de petits distributeurs locaux.
L’expérimentation a également mis en lumière le fait qu’un nombre important de consommateurs, notamment parmi les ménages les plus modestes, restent attachés aux Ipsa qui leur permettent de connaître les promotions ; et que, d’autre part, « le support des imprimés publicitaires reste important pour générer du trafic en magasin pour les petites entreprises locales situées en zone péri-urbaines ou rurales ».
L’Ademe estime toutefois que l’expérimentation a permis de « fortement limiter le gaspillage et les déchets papier générés par les Ipsa » dans les territoires concernés. Mais que ce résultat s’accompagne de difficultés importantes subies par certains acteurs économiques.
Les industriels vent debout
Du côté de ces acteurs économiques (producteurs de papier et distributeurs, réunis au sein du collectif « Cercle d’alliés » ), on est évidemment totalement opposé à la généralisation du dispositif. L’argument principal des industriels et distributeurs est que le rapport de l’Ademe ne permet pas de conclure à un véritable bénéfice en termes de protection de l’environnement.
Ces acteurs critiquent, d’une part, la manière dont l’expérimentation s’est déroulée, et en particulier le fait que les territoires pilotes ont été choisis au volontariat, ce qui nuit forcément à la représentativité de l’échantillon.
Mais c’est surtout la question de l’impact environnemental qui fait débat. Alors qu’une disparition ou une très forte diminution, à terme, des Ipsa au niveau national aurait un impact économique et social très important (estimé à 60 000 emplois), il faut évidemment peser si le jeu en vaut la chandelle d’un point de vue écologique. Pour les industriels du papier et les professionnels de la distribution, la réponse est non : « La publicité numérique n’est pas plus vertueuse que la publicité papier », écrivent-ils dans un communiqué, avec un certain nombre d’arguments entendables. En particulier, le fait que le « tout numérique » a un impact environnemental majeur, bien que plus difficilement mesurable, (data centers, vidéos de publicité en streaming…). A contrario, défendent les industriels, l’industrie du papier est soumise aux filières REP et « finance le recyclage à hauteur de 80 millions d’euros par an ». Et la production de papier, poursuivent-ils, à des vertus écologiques, puisque la production française « provient de coupes d’entretien des forêts et des résidus de bois de scierie ».
Enfin, les industriels estiment que la disparition des imprimés publicitaires nuirait au commerce local au profit des « Gafam » et des plateformes en ligne chinoises comme Shein, Temu et autres AliExpress.
Ces affirmations sont en partie corroborées par l’évaluation environnementale comparative entre les compagnes publicitaires numériques et papier publiée par l’Ademe, bien que de façon plus nuancée, puisque l’Agence ne tranche pas : l’évaluation « ne permet pas de conclure qu’un moindre recours au papier et un usage accru du numérique serait moins polluant ».
Ces rapports ont été transmis au Parlement, à qui il reviendra à terme de trancher entre une généralisation de ce dispositif ou un abandon pur et simple.
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