Le gouvernement veut empêcher l'ouverture d'écoles hors contrat soutenues par un État étranger « hostile »
Par A.W.
Les sénateurs ont adopté, hier, un amendement de dernière minute déposé par le gouvernement - et sous-amendé - permettant, « dans des cas exceptionnels », à tout préfet de s’opposer à l’ouverture d’une école privée hors contrat « pour des motifs tirés des relations internationales de la France » ou « de la défense de ses intérêts fondamentaux ».
Après Strasbourg, Millî Görüs encore dans le viseur
Un amendement au projet de loi portant sur le respect des valeurs de la République, qui vient répondre directement à l’actualité. Dans un communiqué publié hier soir, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, souligne ainsi que « cet outil législatif nouveau permettra de s’opposer à l’ouverture d’écoles comme celle d’Albertville par le Millî Görüs », la confédération islamique (CIMG) d’origine turque ayant refusé de signer la charte des principes pour l’islam de France, rédigée par le Conseil français du culte musulman (CFCM), et qui vient de voir son projet d’école primaire privée à Albertville finalement validé, le 9 avril, par le tribunal administratif de Grenoble. Ce dernier a donné tort au maire d’Albertville, qui avait refusé de délivrer le permis de construire.
L’association controversée avait déjà inspiré un autre amendement (« renforçant la transparence sur les avantages accordés par les collectivités locales en vue de la construction de lieux de culte » ), la semaine passée, à la suite de la polémique née à Strasbourg du fait du vote, par le conseil municipal, d'une subvention à la construction de la future plus grande mosquée d’Europe que l’organisation pilote (lire Maire info du 9 avril).
En tout, ce sont une dizaine d’établissements scolaires qui sont déjà affiliés à Millî Görüs (Blois, Strasbourg, Mulhouse, Vénissieux, Villefranche-sur-Saône, Annecy, Savigny-le-Temple, Corbeil-Essonnes, Bourgoin-Jallieu et Metz) et dix nouveaux devraient ouvrir dans l’année (Oyonnax, Annonay, Péage-de-Roussillon, Bourgoin-Jallieu, Villeurbanne, Albertville, Annemasse, Belfort et Clichy), selon le ministre de l’Intérieur qui a rappelé que cela « concerne des milliers d’enfants » et qu’il a été « sollicité par de nombreux élus, toutes tendances confondues ».
« Combattre les ingérences étrangères »
« Aujourd’hui, certains États étrangers cherchent à ouvrir et à gérer sur notre sol des établissements d’enseignement privés afin de promouvoir leurs intérêts et leur idéologie, souvent hostiles à la France », a fait valoir le gouvernement dans son amendement en soulignant que, « face à cette menace pour notre cohésion nationale voire pour notre souveraineté, il faut que l’État puisse disposer de la faculté de s’opposer à l’ouverture de tels établissements ». « La République doit s’opposer à ceux qui la combattent », a insisté Gérald Darmanin en séance en précisant que cet amendement doit « permettre au juge de donner raison aux élus locaux qui entendent combattre les ingérences étrangères ».
Le sénateur de la Manche Philippe Bas (LR), s’est dit « tout à fait favorable » à cette mesure, assurant que « le préfet devra justifier la réalité de la menace qu’il veut prévenir » et se félicitant que « lorsqu’une école coranique clandestine sera financée et contrôlée par un État étranger, on pourra l’interdire ».
La conditionnalité de l’ouverture des écoles aux « motifs tirés des relations internationales » a, toutefois, fait sourciller plus d’un sénateur pour qui ce n’est « pas une notion précise ». « La rédaction de cet amendement n’est pas sérieuse », a estimé la sénatrice de l’Oise, Laurence Rossignol (PS), qui s’est demandé « comment le juge administratif se prononcera-t-il sur les relations internationales de la France ? ». Cette dernière a jugé, comme d’autres sénateurs, qu’il aurait « mieux valu retenir l’autorisation préalable ». Tandis que la sénatrice de la Vendée, Annick Billon (Union centriste), s’est dite « inquiète » : « Le préfet aura-t-il le temps de se prononcer ? Sur quels motifs ? Les services de l’État dresseront-ils une liste de pays en fonction de l’actualité ? ». Certains sénateurs redoutent également que « des États nous en fassent payer le prix en fermant des écoles françaises » afin de s’opposer à ce que « notre idéologie laïque se répande chez eux ».
De son côté, le président de la Confédération islamique en France, Fatih Sarikir, a assuré que cet amendement n'était pas de nature à inquiéter Millî Görüs, rappelant que ses écoles étaient « inspectées chaque année de manière inopinée » et qu’elles suivaient « scrupuleusement le programme de l’Éducation nationale ». Une interprétation du texte différente de celle de Gérald Darmanin, qui a assuré en séance que « cet article s’appliquera bien à la situation d’Albertville, puisque le motif invoqué par le maire et invalidé par le juge relevait de l’urbanisme » bien qu’il « ne permettra pas de fermer les dix écoles actuellement gérées par Millî Görüs ».
À noter que le Sénat a adopté, dans la foulée, le projet de loi en première lecture en y intégrant des mesures contre le port du voile, ou renforçant la « neutralité » à l'université. Députés et sénateurs vont maintenant tenter de trouver un accord sur un texte commun en commission mixte paritaire. Ce qui est loin d'être gagné.
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