Financement des AESH pendant la pause méridienne : l'État manque à ses obligations
Par Lucile Bonnin
« Comment expliquer à mes concitoyens d’Indre-et-Loire que la loi Vial ne soit pas encore appliquée sur le terrain ? » , a demandé le sénateur Jean-Gérard Paumier, à l’occasion d’une audition de la ministre de l’Éducation nationale devant la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat.
La loi Vial, promulguée en mai dernier, impose à l'État de prendre en charge le financement des AESH pendant la pause méridienne à compter de la rentrée 2024, alors que jusque-là il revenait aux communes de le faire (depuis une décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020). Dès septembre, Maire info alertait sur le fait que dans certains départements, comme le Morbihan, l'Éducation nationale n'appliquait pas cette loi et la charge restait alors aux communes (lire Maire info du 18 septembre).
« De récents retours de parents de ma commune et des services académiques de mon département quant à la mise en œuvre de cette loi m’ont interpellé, continue le sénateur. Interrogée par mes soins, la direction académique d’Indre-et-Loire m’a indiqué n’avoir reçu aucune directive ni aucune ligne budgétaire fléchée à cet effet. Elle m’a précisé que cette prise en charge de la rémunération pourrait ne pas être obligatoire. J’avoue en être étonné tant la loi que nous avons adoptée nous paraît être explicite… »
« Tout a été fait pour que la loi ne s’applique pas »
Le texte de loi qui a définitivement été adopté par les deux chambres entre avril et mai 2024 est effectivement on ne peut plus clair.
Cédric Vial, sénateur de la Savoie et auteur du texte, le confirme et ne cache pas son agacement face à la ministre Anne Genetet : « On a fait une loi très simple : une phrase, deux articles. Vous avez parlé de problèmes d’application territoriaux, mais le problème n’est pas territorial. Si vous cherchez d'où vient le problème, il est au 107 rue de Grenelle, à la Dgesco (direction générale de l'enseignement scolaire). »
Cette application imparfaite de la loi s’expliquerait d’abord par la complexité de la circulaire d’application : « Tout a été fait pour que cette loi ne puisse pas s’appliquer, ajoute Cédric Vial. Il y a une phrase dans la loi mais huit pages dans la circulaire d’application avec des obligations de mettre en œuvre des conventions cadres, etc. » Sa diffusion tardive (le 24 juillet) et en pleine période estivale n’a pas facilité les choses non plus.
Le sénateur de la Savoie a donc demandé à la ministre de « s'engager à abroger cette circulaire et à en reprendre une autre rapidement pour qu'on puisse mettre enfin en œuvre de manière simple ce que beaucoup de personnes attendent ».
Simplification et prudence
Anne Genetet a reconnu dans un premier temps la complexité de la circulaire et a indiqué qu’elle ne manquerait pas de « regarder s’il y a des mesures de simplification à prendre. »
La ministre a très rapidement ajouté que le ministère se montrait très rigoureux dans le recrutement des professionnels, ce qui, selon elle, pourrait justifier en grande partie le retard dans la mise en œuvre de la loi Vial. « Nous ne voulons pas contractualiser avec "les personnes tout venant" qui arrivent et prennent en charge les enfants sur la pause méridienne, ce n’est pas l’objectif, explique Anne Genetet aux sénateurs. L'objectif est de voir, parmi celles qui sont sous contrat avec nos rectorats, quelles sont celles qui souhaitent ou qui peuvent ou qui veulent être également disponibles sur la pause méridienne. »
Cet argument visant à montrer la prudence de l’État vis-à-vis du recrutement des AESH démontre cependant un manque d’anticipation de la part du gouvernement. Dès l’adoption de la loi Vial, l’AMF avait pourtant insisté auprès de l’Éducation nationale pour que celle-ci recense en amont les besoins d’accompagnement des enfants en situation de handicap et tienne compte des recrutements que pourraient avoir à effectuer les maires pour pallier d’éventuels manques. Elle a aussi plaidé pour l’établissement d’une étroite concertation avec les maires, que ce soit dans le cadre des démarches de demande auprès de la MDPH ou des décisions du Dasen, afin qu’ils puissent anticiper les besoins d’accueil spécifiques et les modalités d’organisation nécessaires. Visiblement, le travail n’a pas été suffisamment fait en amont.
Les difficultés d’application de la loi Vial ont été rappelées avec force par les co-présidents de la commission Éducation de l’AMF, Delphine Labails, maire de Périgueux, et Frédéric Leturque, maire d’Arras, auprès d’Anne Genetet lors d’une rencontre le 8 octobre. L’AMF demande que cette situation soit réglée dans les plus brefs délais afin de ne plus faire peser sur les communes une charge administrative et financière qui ne relève plus de leur compétence depuis la rentrée. Elle demande également un remboursement intégral des dépenses engagées depuis la rentrée par les communes au titre de la gestion des contrats et de la rémunération des AESH en lieu et place de l’État.
De fait, la ministre n’a pas apporté de réponse concrète aux inquiétudes des élus. Elle a cependant indiqué qu’il fallait « une analyse locale extrêmement fine pour voir comment le dispositif est mis en place » et qu’elle n’avait « pas l’intention de cautionner une usine à gaz. » Sans en dire beaucoup plus, elle a indiqué que les services du ministère étaient en train de s’assurer « que cette pause méridienne est bien prise en compte pour nos AESH (...) avec des personnes qualifiées. »
2 000 ouvertures de postes d’AESH pour 2025
Comme l’a rappelé au passage la ministre, plus de 300 000 enfants ont besoin d’un accompagnement à l’école. En plein examen du projet de loi de finances, la ministre a rappelé que le recrutement de 2 000 AESH est prévu dans le budget, pour un total de 4,6 milliards d’euros consacrés à l'école inclusive en 2025.
Pour de nombreux syndicats et élus, cette annonce n’est que de la poudre aux yeux. Difficile en effet de croire que ces postes vont être pourvus sans difficulté en l’état, alors qu’il est déjà quasiment impossible de trouver un remplaçant dans certaines communes pour des AESH en arrêt maladie par exemple, comme en témoigne la sénatrice de la Drôme, Marie-Pierre Monier. Le syndicat SUD éducation rappelle de son côté « la revendication de la reconnaissance du métier par la création d’un vrai statut pour les personnels AESH ».
La députée Sylvie Bonnet, à l’occasion d’une question au gouvernement s’interroge aussi : « Comment les trouver alors que le métier est si peu attractif ? » En réponse à cette dernière, Paul Christophe, ministre des Solidarités et de l'Autonomie, a indiqué que dans le cadre de la Conférence nationale du handicap, il est prévu « à l'horizon 2026 de réformer le cadre d'emploi des AESH en élargissant le champ de leurs missions » avant d’ajouter que le gouvernement travaille « sur une grande campagne de valorisation et d'attractivité des métiers ».
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