Pour développer « l'industrie verte », le gouvernement veut passer par-dessus les maires
Par Franck Lemarc
Le gouvernement lance le chantier de « l’industrie verte », pour répondre à un « triple défi » : celui de l’emploi, après « cinq décennies de délocalisations », celui du développement durable et celui de souveraineté économique du pays.
Pour agir dans ce sens, le gouvernement ne s’en tient pas au seul projet de loi présenté hier : il annonce également qu’il va prendre plusieurs mesures réglementaires et va lancer plusieurs chantiers pour réformer un certain nombre de procédures.
L’action du gouvernement s’articule autour de « quatre priorités » : « Faciliter, financer, favoriser, former », stratégie qui s’appellera donc « les 4 F ».
Les collectivités seront surtout concernées par le premier « F », faciliter, puisqu’il s’agit d’accélérer les procédures administratives d’autorisation. Dans une moindre mesure, elles seront également concernées par le « favoriser », qui concerne notamment la commande publique.
« Stock de foncier »
Le chapitre « Faciliter » comprend cinq mesures.
La première vise à dégager du foncier en « pré-aménageant par anticipation 50 sites » et constituer ainsi un « stock stratégique de foncier productif » immédiatement disponible. Les collectivités qui souhaitent s’engager dans cette action seront aidées financièrement via le Fonds vert. Le gouvernement indique clairement que l’ancien Fonds friche (désormais recyclé dans le Fonds vert), a été principalement utilisé pour permettre la construction de logements, mais qu’il s’agit désormais « de se mobiliser pour créer du foncier industriel ».
Le projet de loi Industrie verte prévoit de mettre en place une « planification du foncier industriel à l’échelle régionale », en intégrant dans les Sraddet un nouvel objectif de développement industriel.
Accélérer les procédures
On se rappelle que le chef de l’État s’est engagé à « diviser par deux les délais d’implantation industrielle ». Ces délais seraient en moyenne de 17 mois, en France, contre 9 en Allemagne.
L’objectif est de passer de 17 mois à 9 mois « garantis ». L’idée du gouvernement est de « passer d’une instruction séquencée à des phases parallélisées » : alors qu’aujourd’hui les différentes étapes (instruction des services, avis de l’autorité environnementale, enquête publique, etc.) se font les unes à la suite des autres, la réforme aboutirait à les mener en même temps.
Recentralisation de certaines autorisations d’urbanisme
Autre mesure proposée : la création d’une « procédure exceptionnelle simplifiée pour les projets d’intérêt national majeur ». Contrairement aux autres propositions, qui sont plutôt bien accueillies par les associations d’élus, cette mesure inquiète beaucoup l’AMF, qui la juge « inacceptable ».
L’article 9 du projet de loi vise en effet à « recentraliser » certaines procédures qui relevaient, jusqu’à présent, des maires. Pour certains projets industriels identifiés (par décret) comme étant « d’intérêt national majeur », les compétences du maire en matière d’urbanisme seraient contournées par l’État, afin d’assurer « une mise en compatibilité plus rapide des documents d’urbanisme » (PLU, SCoT et carte communale). Le permis de construire étant directement délivré par l’État.
Si ce n’est pas la première fois qu’un tel dispositif est mis en place, il n’en reste pas moins attentatoire au principe de libre administration des collectivités territoriales, comme l’on fait valoir les représentants des élus au Conseil national d’évaluation des normes (Cnen). Encore une fois, le gouvernement fait entendre la petite musique selon laquelle ce sont les maires qui ralentissent les procédures – alors que, ont expliqué les représentants de l’AMF au Cnen, « la lenteur des procédures n’est pas due à l’inaction des maires mais à la surabondance de la réglementation ».
Dans un communiqué diffusé hier, l’AMF – qui affirme par ailleurs « partager les projets et les ambitions du projet de loi » – s’oppose « vigoureusement » à cette disposition : « Aucune dérogation au projet du territoire ne doit être autorisée sans l’accord des collectivités concernées. (…) L’ensemble de l’article place le préfet comme interface unique du porteur de projet, caractérisant ainsi l’ingérence dans les compétences des collectivités territoriales en matière d'aménagement du territoire. L’AMF estime que les maires et présidents d’intercommunalité doivent pouvoir décider des implantations industrielles qu’il convient de développer sur leur commune et de leur emplacement. (…) Tout ce qui est fait sans les maires est fait contre les maires. »
Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État reconnaît noir sur blanc que cette mesure est une atteinte au principe de libre administration et une forme de « recentralisation ». Mais il estime… que ce n’est pas grave. Le Conseil d’État juge que l’atteinte au principe de libre administration est « justifiée », en l’espèce, par le fait que ces projets répondent « à des intérêts fondamentaux de la nation ». Et il ajoute que la délivrance directe des autorisations d’urbanisme par l’État étant « limitée à des projets exceptionnels », elle ne constitue pas « une atteinte certaine à la Constitution » qui garantit pourtant la libre administration.
Le Conseil d’État utilise ici le même argument qui a souvent servi au Conseil constitutionnel, en validant une atteinte au principe de libre administration au motif qu’elle serait « exceptionnelle ». Mais à force d’additionner les atteintes « exceptionnelles », celles-ci le deviennent de moins en moins.
Commande publique
Signalons enfin que le projet prévoit de modifier les règles en matière de commande publique, pour « favoriser davantage les produits vertueux sur le plan environnemental ». Le gouvernement insiste d’abord sur l’idée que « les acheteurs publics ont le droit de mettre au même niveau les enjeux qualitatifs environnementaux et les critères prix » : la notion « d’offre économiquement la plus avantageuse » ne doit pas s’estimer que sur un critère financier, mais en prenant en compte « le meilleur rapport qualité-prix », la qualité englobant des critères environnementaux.
Par ailleurs, le projet de loi (article 13) va permettre de réviser les critères d’exclusion d’un marché public : il est prévu que les acheteurs publics puissent désormais « exclure de la procédure de passation d’un marché [les entreprises] qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre ».
Le texte a été déposé au Sénat, où il sera discuté en premier, sans doute d’ici à cet été.
Accéder au projet de loi et à l’avis du Conseil d’État.
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