Des députés relancent le débat sur un statut d'officier de police judiciaire pour les policiers municipaux
Par Franck Lemarc
Les policiers municipaux doivent-ils devenir agents ou officiers de police judiciaire ? Le débat n’a pas cessé sur cette question au moins depuis le rapport Fauvergue-Thourot sur le « continuum de sécurité » en 2018 et la loi Sécurité globale de 2021. Elle a encore été au cœur des discussions du Beauvau des polices municipales au printemps dernier, interrompu par la dissolution. Tout récemment encore, dans un entretien à La Gazette des communes, l’ancienne ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure, disait sa frustration de ne pas avoir pu avancer sur ce sujet et son espoir que le gouvernement de Michel Barnier mette le dossier à l’agenda.
« Des policiers à part entière »
Rappelons que le gouvernement avait déjà tenté, dans le cadre de la loi Sécurité globale, de mettre en place une expérimentation de cinq ans « permettant aux policiers municipaux d’exercer des attributions de police judiciaire en matière délictuelle ». Cette disposition avait été clairement censurée par le Conseil constitutionnel, au motif que la loi ne prévoyait pas de placer les agents municipaux sous le contrôle de l’autorité judiciaire, la disposition était contraire à la Constitution, avaient rappelé les Sages, puisque « la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire ». Or les policiers municipaux, en l’état actuel des choses, ne sont placés que sous l’autorité du maire.
C’est précisément à ce point que souhaite s’attaquer la proposition de loi élaborée par le député des Alpes-Maritimes Éric Pauget (ancien adjoint au maire d’Antibes), en compagnie d’autres députés LR anciens maires comme Philippe Juvin, Michèle Tabarot ou Annie Genevard.
Dans l’exposé des motifs de ce texte, les députés rappellent que la police municipale est devenue « la troisième force de sécurité du pays » et qu’elle s’est peu à peu « professionnalisée » et « institutionnalisée ». Forte de 24 000 agents dans 4 000 collectivités, la police municipale est composée d’agents « spécifiquement formés, assermentés, habilités et parfois même armés, [qui] ne sont plus ces agents municipaux seulement chargés de faire respecter les arrêtés de police administrative du maire ou d’en sanctionner les infractions ». « Aujourd’hui, ils sont devenus des policiers à part entière », affirment les signataires du texte.
Ceux-ci souhaitent donc aller plus avec la relance d’une expérimentation de la « judiciarisation des pouvoirs des policiers municipaux », réaffirmant néanmoins que la police municipale « n’a pas vocation à remplacer les forces de sécurité intérieures de l’État » et que l’expérimentation, tout comme le choix de créer ou non une police municipale, doit rester à la main des maires.
« Contourner » la censure
Mais comment « contourner » la censure du Conseil constitutionnel de 2021 (ou plutôt la double censure, puisque les Sages avaient déjà censuré une disposition similaire dix ans plus tôt) ? La réponse des auteurs du texte est claire : les policiers municipaux doivent être, au moins en partie, placés sous l’autorité judiciaire. Pour cela, le texte propose qu’à titre expérimental, les directeurs ou chefs de service de la police municipale deviennent officiers de police judiciaire. Ils seraient alors sous une double tutelle : pour les tâches de police administrative, ils répondraient aux maires ; pour les tâches de police judiciaire, au procureur. « En plaçant directement et effectivement les policiers municipaux sous l’autorité des procureurs durant l’exercice des pouvoirs judiciaires expérimentaux fixés par la loi, ce dispositif permettra (…) de répondre à l’exigence de présenter des garanties équivalentes dans la conduite de la police judiciaire, indispensables pour que la judiciarisation des polices municipales puisse passer les fourches caudines du Conseil constitutionnel », écrivent les députés.
Ce que contient la proposition de loi
Le texte est composé d’un article unique. Il dispose que l’expérimentation serait d’une durée de cinq ans. La demande d’expérimentation serait présentée par le maire ou le président d’EPCI compétent, après délibération du conseil municipal ou communautaire. Le dispositif ne serait ouvert qu’aux communes ou EPCI employant un directeur ou un chef de service de police municipale et dont le territoire « est couvert par une convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’État ».
Les directeurs ou chefs de service devraient répondre à certaines conditions (notamment d’ancienneté, d’expérience et de formation), fixées par décret, pour pouvoir être habilités en tant qu’officiers de police judiciaire (OPJ). L’expérimentation pourrait être stoppée « à tout moment », après délibération.
Une fois un chef de service ou un directeur habilité à devenir OPJ, les agents de la police municipale placés sous son autorité seraient, de facto, « sous l’autorité et le contrôle d’une autorité judiciaire », pour reprendre les termes des Sages. La proposition de loi liste toute une série de prérogatives nouvelles qui en découlerait pour les policiers municipaux. Ils pourraient ainsi constater des délits et infractions tels que la vente à la sauvette, la conduite sans permis, l’entrave à la circulation, l’usage illicite de drogue, le port d’armes, etc. Cette évolution permettrait également aux nouveaux OPJ de faire procéder « à la saisie des objets ayant servi à la commission des infractions » et aux agents de police municipale de relever l’identité des auteurs de ces délits.
Les associations d’élus opposées à la réforme
Il reste à savoir si ce texte sera inscrit à l’agenda de l’Assemblée nationale et quand. Et si le nouveau gouvernement qui va voir le jour de façon imminente souhaitera, comme son prédécesseur, aller dans ce sens.
Nul doute que la proposition, si elle est discutée, va provoquer d’âpres débats. L’AMF, lors du Beauvau des polices municipales, a encore répété son opposition à l’acquisition des compétences de police judiciaire par les policiers municipaux. Murielle Fabre, secrétaire générale de l’association, avait alors notamment pointé que « cela poserait des difficultés au regard de la libre administration des collectivités territoriales [puisque les policiers municipaux seraient alors] de facto sous l’autorité du procureur de la République ».
La même position a été clairement exprimée dans une tribune co-signée en juin dernier par huit maires, dont le président de l’APVF, Christophe Bouillon, et le maire de Sceaux et vice-président de l’AMF Philippe Laurent. Les auteurs disaient refuser que soit « brouillée la distinction entre l’action de l’État et celle des collectivités » et redouter « une reprise en main par l’État des polices municipales ». « La judiciarisation accrue du pouvoir des policiers municipaux reviendrait à les mettre sous l’autorité du parquet, et non plus sous celle des maires. (…) La police municipale doit rester sous l’autorité du maire. Elle dispose d’une légitimité propre, fondée sur la proximité de son action au service de la sécurité, de la sûreté et de la tranquillité publique. »
Consulter la proposition de loi.
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