Après les Jeux olympiques et paralympiques, quel avenir pour les personnes sans abri ?
Par Lucile Bonnin
Dans le cadre de l’élaboration d’un rapport d’information sur la situation des femmes dans la rue, une table ronde a été organisée hier par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Le but : dresser un premier bilan de la situation des personnes sans abri après les mesures mises en place pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques aussi bien aux abords de Paris que dans les régions de France.
Si le succès de ces Jeux fait l’unanimité, il ne doit pas cacher les conséquences que ces derniers ont pu entrainer sur les personnes fragiles. En l’état, les acteurs de terrain font le constat d’une « précarisation et marginalisation des populations dans la rue » selon Francesca Morassut, coordinatrice d'Utopia 56 Paris et membre du collectif Le Revers de la médaille avec une inquiétude qui s’accentue sur le manque de logements disponibles pour ces personnes.
Un contexte de plus en plus tendu, notamment pour les femmes
« Expulsions de lieux de vie informels », « dynamique négative de nettoyage social », « contexte tendu avec des contrôles accrus auprès des lieux de solidarité » : l’organisation des Jeux a chamboulé la vie de nombreux sans-abri. Si 216 places pour les grands marginaux ont été créées à proximité des sites des Jeux, « il n’y a pas eu de création de places autrement » et les orientations se sont davantage faites vers des gymnases pour des solutions temporaires.
C’est notamment ce que rapporte Emmanuel Bougras, responsable du service analyse des politiques publiques de la Fédération des acteurs de la solidarité. Concernant les expulsions avec concours de la force publique, 21 500 ont été recensées cette année soit une augmentation de 23 % par rapport à l’année dernière, pointe-t-il. « On craint que les effets de la loi anti-squat augmentent ces chiffres ».
Parallèlement à cela, les solutions de logement d’urgence se font de plus en plus rares ces dernières années. Rappelons que le nombre de ménages en attente d'un logement social a atteint 2,7 millions au premier semestre 2024. Cette crise du logement entraîne de graves dérives.
Dans certains territoires, pour tenter de répondre à cette demande toujours en hausse et débloquer l’accès au logement, des critères de priorisation ont été mis en place. « Ils sont hors la loi puisque l’hébergement d’urgence en France est un accueil inconditionnel », rappelle Emmanuel Bougras.
Par exemple, la Fédération des acteurs de la solidarité dénonce par exemple le fait que les préfets de département de la région Ile-de-France aient demandé aux SIAO de mettre en œuvre des critères de priorisation pour décider de l'accès à l'hébergement d'urgence. La même pratique a été observée en Haute-Garonne.
Une autre dérive est observée par les travailleurs sociaux sur le terrain. De plus en plus de femmes à la rue seule ou avec un enfant se retrouvent complètement démunies et sont hébergées par des tiers. Selon Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comité pour la santé des exilés, cela ne se passe jamais bien. Elle raconte l’histoire d’une femme forcée par un homme à avoir des rapports sexuels sous peine de la jeter dehors en pleine nuit, avec son fils ayant des problèmes de santé. Elle explique « C’était pas possible, c’était trop dur pour mon fils, j’ai cédé. Il n’y a pas de place au 115. Je veux que mon fils aille à l’école ». L’assistante sociale souligne également que les femmes arrivent en France après des trajets migratoires de plus en plus violents, marquées notamment par de nombreuses violences sexuelles.
Bilan des sas régionaux
Selon le gouvernement, c’est un simple hasard de calendrier et les Jeux olympiques n’ont pas pesé dans l’élaboration de cette nouvelle politique publique. Beaucoup en doutent cependant : en 2023, le gouvernement a en effet ouvert dix « sas d'accueil temporaire » en région pour accueillir les migrants franciliens.
« L’idée, c’est d’avoir une situation d’analyse pendant trois semaines puis d’envoyer les personnes vers une situation plus durable et des orientations adaptées », résume Emmanuel Bougras. Au total, 5 400 personnes ont été orientées vers ces sas, dont 36 % ont été orientés vers des dispositifs nationaux d’accueil pour les demandeurs d’asile, 46 % vers des centres d’hébergement généraliste, 12 % sont partis et 6 % ont pu accéder à un dispositif pérenne ou un logement en trois semaines.
« On avait demandé à ce que ces sas territoriaux puissent s’inscrire dans une politique locale et donc que les élus locaux soient prévenus, indique Emmanuel Bougras. Malheureusement les collectivités territoriales et les élus n’ont pas été associés, ce qui a pu tendre localement l’ouverture de ces sas. » Ce manque de coopération avec les élus a donné lieu à des situations ubuesques. En Bretagne par exemple, un sas devait être installé dans la commune de Bruz sans concertation avec le maire sur un terrain que ce dernier indiquait être particulièrement pollué par des hydrocarbures et des métaux lourds. Il n’a finalement pas pu être installé à cause de ce manque de concertation.
D’autres dérives ont pu être observées, comme la concurrence entre les publics localement, due notamment à l’absence de logements supplémentaires. « La priorisation a été faite pour les personnes des sas et d’autres ont été remises à la rue ». Ce point extrêmement négatif souligne le « manque de soutien politique », selon les acteurs, qui dénoncent un « dispositif pour lequel l’État ne s’est pas donné les moyens d’une pleine réussite ».
Les acteurs attendent désormais la position du nouveau gouvernement sur ces dispositifs de sas régionaux qui devraient normalement être pérennisés. Selon eux, le dispositif pourrait être intéressant « pour organiser la solidarité territoriale » mais il ne serait efficace qu’à condition de créer de nouvelles places d’hébergement dans les régions. Le rapport d’information du Sénat devrait présenter ses recommandations en la matière en octobre prochain.
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