Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du jeudi 6 avril 2023
Élus locaux

Démission d'élus : le gouvernement tente de relativiser

La question des démissions d'élus, sur laquelle le président de l'AMF a lancé une alerte lundi, a été évoquée hier au Sénat. Pour le ministre Christophe Béchu, la situation n'est pas différente de celle du précédent mandat. 

Par Franck Lemarc

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© Sénat

C’est lundi dernier, dans Le Figaro, que le maire de Cannes et président de l’AMF, David Lisnard, a lancé l’alerte sur les démissions d’élus locaux, qui atteignent selon lui « un niveau jamais vu ». Interrogé sur les chiffres dont dispose l’AMF, le maire de Cannes estime que ceux-ci atteignent « la cote d’alerte » : « En attendant des chiffres consolidés, on peut déjà affirmer que sur un cinquième des associations départementales de l’AMF, ces démissions ont concerné 238 maires, 773 adjoints et 2 976 élus municipaux, soit près de 4 000 élus démissionnaires depuis le début du mandat en 2020. »  Le seuil des 1000 démissions de maires a déjà été franchi, poursuit David Lisnard, avec une tendance « plus rapide encore que pendant le précédent mandat durant lequel les départs avaient déjà doublé ». 

Pour expliquer ce phénomène, l’élu cite plusieurs hypothèses : « La difficulté de concilier la fonction de maire avec un métier », l’inflation normative et le « casse-tête bureaucratique », mais aussi la hausse des incivilités, « les attaques sur les réseaux sociaux », « les tentatives de dénigrement » … et ce qu’il appelle « l’exaspérant paternalisme d’État ». 

Tendance stable pour Christophe Béchu

Cette question a été reprise au Sénat, hier, lors de la séance de questions au gouvernement, par Franck Menonville (indépendant, Meuse) et Véronique Del Fabro (LR, Meurthe-et-Moselle). Avec des réponses un peu différentes dans les deux cas. 

Le premier a repris les chiffres de David Lisnard, en les complétant par ceux qu’il a constatés dans son département : « Dans la Meuse, on recense la démission de dix maires, 64 adjoints et 207 conseillers. »  Le sénateur a demandé au gouvernement, « trois ans avant les prochaines élections municipales », ce qu’il envisage pour « restaurer l’attractivité de cet engagement ». 

On ne peut pas dire que la réponse de Christophe Béchu ait été très convaincante, puisque le ministre en est resté à de grandes généralités : « Nous avons commencé à travailler avec l’AMF. Les maires sont les fantassins de la République, nous devons mieux les accompagner. » 

Mais on retiendra surtout de la réponse de l’ancien maire d’Angers que s’il a, d’une part, reconnu que la barre de 1 000 démissions de maires a bien été franchie, puisque « 1 293 maires ont démissionné »  depuis 2020, il a, d’autre part, cherché à relativiser le phénomène : « Il faut toujours se méfier des chiffres, a prévenu le ministre. Entre 2014 et 2020 il y avait eu 2 925 (démissions). »  Ce qui représente une moyenne de « 40 démissions par mois ». Cette moyenne est « comparable »  à celle que l’on connaît actuellement, a poursuivi le ministre, qui met en cause, du moins en partie, les difficultés du début de mandat liées au covid-19.

Ces chiffres sont exacts : calculs faits, les démissions de maires sur le mandat 2014-2020 se sont faites à une moyenne mensuelle de 40,6, et de 38,2 pendant l’actuel mandat. La tendance est donc bien la même. Mais il ne fait de mystère pour personne que l’accélération des démissions de maires a débuté pendant le mandat précédent – ce chiffre brandi par Christophe Béchu n’est donc pas très convaincant. 

En réalité, c’est en comparant avec le mandat 2008-2014 que l’on s’aperçoit à quel point la situation se dégrade. Dans une réponse ministérielle publiée par le Sénat en 2020, on apprend en effet que le ministère de l’Intérieur a comptabilisé seulement 717 démissions de maires sur l’ensemble de ce mandat, soit… 9,9 par mois. Le passage d’une dizaine de démissions par mois à une quarantaine – quatre fois plus – ne peut pas ne pas interroger. 

« Mal profond » 

Dans la même séance de questions au gouvernement, la ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure, s’est montrée plus préoccupée que son ministre de tutelle en répondant à Véronique Del Fabro, en parlant d’un « mal profond »  auquel elle « ne se résou(t) pas ». 

La sénatrice de la Meurthe-et-Moselle s’était, elle aussi, désolée de ce phénomène des maires qui « raccrochent leur écharpe » : « Animateurs de leur équipe municipale, employeurs, garants des deniers publics, gestionnaires de classes : ils jettent l'éponge face à tant de missions et à l'inflation législative. » « Les maires aspirent à plus de liberté et moins de contraintes. Qu’allez-vous faire pour y remédier ? » 

Dominique Faure, si elle a évoqué « le bonheur d’être maire », ne veut pas « nier la lassitude des élus ». Estimant que le phénomène va au-delà de la question « des dispositions statutaires », la ministre a affirmé rencontrer les maires démissionnaires « pour essayer de comprendre les causes »  de ce « mal profond ». 

Elle a annoncé que des « propositions »  seront faites, dans les prochaines semaines, « en vue de bâtir une feuille de route commune sur la place de l’élu local au sein de notre République ». 

Mission sénatoriale

Rappelons qu’une mission sénatoriale est actuellement au travail, sous la houlette du sénateur LR de l’Ardèche, Mathieu Darnaud. La mission va à la rencontre des maires pour tenter « d’observer au plus près leurs difficultés », et se donne pour but d’établir « des préconisations afin de redonner du souffle aux communes »  et éviter « une crise des vocations ». 

La mission ne rendra ses conclusions que début juillet. Dominique Faure n’attendra donc pas celles-ci – puisqu’elle parle de « semaines »  – pour annoncer ses propres propositions. 

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