StopCovid : le Parlement donne son feu vert à l'application controversée de traçage numérique
Les deux assemblées ont approuvé, hier, l’activation de l'application de traçage numérique StopCovid pour lutter contre une potentielle deuxième vague de l’épidémie de covid-19, alors que la phase 2 du déconfinement s'ouvre le 2 juin (338 députés ont voté pour à l'Assemblée nationale, contre 215 et 21 abstentions, 186 voix pour au Sénat, contre 127 et 29 abstentions). Téléchargeable « dès ce week-end », dixit le secrétaire d’État au Numérique Cédric O, elle doit permettre, en complément des « brigades sanitaires » et sur la base du volontariat, de détecter par bluetooth les malades et les cas contacts croisés par les citoyens dans les lieux publics afin de « casser » d’éventuelles nouvelles « chaînes de contamination » (lire Maire info du 21 avril).
Ainsi, précise en résumé Cédric O, « l’application enregistrera sur votre téléphone portable la liste des personnes croisées pendant plus de quinze minutes à moins d’un mètre - du moins celles qui l’ont également installée –, sans que vous ne connaissiez jamais leur identité. Si vous êtes testé positif, StopCovid vous donnera la possibilité de notifier volontairement et instantanément ces mêmes personnes qu’elles ont été en contact avec une personne contaminée au covid-19 afin qu’elles puissent s’isoler, prévenir un médecin et, si nécessaire, être testées ».
Pas de transformation de l’État en « État policier »
Clivante, l’application pose, en toile de fond, la question de l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Le gouvernement, par la voix de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, assure avoir obtenu toutes les « garanties pour le respect de notre vie privée et la sauvegarde des libertés individuelles ». L’application « n’est pas un prétexte pour que l’État se transforme en État policier contrôlant les faits et gestes de nos concitoyens » : elle respecterait, toujours selon la ministre, les principes de « limitation des finalités », de « proportionnalité » et de « licéité ». Autrement dit, les données seront « utilisées pour atteindre un objectif précis et déterminé d’avance » et seules celles jugées « pertinentes et strictement nécessaires au regard de la finalité poursuivie par le traitement » seront traitées, fait valoir la garde des Sceaux.
Qui insiste sur le « libre consentement des individus » : « Aucune conséquence négative n’est attachée au choix de ne pas recourir à l’application ou à certaines de ses fonctionnalités. » Ceux qui la refuseraient devraient pourtant, selon le lien établi par Cédric O, « accepter le risque conséquent et, pour le dire plus crûment, les contaminations supplémentaires, les malades supplémentaires, les morts supplémentaires et le risque de reconfinement supplémentaire ».
« Un risque politique »
Derrière cette application, Jean-Luc Mélenchon (Bouches-du-Rhône, La France insoumise) voit un « risque politique », à savoir « la tendance des pouvoirs dans ces moments de l’histoire de transformer ce qui est volontaire en obligatoire ». Et le leader des Insoumis d’imaginer : « Après avoir jugulé un danger, le virus du covid-19, on pourrait en juguler d’autres par une connaissance mutuelle plus approfondie. Êtes-vous mauvais payeur au moment où vous rentrerez dans le magasin ? Le téléphone dira ''cet homme est déjà dans le rouge, ne lui donnez plus rien !'' », s’exclame-t-il, avant de se lancer dans une critique du « modèle des big data ». Charles de Courson (Marne, Libertés et territoires) défend un raisonnement similaire : « Si vous nous assurez, madame la garde des Sceaux et monsieur le secrétaire d’État, vouloir déployer l’application dans le respect des principes qui encadrent la protection des données personnelles, rien ne nous garantit que, demain, un autre exécutif s’inspirant de Big Brother ne s’appuiera pas sur ce précédent – le premier précédent – pour rogner davantage les libertés publiques. »
« Un symbole d'un projet à contre-courant »
Au nom des Républicains, Damien Abad (Ain) réduit, quant à lui, cette application à un « symbole d’un projet à contre-courant et désormais largement dépassé ». « C’est donc une application mort-née, qui arrive trop tard, un peu comme la cavalerie qui arrive toujours après la bataille dans les bandes dessinées de Lucky Luke. Elle sera davantage un gadget qu’un outil efficace de lutte contre la pandémie (…) Combien de Français iront sur Google Play ou l’App Store pour télécharger l’application ? Bien trop peu pour que vous ayez un quelconque résultat probant », critique encore le chef de file des Républicains à l’Assemblée, qui a voté contre la mise en service de l’application contrairement à la majorité de ses homologues du Sénat. « Un peu vaut mieux que rien du tout, surtout lorsqu’il faut briser les reins de cette épidémie », harangue Bruno Retailleau, président du groupe LR, pour qui « n’écarter aucune solution » sonne comme un « devoir ».
« Cette application est-elle adaptée ? » à la fracture numérique et aux modes de vie de chaque territoire, s’interroge encore la députée Cécile Untermaier (PS, Saône-et-Loire). « En milieu urbain, sans doute, dans les secteurs d’affluence, mais beaucoup moins en milieu rural où elle se heurterait à l’identification quasi certaine des personnes contaminées par le coronavirus. Son adaptation est donc limitée à une catégorie de territoire, à la nature des réunions, mais aussi à un type de population éloignée du numérique ».
La Cnil et la CNCDH en arbitres
Souvent citée par les intervenants, qu’ils soient des défenseurs ou des détracteurs de l’application, la Cnil a estimé « que l’application peut être légalement déployée dès lors qu’elle apparaît être un instrument complémentaire du dispositif d’enquêtes sanitaires manuelles et qu’elle permet des alertes plus rapides en cas de contact avec une personne contaminée, y compris pour des contacts inconnus ». Mais a aussi formulé plusieurs recommandations nouvelles, telles que « l’amélioration de l’information fournie aux utilisateurs, en particulier s’agissant des conditions d’utilisation de l’application et des modalités d’effacement des données personnelles », « la nécessité de délivrer une information spécifique pour les mineurs et les parents des mineurs », « la confirmation dans le décret à venir d’un droit d’opposition et d’un droit à l’effacement des données pseudonymisées enregistrées » ou encore « le libre accès à l’intégralité du code source de l’application mobile et du serveur » (une recommandation à laquelle le gouvernement a souscrit).
La Commission nationale consultative des droits de l’homme, elle, se montre bien plus réticente à l’activation de l’application. « Le volontariat et l’anonymat mis en avant par les pouvoirs publics n’excluent pas ces dangers. En suscitant des réactions d’anxiété, de stigmatisation et de discriminations à l’égard des personnes contaminantes ou contaminées ou de celles qui refuseront d’installer l’application, les pouvoirs publics fragilisent la cohésion sociale, s’inquiétait-elle le 26 mai. L’application StopCovid, d’efficacité incertaine, porte, dans ses modalités d’accès et d’utilisation, une atteinte manifestement disproportionnée aux droits et libertés de l’ensemble des citoyens. »
Ludovic Galtier
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