« Stop Covid » : au sortir du confinement, comment pourrait fonctionner cette application controversée
Comment contenir la propagation du covid-19, une fois que la France entrera, peut-être le 11 mai, dans une période de « déconfinement progressif » ? En plus d’une politique de tests renforcée - 500 000 tests virologiques (PCR) devraient être réalisés chaque semaine à partir du 11 mai (contre 25 000 aujourd’hui) pour « isoler » les personnes contaminées - et d’une généralisation du port du masque dit « grand public » avec la production annoncée, d’ici le 11 mai, de 17 millions de masques par semaine - le gouvernement travaille sur une piste ô combien moins consensuelle.
À peine évoquée lors du point presse, animé dimanche par le Premier ministre Édouard Philippe et le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, la création d’une application numérique (sur smartphone) - baptisée « StopCovid » - est pourtant dans les cartons depuis début avril. Son objectif : alerter son utilisateur en cas de contact prolongé avec un porteur du covid-19. Proposée sur la base du volontariat, elle génère l’hostilité et la méfiance des partis d’opposition et jusque dans les rangs de la majorité. Tous s’interrogent sur les potentielles dérives de l’utilisation généralisée du traçage et ses conséquences sur les libertés individuelles et la vie privée.
Bluetooth oui, géolocalisation non
En France, l’Institut national de recherche en sciences et technologie du numérique (Inria) pilote le développement de ce projet, « composante » parmi d’autres « d’un ensemble plus vaste de mesures, dans le cadre d’une approche pilotée par une politique de santé ». Bruno Sportisse, son PDG et auteur, le 18 avril, d’un article sur le fonctionnement de « StopCovid » , répond à ses détracteurs.
Selon lui, l’application sur laquelle il travaille n’est pas une application de « tracking ». « Par « contact tracing » (il préfère le terme « proximity tracing » ), on désigne la capacité à pouvoir informer une personne, à travers une application présente sur son smartphone, qu’elle a été au contact lors des jours précédents (typiquement de deux à trois semaines) de personnes qui ont été diagnostiquées positives au covid-19 ».
La technologie utilisée ne pourrait, de plus selon l’ingénieur, souffrir d'aucune critique. Il affirme, en effet, que l’application « n’utilise que le bluetooth (opérant qu’à faible distance, quelques mètres), en aucun cas les données de bornage GSM (données des opérateurs obtenues par triangulation des antennes) ni de géolocalisation (GPS du smartphone) », et qu’elle est, par ailleurs, « totalement anonyme ». « Pour être encore plus clair, sa conception permet que personne, pas même l’État, n’ait accès à la liste des personnes diagnostiquées positives ou à la liste des interactions sociales entre les personnes. La seule information qui m’est notifiée est que mon smartphone s’est trouvé dans les jours précédents à proximité du smartphone d’au moins une personne qui a, depuis, été testée positive et s’est déclarée dans l’application », écrit-il.
Bruno Sportisse s’inscrit encore en faux contre les accusations, selon lesquelles « StopCovid » serait une « application de délation » : « dans le cas où je suis notifié, je ne sais pas qui est à l’origine de la notification. Lorsque c’est moi qui me déclare positif, je ne sais pas qui est notifié », insiste-t-il.
« Robert »
C'est sur la base de ces principes, respectueux du « cadre européen de protection de la vie privée (RGPD) », que le protocole « de suivi des contacts rapprochés », baptisé Robert (pour ROBust and privacy-presERving proximity Tracing), a été établi. Fondé sur l’échange de crypto-identifiants (ou de pseudonymes) entre les smartphones, il régit les règles de fonctionnement de l’application.
Voici concrètement comment cela pourrait se passer : « Le détenteur du smartphone, en laissant le bluethooth activé, permet à son application de construire un historique des crypto-identifiants rencontrés, à proximité, pendant une durée significative lors des déplacements (ce qui signifie que la rencontre est enregistrée sur chacun des smartphones, ndlr) (…) Si la personne est diagnostiquée positive, elle fait remonter son historique de crypto-identifiants rencontrés (l'ensemble des smartphones rencontrés) sur un serveur d’une autorité de santé (par exemple) ».
À partir de là, tous les propriétaires de smartphones rencontrés par la personne infectée, depuis placée à l'isolement à domicile ou à l'hôtel, sont donc « potentiellement à risque ». Ils reçoivent alors une notification leur indiquant qu'ils ont été en contact avec une personne malade et des mesures sont prises pour eux aussi (tests, confinement).
L’envoi de « la notification se fait sur la base d’une évaluation du risque (dont le calcul doit être défini avec les épidémiologistes) en utilisant l’information de proximité », explique Bruno Sportisse. Qui le garantit : « Aucune donnée relative au statut des personnes positives » n’est stockée ni sur le serveur central ni sur les smartphones qui reçoivent une notification.
Un débat au Parlement finalement suivi d'un vote
Ce projet va désormais « être soumis à la critique » de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi), de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et du Conseil national du numérique (CNN) que Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, a saisi la semaine dernière. Une mise en service au sortir du confinement, le 11 mai, paraît donc peu probable.
Dans le même temps, le Parlement va se saisir de ce dossier sensible. La nécessité de cette application divise la classe politique à tel point qu’une trentaine de parlementaires étiquetés La République en marche ont demandé, à l’image des députés Les Républicains ou des sénateurs socialistes, que le débat autour de sa mise en place, organisé le 28 avril à l’Assemblée nationale et le lendemain au Sénat, soit suivi d’un vote des parlementaires. Ce qui n'était pas la première intention du gouvernement. Ils ont finalement été entendus : les débats prévus à l'Assemblée nationale sur le traçage des données mobiles dans la lutte contre le coronavirus et le déconfinement progressif à partir du 11 mai seront suivis de votes des députés, a annoncé ce matin l'AFP. « Le vote va être très, très compliqué au sein des marcheurs », selon un membre du groupe majoritaire.
Hier encore, Gilles Le Gendre, chef de file des députés de la majorité au Palais Bourbon, s’y refusait, estimant que le vote « n’apporterait rien de plus ».
Ludovic Galtier
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