Décentralisation : les positions des différents groupes à l'Assemblée nationale
Par Franck Lemarc
Le gouvernement veut présenter, d’ici la fin de l’année, un projet de loi sur les compétences des collectivités. Il s’appuiera pour cela sur les travaux menés depuis l’automne dernier par Éric Woerth, chargé d’une mission sur les pistes d’évolution de la décentralisation.
Dans le cadre de ces réflexions, la Délégation aux collectivités territoriales a mené un travail original et certainement utile : demander dès maintenant à chaque groupe politique de l’Assemblée nationale de se prononcer sur un certain nombre de propositions, en vue de dessiner les contours d’un projet qui aurait des chances d’être validé par les députés. Suppression d’un niveau de collectivité, retour du conseiller territorial, fiscalité locale, rôle des préfets… Toutes les questions ont été passées au crible et la délégation publique a présenté les réponses de tous les groupes (ainsi que les auditions auxquelles elle a procédé), dans un rapport d’information de plus d’une centaine de pages.
Presque aucun groupe favorable à la suppression d’un échelon
Sans pouvoir entrer ici dans les détails des réponses de chacun, on peut tirer de cette initiative quelques grandes tendances.
D’abord, il faut retenir que presque aucun politique ne se dit favorable à la suppression d’une strate (commune, intercommunalité, département ou région), puisque la question est posée en premier. Ce vieux serpent de mer semble être revenu en grâce au moment de la nomination de la mission Woerth, et Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, a plusieurs fois répété ces derniers temps qu’il y verrait une source utile d’économies budgétaires (lire Maire info du 7 mars).
Le seul groupe politique qui se dise favorable à cette option est le groupe Horizons, qui juge qu’elle serait « utile » à des fins de « simplification ». Les députés Horizons ne disent toutefois pas quel échelon ils se verraient supprimer – indiquant simplement qu’il est hors de question que ce soit la commune, qui doit être « sanctuarisée ».
Notons la position originale du groupe Liot, qui estime que des suppressions de strates pourraient s’opérer « au volontariat » : « La suppression d’une strate pourrait ne pas être forcément monolithique et ne concerner que certains territoires où une demande spécifique existe », écrivent les députés Liot. En revanche, ils s’opposeraient à une mesure décidée d’en haut et « imposée par l’État ». Cette position est partagée par le groupe socialiste, qui juge que des fusions (métropole et département par exemple) pourraient s’envisager cas par cas, si elles sont le produit « d’une projet politique territorial » et sont approuvées par « référendum local ».
Les autres groupes s’opposent globalement à toute idée de suppression. Les députés LFI rappellent non sans raison qu’en tout état de cause, les EPCI ne sont pas des collectivités territoriales et ne constituent donc pas une « strate ». En passant, ils demandent de revenir sur les découpages en grandes régions, « qui n’a convaincu personne ».
Quant aux Républicains, s’ils refusent eux aussi la suppression d’une strate, ils demandent le retour d’une « intercommunalité de projet au lieu d’une intégration intercommunale uniforme et subie », avec compétences à la carte.
Conseiller territorial : c’est plutôt non
Le retour du « conseiller territorial » cher à Nicolas Sarkozy (fusion du conseiller régional et départemental) et remis au goût du jour par Emmanuel Macron pendant sa campagne de 2022, ne convainc guère plus. Si le RN semble plutôt pour, jugeant qu’un élu commun à ces deux niveaux de collectivités « permettrait de favoriser la bonne coordination de ces deux échelons », tout comme le groupe Horizons, les autres groupes n’y sont pas favorables. Pas même les Républicains, qui jugent qu’il s’agissait d’une bonne idée à l’époque de Nicolas Sarkozy, mais que la réforme ayant donné naissance aux super-régions l’a rendue caduque. De même, les socialistes jugent que cette réforme « n’est plus envisageable à 13 régions ».
Élections des présidents d’interco au suffrage universel direct : peu de partisans
La délégation a demandé aux différents groupes s’ils étaient favorables à la transformation des EPCI en collectivités territoriales de plein exercice, dont le président serait élu au suffrage universel direct. Sur ce sujet, les avis sont assez unanimes : tout le monde est contre, sauf le groupe écologiste – le groupe Liot étant, pour sa part, dans l’expectative.
Côté contre, le groupe Renaissance, le RN, les LR, LFI, Horizons, les socialistes et le MoDem. Tous ont grosso modo les mêmes arguments : une telle réforme apporterait « de la complexité » (LR), elle « acterait la fin de la légitimité des maires » (RN et Horizons), « l’intercommunalité découle de la commune et n’a pas vocation à s’en détacher pour devenir indépendante » (LFI).
Le groupe socialiste pose néanmoins la question « du contrôle démocratique » de l’action des EPCI. Sans adhérer à la transformation de ceux-ci en collectivités, les députés socialistes proposent de réfléchir à l’élection directe du président uniquement dans « les EPCI les plus peuplés, les établissements publics territoriaux et la Métropole du Grand Paris ».
Le groupe écologiste estime, lui, que les EPCI « présentent toutes les caractéristiques des collectivités territoriales sans le titre ». Ils souhaitent donc qu’elles le deviennent officiellement, mais sans élection du président au suffrage universel direct : ils proposent que, comme dans les communes, le conseil communautaire soit élu au suffrage direct puis élise le président en son sein.
Quant au groupe Liot, il juge prudemment que cette réforme est « envisageable », mais « sans remettre en cause le rôle de la commune ». Une telle réforme, pour les députés Liot, ne pourrait se faire que si elle avait « le soutien des maires ».
Autonomie fiscale : avis partagés
Les collectivités doivent-elles bénéficier d’une « autonomie fiscale » comme elles bénéficient d’une autonomie financière, garantie par la Constitution ? Les députés Renaissance n’y sont pas opposés, tout en rappelant que la notion d’autonomie fiscale n’a actuellement « ni définition officielle, ni existence constitutionnelle ou juridique ». Le groupe RN est défavorable à une autonomie fiscale des communes, parce qu’elle risquerait de « contrecarrer les efforts de l’État visant à réduire les impôts sur les entreprises ».
Les Républicains ne donnent pas d’avis tranché, jugeant simplement que l’État doit « redonner des moyens et des marges de manœuvre aux communes ».
Du côté des partisans clairs de cette mesure, on trouve LFI, mais ceux-ci n’envisagent cette mesure qu’après rétablissement des impôts locaux supprimés par les gouvernements successifs, faute de quoi la mesure serait « un cadeau empoisonné ». Les socialistes et les écologistes sont respectivement « favorables » et « très favorables » à l’instauration d’une autonomie fiscale. Pour les seconds, les collectivités doivent pouvoir « déterminer le taux » des impôts locaux, « en direct avec les citoyens et les contribuables locaux ».
Un nouvel impôt local plutôt plébiscité
Enfin, retenons les réponses faites par les différents groupes politiques à la question de savoir si la création d’un nouvel impôt local (appelé « contribution au service public local » ) serait pertinente ou pas, avec des taux « entièrement pilotables par les collectivités ».
La réponse est oui pour Renaissance, pour LFI, pour le groupe Démocrate, pour les socialistes (« afin de permettre aux collectivités territoriales de financer les services offerts à leurs habitants ou d’en développer de nouveaux » ), pour les écologistes (« dans le cadre d’une réforme globale de la fiscalité locale » ) et pour le groupe Liot, qui jugent qu’une telle contribution « pourrait prendre la forme d’une fraction de la CSG laissée à la main des régions, des départements et des grandes intercommunalités ».
Le groupe LR, s’il se méfie des solutions consistant à « faire table rase et repartir de zéro », n’est pas défavorable à « un renforcement de la lisibilité de la fiscalité locale, en permettant à chaque collectivité de collecter une taxe propre plutôt que des taxes partagées ».
Exactement à l’inverse, le groupe Horizons souhaite un « partage entre l’État et les collectivités du produit des impôts nationaux ».
Enfin, le RN – même si sa réponse manque de clarté – semble refuser la piste d’un nouvel impôt, et préconise « en lieu et place d’outils fiscaux, l’instauration d’une dotation exceptionnelle de compensation au profit des collectivités dont la population augmente en dépit d’une baisse des recettes fiscales ».
Les réponses des groupes aux autres questions, toutes intéressantes, notamment sur la différenciation ou le rôle des préfets, sont à retrouver dans le rapport d’information de la mission.
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