Plan automobile : acheter des véhicules électriques va-t-il devenir obligatoire pour les collectivités ?
Huit milliards d’euros. C’est la somme que l’État va investir pour soutenir la filière automobile, sinistrée par la crise sanitaire, au moment où des craintes majeures se font jour sur les perspectives de l’emploi dans ce secteur. Au-delà du fait que l’avenir de cette filière est crucial pour de nombreuses communes qui abritent une usine liée à ce secteur (4 000 usines en France), le plan présenté hier aura aussi des conséquences directes – et potentiellement très coûteuses – sur les achats des collectivités territoriales.
La filière automobile représente à elle seule près de 20 % du chiffre d’affaires total de l’industrie en France. Elle emploie 400 000 salariés dans le pays. C’est dire l’importance économique cruciale de ce secteur – y compris pour la vie des territoires. Or le secteur est à l’arrêt depuis le 15 mars – avec une baisse de plus de 80 % de son activité en avril et près de 250 000 salariés en chômage partiel. La semaine dernière, on a appris que l’un des deux géants français du secteur, Renault, se prépare à fermer ou fortement restructurer quatre sites industriels. La presse annonce ce matin un projet de la marque au losange – qui va bénéficier d’un prêt garanti par l’État de 5 milliards d’euros – de supprimer 5 000 emplois à court terme.
C’est dans ce contexte que le président de la République a présenté, hier, dans le Nord, le plan de soutien à l’automobile du gouvernement, « pour une industrie verte et compétitive ». Ce plan s’appuie sur un soutien massif de l’État (8 milliards d’euros au total et s’articule autour de trois axes : le renouvellement du parc automobile en faveur des véhicules propres, l’aide publique à l’investissement, et le soutien direct aux entreprises en difficulté.
Un million de véhicules propres
En termes d’investissement, le gouvernement va consacrer 1,5 milliard d’euros à des subventions, dont 150 millions pour la recherche et le développement, afin de « faire de la France l’un des pays les plus avancés dans les technologies du véhicule propre ». Un fonds d’investissement abondé par l’État, BpiFrance, Renault et PSA, sera doté de 600 millions d’euros.
Il sera demandé en contrepartie aux constructeurs de localiser au maximum en France les « activités stratégiques », aussi bien en matière de recherche et développement qu’en matière de production. Par ailleurs, un effort sera demandé aux constructeurs pour « verdir » le parc produit : d’ici 2025, le gouvernement souhaite que la production de véhicules propres (électriques, hybrides et hybrides rechargeables) atteigne un million d’unités – soit la moitié de la production annuelle actuelle. Cet objectif semble extrêmement ambitieux : en 2019, moins de 70 000 véhicules propres ont été immatriculés en France, et le groupe Renault, par exemple, ne produit que 20 000 exemplaires par an de son véhicule électrique phare, la Zoé.
Bornes et soutien à la demande
Les deux freins principaux au développement des véhicules propres en France sont bien connus : c’est, d’une part, le prix des véhicules, bien plus élevés que les voitures thermiques ; et, d’autre part, le nombre encore très insuffisant de bornes de recharge. Le gouvernement souhaite intervenir sur ces deux points.
Pour ce qui est des bornes, l’objectif a été fixé à « 100 000 points de recharge ouverts au public fin 2021 ». Pour y parvenir, l’État va doter de 100 millions d’euros supplémentaires, pour la période 2020-2023, un programme destiné à financer l’installation de 45 000 bornes « dans les villes et les territoires ». Les coûts de raccordement au réseau seront financés à 75 % par le Turpe (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité), c’est-à-dire par les consommateurs, jusqu’au 31 décembre 2020.
Mais l’essentiel du plan consiste en un soutien à la demande, c’est-à-dire des mesures de primes à l’achat : le bonus de l’État pour l’achat d’un véhicule électrique par un particulier va passer à 7 000 euros, et 5 000 euros pour les flottes d’entreprise. Pour les véhicules hybrides rechargeables, un bonus de 2 000 euros est créé, « pour les particuliers comme les personnes morales ». Ces mesures représentent 535 millions d’euros. D’autres mesures sont prévues pour élargir le bénéfice de la prime à la conversion, pour un total de 800 millions d’euros.
Commande publique : vers une nouvelle obligation ?
Enfin – et c’est peut-être ce qui intéressera le plus directement les élus – le gouvernement entend utiliser la commande publique pour booster la production de véhicules propres. « Les acheteurs publics devront accélérer le renouvellement de leur flotte de véhicules » pour s’équiper de véhicules propres, annonce le gouvernement. Une circulaire va être publiée « dans les prochaines semaines » pour imposer « un objectif de 50 % de véhicules électriques, hybrides ou à hydrogène » et pour demander aux acheteurs publics « d’anticiper dans les trois prochains mois les commandes prévues pour l’ensemble de l’année 2020 ».
Mais c’est une petite phrase tirée du dossier de presse qui a de quoi inquiéter les collectivités : « Tout achat de véhicule du segment B2 (Clio, 208 ou C3) par des acheteurs publics devra obligatoirement porter sur des modèles électriques ». Cette annonce, au détour d’une phrase, pose de nombreuses questions : quand on sait qu’une Citroën C3 classique coûte environ 12 000 euros, et que le même modèle en électrique est annoncé à 35 000 euros, on est en droit de se demander si l’État entend compenser ce qui apparaît bien comme un surcoût massif imposé aux collectivités.
Réponse, peut-être, dans la circulaire annoncée, pour savoir si l’État a décidé d’exiger des collectivités, sans leur demander leur avis, de participer ainsi financièrement à son plan de soutien à la filière automobile... ce qui demanderait, à tout le moins, un passage par la loi.
Franck Lemarc
Télécharger le dossier de presse.
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