Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 17 octobre 2025
Politique de l'eau

Crises hydriques : entre menace climatique et gouvernance éclatée, les collectivités aux avant-postes

Dédié aux risques hydriques et à la gouvernance de l'eau, le 24e colloque de l'observatoire SMACL s'est tenu à Paris le 15 octobre, deux jours après la journée nationale de la résilience. Réunissant juristes, élus, techniciens et représentants d'instances de l'eau, l'évènement a été l'occasion de remettre au cœur des problématiques territoriales et des municipales, la raréfaction de la ressource.

Par Caroline Reinhart

Inondations, pollutions, sécheresse, conflits d’usage : les crises hydriques se multiplient et s’intensifient. En première ligne, les maires et présidents d’intercommunalité sont parfois démunis face au manque de régulation de l’État et au poids des lobbies de la chimie. Le sujet est complexe – à la fois technique, juridique et sociétal. Marqueur du changement climatique, l’eau est aussi un « fait politique », comme rappelé lors des débats par Régis Taisne, chef du département « cycle de l’eau »  à la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Pour sa gestion, les Français voient les collectivités et les entreprises de l’eau comme des acteurs de confiance – loin derrière l’État –, selon une étude de l’institut Terram présentée par Antoine Bristielle, directeur France de Project Tempo et de l’observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès. 

En préambule, le président de SMACL Assurances – principal assureur des collectivités – et maire de Niort Jérôme Baloge, a pointé la vulnérabilité croissante de la ressource, en dépit des normes, toujours plus nombreuses, pour garantir sa qualité.  « La norme va parfois plus vite que le traitement. Il n'est pas aisé de comprendre les imbrications des différentes strates de collectivités, ou les superpositions de normes nationales et européennes ». Une myriade d’acteurs et un manque de cohérence de la réglementation dénoncés tout au long de la journée. 

Gérer l’urgence des polluants éternels

Prochaine norme à venir, dès le 1er janvier : l’interdiction progressive des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), ces « polluants éternels »  qui ont fait l’objet en 2023 d’une enquête édifiante d’un consortium de médias. Le Monde avait alors publié une carte des 17 000 sites pollués par les PFAS en Europe, dont 2 100 « à des niveaux dangereux ». En février 2025, une loi française a abouti pour interdire progressivement ces substances, un « premier pas »  pour l’association de collectivités exposées aux pollutions et risques industriels (Amaris) (lire Maire info du 25 février 2025). 

Au colloque SMACL, Annick Dufils, maire de Malandry, commune ardennaise de 81 habitants, a livré un témoignage saisissant. En mai dernier, des analyses chez un habitant révèlent la présence de PFAS. Fermée en novembre 2024, la papèterie située sur la commune est suspectée, en raison de ses épandages de boues depuis 1995. L’ARS aurait fait des analyses sur leur toxicité dès 2009, sans en informer la commune. En juillet, un arrêté préfectoral a interdit la consommation d’eau : à certains endroits, le taux de PFAS était 27 fois supérieur au taux autorisé. Depuis, la commune fournit deux litres d’eau par jour et par habitant, tandis que l’exonération de la redevance d’eau potable leur est encore refusée. Face au silence de l’État, pourtant compétent en matière d’installations classées (contrôle de l’exploitation et remise en état du site), Annick Dufils interpelle les médias tous azimuts. « Notre commune est devenue une déchèterie industrielle. Nous sommes les oubliés de l’État. Et le préfet nous glisse de fusionner nos communes pour avoir des moyens ! ». Malandry n’a pas souhaité transférer la compétence eau et assainissement à l’interco, comme le permet désormais la loi du 11 avril 2025 (lire Maire info du 3 avril 2025).

De son côté, Jérôme Boisson, président de Lunel Agglo, a vu un dénouement heureux à la pollution, toujours aux PFAS, de son territoire. « L’ARS nous a alertés en 2024, et la réaction du préfet a été très rapide. Pour stopper la contamination, nous avons installé des filtres à charbon ». Coût : 300 000 euros, dont 80 % financés par l’ARS et l’agence de l'eau. « L’État a réagi, c’est notre chance », reconnaît-il.

Autre partage d’expérience, celui d’Anne Grosperrin, vice-présidente déléguée au cycle de l’eau à la métropole de Lyon, et présidente de la régie eau publique du Grand Lyon. Là aussi il s’agit de pollution aux PFAS, mais à grande échelle : trois communes et plus de 200 000 habitants sont pour l’heure officiellement concernés. En 2021, le média Vert de rage révèle la forte pollution émanant de la vallée de la chimie lyonnaise sur la commune de Pierre-Bénite. L’ARS aurait alerté l’État dès 2010, la Dreal étant chargée de contrôler les rejets des usines du territoire, mais sans jamais informer la métropole ou les communes concernées. « Alors que les principes de précaution et pollueur-payeur sont inscrits dans la loi, l’État a longtemps mis la tête dans le sable. Il a fallu un collectif d’acteurs pour faire bouger les lignes, et la mise en place de stratégies d’action en justice et de recherche. La mobilisation des élus, des citoyens et des journalistes est nécessaire pour faire évoluer le cadre réglementaire au niveau européen, et peser face aux lobbys de la chimie », a ainsi appuyé Anne Grosperrin.

Réguler les usages et les prélèvements 

Mais c’est aussi au niveau national qu’il faut agir, tant la gouvernance éclatée de la ressource nuit à la bonne régulation de ses usages et prélèvements. Lors d’une table ronde dédiée, l’absence d’organisation de l’État et de ses services, leur tendance au silotage, mais aussi l’émiettement territorial ont été pointés. Outre les agences de l’eau, il existe plus de 13 000 collectivités chargées du service public de l'eau ou de l'assainissement (régies ou petits syndicats), et une multitude de comités de bassin et de commissions locales de l’eau (CLE) – les « parlements de l’eau ». Sauf que la raréfaction de la ressource provoque des conflits d’usage, à l’instar des affrontements autour des « mégas-bassines », qui nécessitent des réponses claires et cohérentes. 

Pour l’avocat Philippe Bluteau, le problème est plus celui de l’insuffisance des sanctions en cas de non-respect des restrictions – 250 personnes par an condamnées à 1 500 euros d’amende, 3 000 en cas de récidive –, que celui d’un manque de cadre. « La France est dotée d’outils et de compétences fantastiques depuis 60 ans. Il appartient à tout le monde de faire en sorte que le défi soit relevé. Le « plan eau »  du 30 mars 2023 prévoit de décliner dans les Sdage un objectif de réduction de 10 % des prélèvements d’ici 2030. Il faudrait le traduire dans la loi. D’ici là, on peut faire ruisseler cet impératif national et organiser la réduction des prélèvements à 25 % d’ici 2040. On a les instances et les compétences, reste à décliner ces objectifs par usage et par territoire. ». 

Et de conclure : « On ne calmera le stress hydrique que par la planification démocratique. La question n’est plus de savoir s’il faut réduire les prélèvements, mais qui doit décider des efforts. Il serait sage de faire des Sage la clé de cette répartition, et un document systématique, concerté, opposable et prescriptif. L’instance légitime n’est pas forcément l’intercommunalité. Enfin, une obligation de connaissance exhaustive des prélèvements devrait être instaurée. ». Voyons le verre à moitié plein : 54 % du territoire national est (déjà) couvert par un Sage.

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