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Édition du mardi 16 mars 2021
Coronavirus

Suspension du vaccin AstraZeneca : une décision aux conséquences considérables

Le président de la République a annoncé hier après-midi, en marge d'un déplacement officiel à Montauban, la « suspension » de l'utilisation du vaccin AstraZeneca jusqu'à plus ample informé. Une décision qui a stupéfié de nombreux professionnels et pourrait avoir des conséquences en cascade. 
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Ces derniers jours, plusieurs pays de l’Union européenne ont annoncé leur décision de suspendre temporairement l’utilisation de ce produit : l’Autriche d’abord, le 8 mars, puis le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas. Hier, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont fait de même. La France a donc fait le choix d’emboîter le pas à ses voisins européens. 

Les raisons d’une suspension

Les pays qui sont suspendu en premier l’utilisation de ce produit mettent en avant des cas de thrombose – c’est-à-dire de formation de caillots dans les veines. Une trentaine de cas auraient été repérés en Europe chez des personnes vaccinées avec AstraZeneca, sans qu’il soit possible, à cette heure, d’établir un lien formel entre la vaccination et la survenue de ces accidents. Comme l’indique la Direction générale de la santé (DGS) dans le communiqué urgent qu’elle a publié hier, « rien n’indique à ce stade que les évènements soient en lien avec la vaccination. Ils demeurent par ailleurs très rares. Très peu de cas ont été signalés en France et aucun décès n’y a été constaté dans le cadre de la surveillance renforcée mise en place depuis le début de la vaccination. Il s’agit bien d’une suspension temporaire et de précaution. » 
Les chiffres sont en effet extrêmement faibles : en Allemagne, où 1,6 million de personnes ont reçu une dose de ce vaccin, 7 cas de thrombose ont été répertoriés (soit 0,0004 %). De son côté, le laboratoire indique que 17 millions de personnes ont reçu une dose dans l’Union européenne et au Royaume-Uni, et que « le nombre de cas de caillots sanguins signalés dans ce groupe est inférieur aux centaines de cas auxquels on pourrait s’attendre dans la population générale ». 
Il va maintenant falloir attendre l’avis qui sera rendu par l’Agence européenne du médicament, lors d’une réunion exceptionnelle qui se tiendra jeudi prochain afin de « statuer sur les mesures nécessaires ». Mais dans un communiqué publié hier, l’Agence se montre plutôt optimiste : elle indique que « des milliers de personnes développent des caillots sanguins chaque année en Europe », et que « le nombre de thromboses chez les personnes vaccinées ne semble pas plus élevé que ce qui est constaté dans la population générale ». L’Agence estime également que face aux effets « dévastateurs »  du covid-19 en matière de santé ou en matière économique et sociale, « les bénéfices du vaccin AstraZeneca l’emportent sur les risques d’effets secondaires ». 

Surprise des médecins

Ce sont les mêmes arguments que brandissent nombre de médecins, depuis hier, pour dénoncer un usage « exagéré »  du principe de précaution. Nombre d’entre eux, sur les réseaux sociaux comme dans les médias, ont comparé le risque éventuel de thrombose à la mortalité du covid-19, arguant que même si deux personnes étaient réellement décédées en Europe en lien direct avec le vaccin, sur 17 millions de personnes vaccinées, la mortalité du covid-19 est, elle, infiniment supérieure (entre 3 et 4 morts pour 100 personnes infectées). 
Certains médecins, comme l’urgentiste Patrick Pelloux, ont donc jugé cette décision « dramatique », parce qu’elle va mécaniquement ralentir la campagne de vaccination. Hasard du calendrier : la décision de suspendre le vaccin AstraZeneca est intervenue le jour même où les pharmaciens d’officine pouvaient commencer à l’administrer, ce qui, dans les plans du gouvernement, devait permettre de donner un véritable coup d’accélérateur à la campagne de vaccination. 

AstraZeneca : qui est concerné ?

Le vaccin d’AstraZeneca, du fait de ses conditions de conservation plus simples que celles de Pfizer et Moderna, était en fait le seul qui pouvait, jusqu’à présent, être administré non seulement en pharmacie, depuis hier, mais aussi par les médecins de ville. Il devait ainsi permettre aux personnes de plus de 75 ans résidant à domicile, aux professionnels de santé, aux personnes de 50 à 74 ans avec comorbidités, de se faire vacciner en ville. Si la décision de suspension de ce vaccin était confirmée, jeudi, par l’Agence européenne du médicament (AEM), ce serait donc une remise en cause complète de la campagne de vaccination, et cela rendrait impossible l’atteinte des chiffres prévus par le gouvernement d’ici à l’été. Le seul espoir résiderait alors dans l’arrivée du vaccin de Johnson & Johnson, qui, lui non plus, n’a pas besoin d’être conservé dans des super-congélateurs. 
Mais même si l’AEM autorise, jeudi, la reprise de l’utilisation du vaccin AstraZeneca, les conséquences de cette suspension provisoire seront certainement tangibles dans la population. Car depuis sa mise sur le marché, ce vaccin a mauvaise presse, accusé (ce qui n’est nullement prouvé) d’être moins efficace que les autres ou de provoquer davantage d’effets secondaires de type grippaux. Cette méfiance, qui a conduit par exemple un certain nombre de soignants à refuser de se le faire administrer, risque forcément de s’aggraver, quelle que soit la décision de l’AEM. Et la volte-face brutale du gouvernement, hier, alors que la veille, le Premier ministre affirmait qu’il fallait « avoir confiance »  dans le vaccin AstraZeneca, n’est pas de nature à renforcer la crédibilité de l’exécutif.

Île-de-France : les hôpitaux à l’asphyxie

Cet épisode tombe particulièrement mal pour le gouvernement qui a axé toute sa stratégie, ces dernières semaines, sur un renforcement de la vaccination plutôt qu’un durcissement des mesures sanitaires. Alors que depuis plusieurs semaines, des responsables d’hôpitaux en Île-de-France réclament un confinement pour stopper ce qui ressemble de plus en plus à une troisième vague, l’exécutif a tenu bon son cap : pas de confinement, mais un « coup de booster »  sur la vaccination, en s’appuyant en particulier… sur le vaccin AstraZeneca. 
Cette stratégie risque donc d’évoluer dans les jours à venir. Quoi qu’il en soit, Jean Castex a indiqué hier que des décisions seraient prises en Île-de-France si le taux d’incidence y dépassait 400 pour 100 000 à l’échelle de la région. C’est le cas depuis hier. Dans la région capitale, selon les derniers chiffres publiés sur CovidTracker, quatre départements dépassent largement le seuil des 400 cas pour 100 000 habitants (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Seine-et-Marne et Val-d’Oise), et Paris s’en approche (396). En Seine-Saint-Denis, le taux d’incidence est en passe de dépasser les 500. 
Ce qui laisse présager le pire pour les semaines à venir : le nombre de personnes en réanimation en Île-de-France est déjà, depuis hier, supérieur à ce qu’il était au pic de la deuxième vague ; et l’augmentation rapide des taux d’incidence, c’est-à-dire des contaminations, va se traduire mécaniquement, d’ici une semaine à dix jours, par une hausse de nombre de patients en réanimation. 
Face à cette situation, la position du gouvernement semble de plus en plus difficile à tenir. Emmanuel Macron a commencé à l’infléchir, hier, en indiquant lors de son intervention que le gouvernement va avoir « à prendre, sans doute, de nouvelles décisions dans les jours à venir ». On en saura sans doute plus ce soir, après l’interview du Premier ministre sur BFMTV, à la veille d’un Conseil de défense sanitaire qui sera crucial. 

Franck Lemarc

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