Projet de loi crise sanitaire : l'AMF exprime ses « réserves »
Par Franck Lemarc
L’épidémie de covid-19, portée par la diffusion du variant Delta, a bien repris sa progression en France : depuis trois jours, le pays connaît de nouveau des taux d’infection supérieurs à 10 000 cas par jour et certains départements doivent faire face à des taux d’incidence jamais vus dans certaines classes d’âge : ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, le taux d’incidence chez les 20-29 ans est passé ce week-end à 1149 cas pour 100 000, un taux jamais atteint lors des deux précédentes vagues. À l’échelle nationale, le nombre de cas positifs a augmenté de 82 % en une semaine.
Quel avis du Conseil d’État ?
Dans ces conditions, c’est ce matin, en Conseil des ministres, que le gouvernement va présenter son projet de loi actant un sérieux tour de vis sur les mesures sanitaires. Il faudra attendre ce soir pour pouvoir consulter le texte issu du passage devant le Conseil d’État et savoir si celui-ci a modifié certaines dispositions de l’avant-projet de loi.
Principales dispositions de ce texte, pour l’instant : la prolongation de la « période de transition » post-état d’urgence sanitaire du 30 septembre au 31 décembre ; l’extension du pass sanitaire à de nombreuses activités du quotidien (déplacements de longue distance, accès aux bars, restaurants, centres commerciaux et à certains équipements publics, etc.) ; et obligation de vaccination pour les professionnels travaillant dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux.
Rappelons que c’est dès mercredi prochain, le 21 juillet, que pourraient entrer en vigueur par décret, selon les annonces présidentielles, l’obligation de présenter un pass sanitaire pour pouvoir se rendre au cinéma ou dans tout « lieu de loisir ou de culture » rassemblant plus de 50 personnes.
Un certain nombre de points restent cependant flous : à commencer par la date d’entrée en vigueur des dispositions prévues par le projet de loi. Au départ, le chef de l’État avait parlé du 1er août ; ses ministres ont nuancé en mettant en avant les délais de promulgation (après saisie probable du Conseil constitutionnel), qui pourraient retarder les échéances. Selon certaines sources citées dans la presse hier, le gouvernement pourrait finalement retarder la date d’entrée en vigueur au mois de septembre, pour laisser aux professionnels le temps de s’organiser.
Le Conseil d’État devra également s’exprimer sur la légalité du licenciement des salariés qui n’auraient rempli leurs obligations vaccinales au bout de deux mois, ou encore sur l’isolement possiblement forcé des personnes infectées, qui s’apparente, de fait, à une assignation à résidence sans avoir commis de délit.
De nombreuses zones de flou
Le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen) a été saisi en extrême urgence, en fin de semaine dernière, sur le texte du gouvernement. Dans ce cadre, l’AMF a produit un « avis » que Maire info a pu consulter, et a annoncé qu’elle « s’abstenait » sur ce projet de loi.
L’AMF est ici fidèle à la ligne qu’elle défend depuis qu’a commencé le débat sur une éventuelle vaccination obligatoire (lire Maire info du 12 juillet) : la définition de la stratégie vaccinale « relève de la responsabilité de l’État », mais, en raison des impacts que celle-ci a sur les collectivités locales, l’association souligne « la nécessité d’une étroite collaboration entre l’État et les collectivités ». Dans le cadre de la consultation, l’AMF avait fait part de ses réserves par rapport à une forme de « stigmatisation » des soignants, et s’était déclarée favorable à des mesures « d’incitation » et de conviction plutôt que d’obligation. Sur le pass sanitaire, elle s’était clairement dit opposée à l’extension de l’usage de celui-ci aux équipements publics du quotidien tels que les bibliothèques ou les équipements sportifs, préférant une solution d’abaissement de la jauge des « grands rassemblements » impliquant l’usage du pass sanitaire.
L’AMF « regrette » donc que ses réserves n’aient pas été prises en compte. Elle s’interroge également sur « les modalités d’application de l’obligation d’un pass sanitaire pour les personnels employés par les communes et intercommunalités qu’il s’agisse des professionnels de la santé ou du médico-social ou de ceux intervenant dans les lieux, établissements et évènement concernés ».
L’association attend donc que les textes réglementaires donnent des réponses précises aux questions actuellement totalement floues : « Les activités culturelles et sportives seront-elles concernées [par le pass sanitaire] ? et les centres de loisirs ? quelle est la surface des grands établissements et centres commerciaux concernés par cette disposition ? ».
Par ailleurs, la question du contrôle va se poser très concrètement : qui va effectuer les contrôles dans les équipements et établissements dépendant des communes et intercommunalités ? Cette nouvelle obligation va nécessairement engendrer des coûts, « à la fois en matériel et en personnel », et l’association entend que l’État compense financièrement ceux-ci, ce dont il n’est pour l’instant pas question dans l’avant-projet de loi.
Et quid des personnels territoriaux ? Seront-ils concernés par l’obligation de présenter un pass sanitaire pour pouvoir travailler, et soumis aux mêmes sanctions que le projet de loi prévoit pour les salariés des transports, des bars ou des restaurants ?
Enfin, l’AMF juge « disproportionnée » l’amende de 45 000 euros prévue pour les gestionnaires d’équipements qui ne contrôleraient pas la détention d’un pass sanitaire, si celle-ci devait s’appliquer aux maires et présidents d’intercommunalité. Une telle amende serait « très pénalisante pour les communes et intercommunalités qui pourraient rencontrer des difficultés opérationnelles dans la mise en œuvre de ce contrôle ».
Isolement : qui contrôlera ?
Sur les mesures d’isolement des personnes atteintes du covid-19, l’AMF n’est pas opposée à un « durcissement », mais se demande en revanche qui sera chargé d’effectuer les contrôles de cette obligation d’isolement. Elle rappelle qu’en l’état, le projet de loi intègre les policiers municipaux « dans la liste des agents susceptibles de procéder » à ces contrôles, ce qui pose la question « des moyens techniques » dont ils disposeraient pour le faire et « du cadre juridique dans lequel celui-ci pourra être effectué ».
Obligation vaccinale
Enfin, dans son avis, l’AMF répète ses « réserves » sur l’obligation vaccinale des soignants, « eu égard à l’implication incommensurable de ces professionnels pendant la crise, aux conditions de travail détériorées dans lesquelles ils exercent leur métier et aux difficultés de recrutement du secteur qui pourraient être aggravées par une mesure de ce type ».
Plus spécifiquement, l’association s’interroge sur les modalités d’application de cette obligation dans les communes et intercommunalités, qui gèrent directement un bon nombre de structures médicales et médico-sociales (services de soins, Ehpad, établissements pour personnes handicapées…). Là encore, des questions encore sans réponse se posent sur les sanctions applicables aux agents qui ne respecteraient pas, d’ici au 15 septembre, les nouvelles obligations légales… et sur le risque de voir purement et simplement fermer des structures indispensables, « par manque de personnels remplissant les conditions sanitaires pour exercer ».
Les premières réponses à certaines de ces questions arriveront avec l’avis du Conseil d’État et la publication du texte officiel présenté ce matin par le gouvernement. Celui-ci sera ensuite examiné en urgence, cette semaine, par le Parlement, pour une adoption espérée dès vendredi.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
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