Élections régionales et départementales : le Conseil scientifique laisse le gouvernement trancher
Par Franck Lemarc
Le gouvernement avait prévu de prendre sa décision concernant la tenue des élections prévues les 13 et 20 juin en tenant compte « strictement » de l’avis du Conseil scientifique. Mais celui-ci, dans l’avis qu’il a rendu hier, ne se prononce pas sur cette question. Ce texte, qui n’est pas encore publié sur le site du ministère des Solidarité et de la Santé mais qui circule largement dans les rédactions, s’en tient en fait aux limites tracées par la loi du 22 février 2021 portant report des élections. À aucun moment en effet ce texte ne prévoit que le Conseil scientifique doive faire des préconisations sur la tenue ou le report du scrutin. Le rapport prévu par la loi devait porter sur « l’état de l’épidémie, sur les risques sanitaires à prendre en compte et sur les adaptations nécessaires à la tenue des scrutins et des campagnes électorales les précédant ». C’est très exactement ce qu’ont fait les scientifiques.
Point de situation
Dans leur avis, les experts soulignent la « complexité » de la situation : la décision du report des élections de mars à juin, prise après remise du rapport Debré, est intervenue à un moment où n’existaient « ni variants ni vaccins ». Le fait qu’il s’agisse d’un double scrutin (régionales et départementales), obligeant à un double dépouillement et donc « susceptible d’augmenter le nombre de personnes présentes » dans le bureau de vote, complique encore les choses.
Les scientifiques commencent par une analyse de la situation épidémiologique. Sans surprise, ils décrivent une situation actuellement très dégradée, sans pouvoir prévoir de façon certaine ce que sera la situation en juin, « étant donné les grandes incertitudes qui pèsent sur les évolutions prévisibles au cours des prochains mois ». À la date de remise du rapport, 19 départements métropolitains sont en alerte maximale et la situation « se dégrade progressivement » dans certains territoires d’outre-mer (Guyane, La Réunion, Martinique et Saint-Martin).
Sur la vaccination, le Conseil scientifique reprend les prévisions du gouvernement (10 millions de personnes vaccinées mi-avril, 20 millions mi-mai et 30 millions mi-juin). Mais avec une nuance : ce calendrier est suspendu à la livraison des doses prévues dans les mois à venir, « ce qui demeure incertain ».
Pour tenter de prévoir l’évolution de l’épidémie d’ici à juin, les scientifiques listent les éléments entrant en ligne de compte : l’arrivée de l’été, dont ils considèrent qu’elle n’est pas « nécessairement » synonyme de diminution des infections ; le caractère désormais prédominant du variant « UK », « susceptible de conduire à une augmentation des hospitalisations notamment en réanimation dans les mois qui viennent » ; l’effet des vaccins ; l’effet des mesures de contrôle. Au passage, sur ce dernier sujet, les scientifiques – qui avaient demandé, en janvier, un confinement pendant le mois de février – égratignent les mesures de freinage « d’un nouveau type » décidées le 20 mars, dont ils estiment l’effet « incertain ».
Enfin, le Conseil rappelle que si l’immunité collective reste inférieure à « 70-80 % » de la population, « un rebond de l’épidémie » en septembre est « possible ».
Élections : les risques
Concernant les élections elles-mêmes, les scientifiques rappellent les « cinq risques » déjà identifiés lors des élections municipales de l’an dernier : ceux auxquels s’exposent les candidats et leurs équipes ; ceux qui menacent les électeurs ; ceux qui concernent les personnes participant aux bureaux de vote. Par ailleurs, il existe un risque « lié à l’utilisation des locaux notamment scolaires » et des risques « liés à une reprise de l’épidémie après les élections ».
Le strict respect des mesures sanitaires pourrait être de nature à éliminer la plupart de ces risques, estiment les scientifiques. Mais le risque concernant les équipes de campagne et les candidats est « plus important et potentiellement plus délicat à gérer ». Reste que si le gouvernement décidait de reporter les élections à septembre prochain, « les risques de contaminations seraient nettement moindres », eu égard au nombre de personnes qui seront vaccinées à cette date.
Organisation du scrutin
Les scientifiques rappellent une nouvelle fois que le principal risque tient davantage à la campagne électorale, « de nature à multiplier les contacts sociaux voire physiques » qu’au scrutin lui-même. Ils demandent donc, si le scrutin est maintenu, que soit « encouragé au maximum l’usage de moyens dématérialisés lors de la campagne », et que les « rassemblements, y compris extérieurs », soient « interdits ». Ce serait donc, si le gouvernement suit cet avis, une campagne sans meetings.
On notera une recommandation originale du Conseil : alors que le gouvernement a modifié les règles concernant les assesseurs dans les bureaux de vote pour privilégier les électeurs les plus jeunes, le Conseil recommande l’inverse. « Il est désormais recommandé de solliciter les personnes vaccinées », c’est-à-dire les plus âgées. Dans le cas où il serait impossible de composer un bureau de vote uniquement avec des personnes vaccinées, « il est recommandé que les membres des bureaux de vote réalisent des tests à J-2, puis J+5, puis J+8 ».
Concernant le dépouillement, les recommandations vont là aussi à l’encontre de la direction prise jusqu’à présent : alors que le gouvernement – au grand soulagement des maires – tente d’aller vers le plus possible de mutualisation, le Conseil recommande que le dépouillement « ait lieu dans deux salles distinctes » autant que possible. Il envisage aussi de faire en sorte que les personnes qui assistent au dépouillement « aient été vaccinées, immunisées ou aient un test » récent – recommandation qui paraît assez incertaine d’un point de vue juridique.
Le Conseil émet également l’idée d’un vote « étalé sur plusieurs jours » pour « réduire la densité de personnes au sein d’un même lieu ».
Enfin, les scientifiques recommandent que le vote par procuration soit encouragé au maximum et, surtout, « regrettent » que le vote par correspondance « ne puisse être envisagé pour ces élections ».
Choix « politique »
Les scientifiques s’en tiennent là. Pour le reste, à chacun son rôle, concluent-ils : « Les autorités publiques prendront les décisions qui leur incombent, lesquelles sont éminemment politiques ».
Le gouvernement, contrairement à ce qu’il semblait espérer, ne pourra donc pas se retrancher derrière une recommandation claire du Conseil scientifique : il devra prendre une décision seul, et l’assumer politiquement, en tenant compte de multiples facteurs : la situation épidémique, bien sûr, mais aussi l’avis des élus – dont beaucoup se sont exprimés contre tout report – et celui de l’opinion publique, dont les enquêtes d’opinion montrent qu’elle est assez majoritairement favorable à un report des élections.
Une décision devrait être annoncée, en tout état de cause, très rapidement, surtout s’il s’agit d’un report, puisque ce dernier nécessiterait qu’une nouvelle loi soit votée au Parlement. Une prise de parole du président de la République pourrait intervenir dès cette semaine – pas seulement pour parler des élections mais également pour évoquer les mesures de « freinage ».
En attendant, ce matin, un décret paru au Journal officiel annule les deux élections législatives partielles prévues le 4 avril dans la 6e circonscription du Pas-de-Calais et la 15e de Paris.
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