Festivals : les « pertes économiques totales » pourraient excéder les 2,5 milliards d'euros
Quelle est l’ampleur des pertes économiques et sociales pour les festivals - annulés depuis le 17 mars en raison de l’épidémie de covid-19 - et les territoires qui les accueillent ? C’est l’une des questions auxquelles les chercheurs spécialistes des politiques culturelles, Emmanuel Négrier et Aurélien Djakouane, ont tenté de répondre dans une étude, repérée par nos confrères de La Gazette des communes, et publiée ce mois-ci. Jeudi, au sortir d'un Conseil de défense, le Premier ministre présentera les détails de la phase 2 du déconfinement, censée débuter le 2 juin, et dira ce qu'il en sera, à compter de cette date et pour les trois prochaines semaines, des conditions de rassemblement. Le ministre de la Culture, Franck Riester, avait envisagé publiquement, en avril, que les « petits festivals » - dont la définition reste à préciser - pourraient se tenir à partir du 11 mai. Les grands événements rassemblant plus de 5 000 personnes restant, quant à eux, impossibles à organiser jusqu'à septembre.
D'ici là, les pertes s'accumulent pour les professionnels. Anticipant la critique des résultats qu’ils avancent, les chercheurs expliquent d’entrée de jeu leur méthodologie de travail : « L’analyse de la perte économique et sociale liée à l’annulation des festivals en 2020 (avril-août) que nous proposons part d’un sous-échantillon de 129 festivals (de musique essentiellement) issus de notre panel global (184 festivals) pour lesquels nous disposons, entre autres, de données relatives à la fréquentation, au budget et à l’emploi ». Cette analyse ne peut donc « être considérée comme une évaluation exhaustive de la situation en France », préviennent les deux chercheurs engagés dans la codirection d’une « étude pluriannuelle sur l’empreinte sociale et territoriale des festivals » (SoFest).
4 000 événements culturels annulés entre avril et août
S’il est difficile, selon eux, de connaître, le nombre définitif d’événements annulés, les chercheurs en recensent au moins 4 000 sur les 6 000 se déroulant chaque année entre avril et août, parmi lesquels 2 640 festivals de musique. Les conséquences de ces annulations sont décrites selon trois indicateurs : les retombées économiques négatives directes (REND), les retombées économiques négatives indirectes (RENI) et les pertes économiques totales.
Le premier indicateur, les REND, « estime l’impact négatif lié à l’absence des dépenses » que le festival effectue pour son activité. Le raisonnement est le suivant, expliquent les chercheurs : « Par les dépenses qu’il effectue (en termes artistiques, commerciaux, techniques etc.), un festival produit de la richesse. Cette richesse se trouve privée d’existence par l’annulation du festival, conduisant à un impact économique négatif. Toutefois, on peut considérer que les subventions déjà versées lui restent acquises, et qu’elles seront dépensées, au moins résiduellement ».
À l’échelle des 4 000 événements culturels annulés, ces retombées économiques négatives directes sont estimées entre 580,3 millions d’euros (fourchette basse) et 811,6 millions d’euros (fourchette haute). Pour les seuls 2 640 festivals de musique annulés, elles sont évaluées entre 383 millions d’euros et 535,6 millions d’euros.
2,6 milliards d’euros de pertes totales ?
D’autres retombées économiques négatives, indirectes cette fois (RENI), mettent, elles aussi, les festivals dans le rouge. Elles correspondent à l’absence des dépenses effectuées par les festivaliers eux-mêmes lors de leur venue au festival (déplacement, hébergement, nourriture, boisson, achat de places…). Et le montant des pertes peut très vite s’envoler, surtout quand on sait qu’un festivalier dépense en moyenne 53 euros par jour (coût du billet inclus).
« Pour estimer le nombre de festivaliers, expliquent les chercheurs, nous disposons des chiffres récents proposés par le Département des études, de la prospective et de la statistique (DEPS) du ministère de la Culture, qui établit à 19 % la part des Français de plus de 15 ans (58 millions) ayant fréquenté un festival dans l’année, dont 13 % pour la musique : cela représente respectivement, 11,02 millions et 7,54 millions de personnes ». Après calcul, les RENI pourraient ainsi s’élever à près d’un milliard d’euros (925,2 millions d’euros) pour les festivals culturels, 633 millions d’euros pour les seuls festivals de musique.
Naturellement, le résultat le plus impressionnant est celui des pertes totales : selon les deux chercheurs, qui restent prudents, elles pourraient atteindre entre 1,73 et 2,6 milliards d’euros, dans le pire des scénarios (1,2 à 1,8 milliard d’euros pour les festivals de musique), et entre 1,51 et 2,3 milliards d’euros dans le meilleur des cas (entre 1,02 à 1,53 milliard si l’on s’en tient aux seuls événements musicaux).
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont additionné les pertes liées à l’absence de dépenses des festivaliers (RENI), celles liées à la réduction des dépenses des festivals (REND), et multiplié le tout « par 1,5, pour tenir compte des pertes induites ».
Plus de 111 000 emplois « fragilisés » par la crise
L’étude consacre, enfin, un chapitre à l’impact social de la crise sanitaire. Selon leur calcul, jusqu’à 111 065 emplois (jusqu’à 72 974 rien que dans les festivals de musique) seraient « fragilisés » par cette crise. « Notre calcul se base ici sur toutes les personnes dont l’emploi sera potentiellement affecté : les CDI, les CDD, les CDDU, les prestataires et travailleurs indépendants et les stagiaires ».
Selon les prévisions les plus pessimistes, près de 360 000 personnes bénévoles ou rémunérées jusqu’à quatre mois avant le début du festival pourraient voir leur activité « réduite à néant par l’annulation » de l’événement. L’étude estime, en outre, entre 152 816 et 237 939 le nombre d’engagements auprès d’artistes annulés entre avril et août 2020 (de 101 000 à 157 200 environ pour les seuls musiciens).
Ludovic Galtier
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